vendredi 21 janvier 2022

La peur de payer quelqu'un à ne rien faire

Durant mes années de bac, mon boulot d'étudiante, c'était "secrétaire volante" pour le département juridique d'une société immobilière. Traduction : je remplaçais les absentes, fussent-elles réceptionniste, secrétaire, adjointe à la direction ou même technicienne juridique. La haute saison était évidemment l'été, où je remplaçais les vacances de tout le monde. Mais j'étais aussi là pour répondre au téléphone jusqu'à 16h le 24 décembre, accueillir le facteur le 2 janvier à 8h le matin, venir classer 300 dossiers reçus à la suite d'une nouvelle acquisition ou dépanner pendant un congé de maladie. 

C'était super intéressant comme travail. Pour moi, parce que les tâches étaient variées, mais aussi pour tout le personnel administratif du département, qui savaient qu'elles (c'était toutes des femmes) pouvaient tomber malade, prendre des vacances, s'occuper de leurs enfants, etc sans que le travail s'accumule. L'ambiance était détendue, créative, collaborative. Un plaisir. 

Je dois admettre que c'était pas toujours super occupé. Pendant les Fêtes, en particulier, c'était mort. Je classais des dossiers, j'archivais quelques boîtes, mais je passais aussi de nombreuses heures les pieds sur un classeur, à lire un roman en sirotant le mauvais café gratuit du bureau. Les patrons le savaient et ça ne les dérangeait pas : j'étais là au cas où. J'avais prouvé qu'en cas d'imprévu, je gèrerais et que j'irais au-delà de ce qui m'était demandé, compensant pour les fois où je n'avais pas grand chose à faire. Trois années ont passé ainsi. 

À la maîtrise, j'ai été davantage prise par mes études, alors j'ai dû abandonner mon poste. Ça ne m'a pas dérangée. J'avais assez d'économies pour finir d'étudier sans travailler et je pensais que mes années de secrétariat étaient finies, que j'aurais une autre carrière, bien plus payante et valorisante, après ma maîtrise (insérez ici un rire de dérision dépitée). 

Cinq ans plus tard, quand je suis revenue au secrétariat, j'ai senti tout de suite que les choses avaient changé. Les secrétaires volantes n'existaient plus. Partout on me disait qu'on en avait eu, mais que ce n'était plus nécessaire. Qu'il y avait pas assez de travail pour les occuper. Que le personnel en place suffisait à la charge habituelle. 

La charge de travail habituelle, oui, mais... Et les débordements? Les imprévus? Les maladies? Les vacances? Les bugs informatiques qui nous forcent à renumériser trois ans d'archives? (Fait vécu.) Réponse : on se débrouillerait. On travaillerait plus fort. Même si on était déjà pas mal à fond... On n'allait certainement pas engager des gens en cas de surplus de tâche et les payer à ne rien faire! 

J'ai rapidement vu la différence dans l'ambiance de travail. Les secrétaires stressaient avant de partir en vacances et revenaient découragées. Certaines rentraient même malades pour ne pas accumuler de retard. Il était de bon ton d'avoir l'air débordée, sinon il se trouvait quelqu'un pour nous rajouter du boulot, remettre en question la pertinence de notre poste ou nous envoyer aider une collègue qui, elle, ne semblait jamais arriver à bout de ses tâches. Ça s'espionnait entre secrétaire, ça murmurait qu'une telle avait jamais rien à faire, qu'une autre tournait les coins ronds. Optimiser les manières de faire était découragé, car ça pouvait nous donner une allure au-dessus de nos affaires, ouvrir la porte à davantage de travail ou, pire, à des coupures de poste chez nos collègues. Et alors, en cas de débordement, maladie, vacances, on serait encore plus mal prises...

Je repense à ce milieu toxique dont je me suis extirpée, à cette culture voulant que les employés doivent être toujours occupés à pleine capacité, histoire de surtout ne pas les payer à ne rien faire, ou à travailler plus lentement, même pas une minute par jour, et je comprends l'état de notre système de santé. Et d'éducation. Et de services sociaux. 

