mercredi 7 novembre 2012

Se jouer les scènes pour choisir son narrateur

Ah, le narrateur! Je pense que si on faisait des études statistiques des blogues d'écrivains, on découvrirait que c'est la question littéraire qui est le plus souvent discutée. Quels types existent, comment le choisir, comment l'utiliser, tel auteur aurait peut-être pas dû privilégier celui-ci plutôt que celui-là...

Il y a quelques mois (plus précisément après avoir dû réécrire le premier Hanaken au complet pour changer de narrateur), une petite phrase de la Grande Dame m'a fait réfléchir : "Joue-toi la scène, m'a-t-elle dit, tu verras quel point de vue est le meilleur."

Me jouer les scènes? Facile, ai-je pensé. Non seulement j'établis toujours mon plan scène à scène, mais en plus je me joue déjà la majorité des scènes...

Puis j'ai regardé mes vieux plans. Je notais les scènes fortes, oui, et je me les jouais (sur mon cinéma intérieur). Mais je ne notais pas nécessairement comment je me les jouais. Avec quel point de vue. Je pouvais très bien bâtir une histoire autour de trois scènes fortes, pour m'apercevoir seulement au moment d'écrire la troisième que je ne me l'étais pas jouée avec le point de vue choisi pour les deux premières.

Résultat? Depuis cette prise de conscience, je réfléchis (encore) plus longtemps au-dessus de mon plan. Et je prends des notes. La scène 1 m'apparaît plus forte si je la joue du point de vue de personnage A... Même chose pour les scènes 4 et 5. Personnage B, par contre doit absolument être celui par lequel nous vivons la scène 2. La scène 3 fonctionne des deux points de vue...

Et lorsque je me suis joué toutes les scènes, que j'ai noté de quelle façon elles fonctionnent le mieux, j'analyse les résultats. Si les points de vue sont trop nombreux, j'opte pour le narrateur omniscient. Deux ou trois points de vue, on peut les faire alterner avec des narrateurs alignés. Une seule scène forte pour un personnage? Voyons s'il n'y a pas moyen de la repenser pour qu'elle fonctionne avec un autre point de vue...

Bon, on n'est pas dans l'équation mathématique précise et la méthode présente encore quelques flous (notamment si une scène forte se révèle à nous en cours d'écriture ou s'il faut discriminer entre un narrateur en "il" aligné ou en "je"), mais ça semble fonctionner pour moi.

Alors je partage! ;)

Et pendant qu'on y est... vous avez pas d'autres trucs sur le même sujet?

10 commentaires:

ClaudeL a dit…

Mon problème, c'est le sexe du narrateur. Je suis plus à l'aise et les scènes sont plus senties (plus fortes selon ton expression) si le narrateur est un des personnages féminins. Je résiste donc beaucoup quand le narrateur et donc, dans mon cas, le personnage principal, qui s'impose est un homme.
Une animatrice me disait d'utiliser le "Je". Conter la même histoire au Je, c'était toujours plus "fort", mais elle ne m'a pas dit quoi faire ensuite pour transposer!

Hélène a dit…

Je n'ai pas encore vécu ce problème, règle générale je choisi un narrateur et le garde jusqu'à la fin. Pour moi le narrateur aligné (en il ou en je) reste plus près du récit et des émotions, c'est ce que je connais. Mais j'enregistre ce que tu dis, ça me servira!

Frédéric Raymond a dit…

En général, quand je doute sur un chapitre, j'ai deux options : 1. Changer le narrateur. 2. Effacer complètement le chapitre. En général, l'option 2 est la plus efficace.

Gen a dit…

@ClaudeL : C'est sûr que c'est souvent plus fort au "Je", mais ça n'est pas toujours approprié (surtout s'il faut décrire ou s'il y a beaucoup d'action). Pour ce qui est du sexe du personnage, là encore Élisabeth te dirait "joue-toi l'histoire en changeant le sexe". En effet, des fois avoir un personnage d'un sexe ou d'un autre, ça change la perspective sur une action. Pour ma part, je trouve cependant que plus le texte est moderne, plus cette différence s'atténue. (L'égalité des sexes, ça commence par les émotions! ;)

@Hélène : J'ai aussi une nette préférence pour les narrateurs alignés, raison pour laquelle je me coltine avec des alternances de narrateur dans Hanaken (pas évident de mettre en place l'intrigue dans ces cas-là!). Tu me diras si, à l'usage, mon truc finit par te servir! ;)

@Fred : Euh... J'essaie d'imaginer Hanaken sans les scènes d'un des deux personnages et ça s'écroule un peu... :p Mais t'as raison : des fois c'est la solution. (Et d'habitude, dans ce temps-là on est triste, parce que la scène a fait partie du matériel qui a donné vie au projet et on avait grande envie de l'écrire... alors on fait une nouvelle avec! :p)

Carl a dit…

Je comprends très bien ce que tu dis, et ça fait beaucoup de sens.
Par exemple, j'étais certain que "Le chasseur" serait écrit à la première personne. Mon personnage aveugle, dans "L'Aquilon" m'avait inconsciemment amené à penser que c'était la meilleure façon de décrire ce qu'il ressentait.
Pourtant, dans la suite de "L'Aquilon" - je te dévoile un punch - toute la narration est à la 3e personne sans être omnisciente (ce que vous appelez "aligné" si j'ai bien suivi;). Or, mon personnage aveugle devra passer à travers le moulinet comme les autres. C'est un deuxième punch dévoilé à ceux qui lisent en entier les commentaires ;)
Merci de transmettre la sagesse de la Grande Dame.

