vendredi 30 novembre 2012

Scène de bureau (10)

Je suis en train de réviser une opinion juridique pour un client. Je tombe sur ce paragraphe (où seul les numéros d’articles et noms de loi ont été changé, confidentialité oblige) :

L’article 34.3 exempte de l’application de certains articles de la Loi X, des décisions importantes et fondamentales, prises en vertu des articles 34.7, 34.12 et 34.27, devraient être assujetties à l’ensemble de la Loi X, notamment, afin de permettre aux clients de faire valoir leurs observations.
Hein? Ça fait pas de sens. Je relis. Ça fait pas plus de sens. J’essaie quelques permutations de virgules, des changements d’accord… Qu’est-ce qui devrait être assujetti à quoi? Les décisions? Les articles? Aucune idée. Je vais voir l’avocat qui a rédigé cette... "chose". 

Moi - Me Tête, dans ce paragraphe-là, je comprends pas ce que vous voulez dire, est-ce que...

Me Tête (Grosse de son prénom) m'interrompt avec hauteur - Tu comprends pas parce que c'est du droit.

Je serre les dents. Depuis le temps que je lis du droit, j'pense que je le comprends pas pire. Mais les avocats sont très chatouilleux à propos de leurs actes réservés et l'interprétation du droit en est un, alors j'insiste pas. De toute façon, c'est pas l'argument juridique le problème ici. Plutôt le crime abject à l'encontre de la syntaxe. Et la condescendance qui l'accompagne.

Moi - Je ne veux pas dire que je ne comprends pas le contenu. Je ne comprends pas la phrase, qu'est-ce qui est...

Me Très Grosse Tête - C'est du droit, bon, c'est clair pour un avocat. Envoie-la au client.

Normalement je m'obstinerais (le droit ça s'écrit en français que je sache! et on est pas pour envoyer une horreur pareille au client!), mais comme c'est pas la première fois que Grosse Tête fait l'erreur de me prendre pour une idiote, j'obtempère.

Sur le chemin vers mon bureau, je croise un autre "maître", plus parlable. Je lui mets la phrase sous le nez.

Moi - Est-ce que vous comprenez cette phrase?

Me Parlable, les sourcils froncés, relisant le truc - Hein? Qu'est-ce qui est assujetti à quoi?

Moi - Peu importe, vous venez de me prouver ce que je pensais.

Je retourne à mon poste et, tel qu'ordonné, expédie l'opinion au client.  Sans surprise, une demi-heure plus tard, par retour de courriel, je reçois la phrase soulignée de rouge avec pour seul commentaire du client : "Pardon?". En souriant, je transfère le courriel à Me Grosse Tête. 

La vengeance est un plat qui se mange froid.

16 commentaires:

ClaudeL a dit…

Le client est-il avocat?

ClaudeL a dit…

En retard, j'avais sauté un billet parce qu'il y a des jours où je sors tôt le matin.
Félicitations, bravo, bonne chance dans ton nouvel emploi. J'espère qu'on aura droit à des scènes de bureau quand même, hihi!

Hélène a dit…

Je crois que les nouvelles scènes de bureau ne seront pas aussi croustillantes, j'adore celle-là! Me semble que les assurances, c'est assommant. Mais ça préservera sans doute ta santé mentale.

Gen a dit…

@ClaudeL : Le pire? Eh bien oui, le client était avocat lui aussi! :P Merci pour les bons voeux! ;) (T'en fais pas pour le billet sauté, c'est normal ;) Et oui, il y aura encore des scènes de bureau, c'est sûr, ne serait-ce que parce que j'ai pas utilisé toutes mes idées et anecdotes! ;)

@Hélène : Comme je ne vendrai pas des assurances, ça devrait quand même bouger pas mal! ;) Mais j'espère sincèrement que le nouveau bureau ne me fournira pas matière à anecdote dans le genre de celle-ci!

Luc Dagenais a dit…

Ou encore, "La vengeance est douce au cœur de la secrétaire"... >;o)

Gen a dit…

@Luc : Lol! ;)

Mlle Maria a dit…

Haha, ce genre d'anecdote n'a pas de prix. J'adore les gens avec un gros égo, ils sont tellement divertissants!

Marie-Claude

Gen a dit…

@Marie-Claude : Ils sont moins drôles quand on travaille avec eux au quotidien, mais c'est vrai qu'avec un peu de recul, c'est hilarant! :p

Mlle Maria a dit…

Le plus drôle, c'est quand tu vas à la cour pour assister à une audience (ce que j'ai dû faire à quelques reprises pour mes cours). Il y a certains avocats qui donnent l'impression d'être au cirque. Heureusement, pas tous.

Ceci dit, je suis d'accord qu'au quotidien, ça devient lourd.

Gen a dit…

@Mlle Maria : Ah, les plaideurs, c'est quelque chose, en effet! :p Heureusement, au quotidien, ils sont souvent plus supportables : dans les grands bureaux, c'est pas eux qui font la recherche derrière les plaidoiries, alors eux aussi ils aiment recevoir des documents écrits en français! :p

Mlle Maria a dit…

Hehe, je sais... comme je termine mon D.E.C. en technique juridique, c'est moi qui risque de faire la recherche derrière la plaidoirie.

Gen a dit…

@Mlle Maria : Je te souhaite en effet un poste de recherche... avec un avocat qui te snobbera pas!

Isabelle Lauzon a dit…

Héhé! Belle petite vengeance, en effet... Mais ce n'est pas de ta faute, n'est-ce pas, tu n'est qu'une simple secrétaire, une exécutante... Tu n'es pas supposée penser ni comprendre... :P

Gen a dit…

@Isa : Hep, puisqu'on ne veut pas que je me serve de mes neurones, j'vais aller les faire voir ailleurs!

François Bélisle a dit…

Voyons, Gen... C'était une ouverture pour une consultation supplémentaire!!!!!

Gen a dit…

@François : Ça marche pas tout à fait comme ça dans la boîte. Et même dans les boîtes où ça facture à plein, facturer le client parce qu'il ne comprend pas notre opinion précédente, c'est pas une très bonne pratique. Ça risque d'attirer le Syndic.