Ok, alors à la demande générale (de ClaudeL), voici un petit billet issu de ma longue (toux embarrassée ici) expérience (de deux salons) sur l'art d'harponner un client. (Les techniques, je tiens à le préciser, me viennent surtout des vétérans que j'ai eu la chance
d'espionner d'observer de près).
Étape 1 : Le contact visuel
C'est tentant, quand on est assis en arrière d'une table de livres avec rien à faire, de jaser avec l'auteur désoeuvré à côté de nous, de lire un livre amené pour l'occasion, de jouer sur son cellulaire ou d'écrire. Mais, à ce que j'ai remarqué, il ne faut pas!
Laissez plutôt votre regard errer sur la foule. Observez les gens qui passent devant vous. Souriez rêveusement, ça vous donnera l'air aimable et facile d'approche (même si vous êtes mentalement en train d'écrire une histoire où le gamin bruyant qui tripote tous les livres de ses mains sales est assassiné par un signet empoisonné tendu par une vieille écrivaine au nez crochu). Attirer visuellement l'attention sur vous (par un costume, le plus souvent) peu être utile avec un certain public, mais prenez garde à ne pas en faire trop : ce qui marche avec les jeunes enfants pourra faire fuir les ados et inversement. Alors adaptez-vous à votre public. Pour Hanaken, comme il est "pour tous", j'ai opté pour la tunique d'inspiration asiatique dans les mêmes couleurs que la couverture.
Sans en avoir l'air, suivez le regard des gens. N'apostrophez pas les gens qui vous regardent distraitement, vous ou votre livre, c'est une perte de temps (et ça vous donnera l'air d'un perroquet). Cherchez plutôt la lueur d'intérêt dans les yeux des passants. Le meilleur regard est celui qui se pose sur votre livre, s'attarde, puis remonte sur vous. Le regard qui vous prend directement pour objet n'est pas mauvais non plus, même si l'intérêt manifesté n'est peut-être pas uniquement littéraire.
Bon, une fois que vous croyez avoir remarqué un regard intéressé, tentez de le croisez, décochez lui votre plus beau sourire et enchaînez avec...
Étape 2 - La question-harpon
Après six jours de salon, mon expérience personnelle m'a démontré que le meilleur harpon à lecteurs est une question. "Aimez-vous les nouvelles policières?" marchait très bien pour les Alibis. "Un petit voyage au pays des samouraïs?" faisait merveille pour Hanaken.
Vous voulez une question-harpon intriguante, mais, surtout, reliée à votre livre. Vous voulez que cette seule question permette au badaud de savoir si ce que vous avez à offrir est pour lui ou pas. Si c'est pas pour lui, vous voulez qu'il vous réponde "non", parce que vous économiserez tous les deux du temps. Si cette question intrigue le passant, qu'il a envie d'y répondre par l'affirmative, vous aurez souvent un indice physique de cet intérêt renouvelé (la personne ralentira sa marche, s'avancera d'un pas vers votre table, vous répondra, sourira, etc). Ce sera alors le moment de déballer la...
Étape 3 - Phrase-résumé
Trouvez moyen de résumer votre roman en une seule phrase, quitte à ce que ce soit un raccourci qui laisse plusieurs nuances dans l'ombre. Ainsi, Hanaken c'est "L'histoire de deux jeunes samouraïs qui ont perdu leurs parents et qui vont devoir survivre à la guerre qui se prépare." Après avoir énoncé votre phrase-résumé, observez la personne qui se tient devant vous. Est-ce qu'elle a l'air intéressée? Est-ce qu'elle a pris le livre dans ses mains? Est-ce qu'elle a posé un doigt surpris sur un détail de l'illutration de couverture? Est-ce qu'elle vous demande tout de go à quel public s'adresse le livre? Si oui, c'est le moment d'entamer...
Étape 4 - Le développement concentrique
Exploitez l'attention de la personne et ce que vous pouvez deviner d'elle, puis répondez à ses interrogations en spécifiant et en développant votre phrase-résumé. Dans le cas d'Hanaken, si la personne semble intéressée par la phrase-résumé, je lui parle ensuite de ce qu'est un samouraï. Puis, aux filles, j'explique que les femmes aussi étaient samouraï. Aux garçons, j'insiste sur l'aspect du devoir guerrier. Aux adultes, je précise que le livre est "pour tous", qu'il y a des passages flous que les enfants ne saisiront pas, mais que j'ai écrit pour les plus vieux. À tous, j'introduis le pourquoi du comment de la mort des parents. La dureté de ce monde guerrier dans lequel les deux enfants doivent faire leur place. La pression familiale avec laquelle ils devront composer. Etc.
Je fais les ajouts peu à peu, en les greffant à ma phrase-résumé. C'est pour ça que je parle de développement concentrique : le résumé est là d'abord, au centre, puis je le précise, je présente peu à peu l'univers du roman, en allongeant les phrases et en ajoutant des détails, tant que la personne m'accorde son attention, mais en faisant des pauses fréquentes pour laisser mon vis-à-vis poser une question, manifester son intérêt ou son ennui.
Soyez attentif à votre client potentiel, parlez-lui, demandez-lui ce qu'il aime et souhaitez-lui une bonne journée s'il décide de partir sans avoir acheté. Qui sait, il pourrait recommander votre bouquin à quelqu'un d'autre ou même changer d'idée et revenir plus tard.
Personnellement, je n'essaie pas de vendre mon livre à tout prix quand je comprends qu'il ne convient pas à la personne devant moi. À date, je fais de la présence en salon un exercice fort stimulant d'écoute de l'autre. Il faut en faire un jeu, je crois, et s'en amuser. Apprendre à jauger les lecteurs, essayer de deviner leurs goûts et leur personnalité à leurs vêtements, leur attitude. Ça pourra toujours servir dans un prochain roman! :)
Alors, qu'est-ce que vous en pensez de ma technique? Je raconte n'importe quoi ou ça vous semble logique? Avez-vous des éléments à ajouter?