Gen a dit…

@Carl : Je venais de lire "Comment écrire des histoires" quand j'ai écrit "Le Chasseur", alors j'ai choisi le narrateur aligné en tant qu'exercice de style. Et finalement, c'était génial! :) Ça maintient encore plus le lecteur "dans le noir". Mais ça aurait fonctionné au "je" également.

Oui, en effet, la narration à la 3e personne qui n'est pas omnisciente, la Grande Dame l'appelle "alignée" (au lieu de nous faire subir le terme technique qui finit en "diégénique" et que je retiens jamais).

Le narrateur aligné, c'est comme un jeu vidéo à la première personne ou une caméra posée derrière l'épaule de ton personnage : le narrateur voit ton personnage et un petit peu plus. Par contre, il ne l'appellera pas "le jeune homme" ou "le policier". Le narrateur s'identifiant au personnage, il va le caractériser en utilisant son nom ou en disant tout simplement "il".

Bref, ça cadre très bien pour une alternance de narrateur d'un chapitre à l'autre et c'est mieux embrouillant pour le lecteur que des alternances de "je". (Parce que "je" ne se nommant jamais lui-même, des fois on sait plus qui parle!)

Philippe-Aubert Côté a dit…

C'est intéressant comme réflexion. J'avoue que je ne me suis jamais vraiment posé la question -- du type de narrateur, oui, mais pas de "qui" doit avoir le point de vue pour telle ou telle scène. Comme je construis mes personnages et qu'ensuite je les laisse vivre l'intrigue, j'ai toujours choisi à l'instinct lors du plan et c'est rare que j'ai changé par la suite.

En fait, c'est arrivé une fois que j'ai changé à la réécriture -- pour Le fantôme dans le mécha. Parce que j'avais spontanément écrit l'histoire en prenant pour personnage principal le robot qui avait une vision universaliste des choses... puis je me suis rendu compte que son frère aux allures de sauterelle hystérique, et qui pense avoir LA bonne vision des choses, était plus intéressant. Il était un peu borné, mais avec assez d'ouverture pour quand même pouvoir évoluer mentalement -- il y avait donc une histoire à faire avec lui :-)

Josée a dit…

J'ai souvent l'habitude de faire mon premier jet du point de vue d'un spectateur. C'est assez bizarre, car quand je développe l'histoire, ça bloque. Pour "Le Substitut", le premier jet concernait un personnage dont on entend parler seulement à la fin de l'histoire définitive, qu'on ne voit pas, mais qui a été témoin d'une scène clé. On peut comprendre que je ne pouvais pas développer l'histoire de ce point de vue.
Bref, ce qui est arrivé à Philippe-Aubert pour Le fantôme dans le mécha, moi, ça m'arrive tout le temps :P

Isabelle Lauzon a dit…

Soupir! En ce qui me concerne, le meilleur truc semble être... de tous les essayer, les fichus narrateurs! LOL!

Bon, j'avoue que j'ai un faible particulier pour le narrateur aligné en "il". Mon truc : J'écris au "je" et je transpose le tout ensuite au "il". Je sais, méchante malade, la fille... ;)

Mais j'avoue que oui, l'étape du plan peut aider à choisir dès le départ le bon narrateur. Sinon... le meilleur truc reste d'expérimenter diverses options! On peut le faire sur une page ou deux. Revoir la même scène avec différents narrateurs, pour voir comment ça sort le mieux... Oui, c'est du boulot, mais ça en vaut la peine! :D

Gen a dit…

@Phil : Moi aussi j'y allais à l'instinct habituellement, mais sur les longs projets, c'est moins évident. Et pour le "Fantôme dans le mécha", en effet, si tu avais pris l'autre gémeau pour personnage, ça aurait été moins dynamique.

@Josée : Ah tiens, moi aussi des fois il me vient des scènes-clefs avec un point de vue "spectateur". C'est pour ça en fait que j'ai pris l'habitude de jouer les scènes : pour essayer d'identifier qui serait le meilleur "spectateur".

@Isa : Ouais, moi aussi j'avais tendance à tous les essayer. Mais on réécrit 50 000 mots juste une fois je pense! :p lol! Le fait de "jouer" les scènes permet l'expérimentation sans écriture... enfin, dans une certaine mesure.