Des systèmes où, au nom de l'efficacité, au nom de la saine gestion des fonds publics, on a surchargé les employés. Ça a donné des manières de faire fossilisées, une gestion inhumaine et une organisation incapable de serrer les rangs et de fournir un effort supplémentaire en cas de coup dur. Individuellement, oui, les gens se décarcassent actuellement pour maintenir les services. Mais le système lui-même, non. Il ne peut pas fournir plus. 

Parce que depuis longtemps, il avait tellement peur de payer quelqu'un à ne rien faire qu'il s'est débarrassé de tous ceux qui pourraient lui venir en aide. 

Espérons que ça changera à l'avenir. 

Il faut apprendre à se payer une marge de manoeuvre permanente, à prévoir l'imprévu. 

lundi 10 janvier 2022

Maman en mode survie

La pandémie a mis en lumière les inégalités. Disons qu'on ne vit pas les confinements de la même manière quand on possède un chalet sur un terrain boisé au bord d'un lac, un bungalow avec un grand sous-sol pour s'aménager un gym ou un quatre et demi pas de balcon. (Le mien a heureusement une terrasse et un parc à proximité.)

Mais ce qui me frappe surtout, c'est à quel point on ne vit pas les confinements de la même manière quand on a des enfants en bas âge. 

Mes ami.e.s sans enfant ont plus de temps que jamais avec la pandémie. L'absence de déplacement et d'activités sociales leur débloque du temps pour lire, écouter des séries télé, regarder des événements culturels en virtuel, s'entraîner à la maison, essayer de nouvelles recettes et, surtout, iels ont du temps pour écrire!!!

Pour les parents, par contre, c'est une autre histoire. Les obligations pré-pandémique - travail, préparation des repas, tâches ménagères, soins aux enfants, aide aux devoirs - sont encore là. D'accord, le temps de déplacement a disparu (enfin, sauf pour ceux qui, comme moi, travaillaient déjà de la maison), mais selon les niveaux de confinement, l'aide sur laquelle on s'appuyait habituellement - écoles, service de garde, loisirs organisés, gardienne, famille et amis - n'est plus disponible. 

Alors non seulement faut essayer de travailler tout en fournissant un support technique à des enfants qui font l'école virtuelle, mais faut aussi les motiver à faire leurs travaux et leurs devoirs, en plus de leur servir de cercle social et de compagnon de jeu. 

Et s'il y a un seul parent dans l'équation, on ne peut même pas diviser les responsabilités. Mon amoureux a beau me décharger autant que possible des tâches ménagères, c'est la puce qui demande le plus d'attention. Et c'est la mienne qu'elle veut. 

Alors je fais quoi pour survivre à ça?

Volet travail : j'annule tout ce qui peut être annulé et je repousse tout ce qui n'est pas urgent. J'ai à peu près deux heures productives par jour, alors je cours au plus pressé. 

Volet école : c'est là que j'investis le maximum de mon énergie, pour motiver la puce, lui éviter de prendre du retard. Cours sur l'écran, devoirs, leçons, lecture, je m'assure que tout est fait et bien fait. 

Volet jeu : je donne au moins deux périodes de 20 minutes par jour d'attention exclusive à ma fille, en jeu libre. Ça remplit son réservoir d'attention et ça m'assure sa coopération. Et puis, la mort dans l'âme, je me résigne à ne plus calculer son temps d'écran. Elle veut jouer avec ses figurines devant la télé? Jadis j'aurais refusé, lui aurais demandé de faire l'un ou l'autre, mais maintenant, tant pis. Si ça peut me libérer du temps pour travailler, ce sera ça de gagné. 

Volet ménage : un peu chaque jour. Parce que ça me calme quand l'environnement est propre. Et la puce ramasse sagement ses jouets si elle me voit ranger autre chose en même temps. 

Volet personnel : je fais mon 20 minutes de yoga par jour. Idéalement le matin, avant que l'école virtuelle ne commence. Et le soir, une fois ma puce endormie, des fois je laisse mon amoureux à la garde du condo et je sors marcher avant le couvre-feu. Au retour, on lit ensemble, collés-collés. Et on essaie de reprendre notre souffle. 

Parce qu'on ne sait pas combien de temps ça va durer.