En attendant que je me remette de la fatigue de l'atelier, voici un petit texte pour fêter les deux ans du blogue (à la demande de Pat ;) Je suis toujours fascinée par les trains, les bus, les gares. Tout ce monde qui y passe, qui s'y croise, comme des histoires dont on ne peut observer qu’un chapitre, en passant, sans savoir où il s’insère dans l’ensemble de leur vie…Avec cette micro-nouvelle, j'ai essayé de rendre cette impression de morcellement évocateur.
Ah pis parlant de l'atelier, faut pas croire tout ce qu'Isa raconte... ;)
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Un autre arrêt sur la ligne nord
Le train ralentit et s'arrête. La vieille lectrice, assise près de la porte du wagon, lève le nez de son roman, regarde par la fenêtre. Dehors, la neige ouate le ciel. La lectrice aperçoit un coin de stationnement, presque beau sous sa couette blanche avec les véhicules qui semblent endormis pour l'hiver.
Une jeune fille monte à bord. Elle porte une roue de bicyclette. Juste une roue. Large, étroite, délicate, avec quelques points de rouille et un pneu lisse. La roue d'un vieil engin conçu pour avaler des kilomètres de bitume neuf par une belle journée; plus qu'incongrue dans un train qui se dirige au royaume des chemins de gravier, sous une neige de janvier.
Puis arrive un couple. La femme, en long manteau, semble nerveuse, impatiente. L'homme, mince et frêle, a le geste lent et le regard humide. Il porte une valise rose. La femme choisit un siège. L'homme place le bagage au-dessus. Ensuite, il se penche vers elle, prend tendrement son visage dans ses mains et l'embrasse. Si longtemps que la lectrice, gênée, fait mine de se replonger dans son livre.
La femme finit par repousser gentiment son compagnon. Le train siffle pour signaler son départ imminent. L'homme vole un dernier baiser à sa compagne, court jusqu'à la porte du wagon et, avant de sauter sur le quai, il lance encore un regard à la femme.
Celle-ci a baissé les yeux vers son sac à main et y farfouille. L'homme descend sur le quai. Les portes se referment tandis qu'il se retourne. Alors que le train commence à s'éloigner, la lectrice voit l’homme suivre le train des yeux, l'air défait.
Le paysage défile derrière les vitres du wagon : faubourgs gris de la petite ville qui s'éloignent, arbres ployés sous la neige, hautes collines blanches, falaises abruptes, vallées encaissées, arbres ployés, collines blanches, falaises, vallées, arbres, collines... La lectrice replonge dans son livre.
Au bout d'une heure, le train ralentit à nouveau. La femme au long manteau se lève. Lorsque le véhicule s'arrête avec une secousse, elle doit se retenir au porte-bagage pour ne pas perdre l'équilibre. Elle récupère sa valise rose, s'avance vers les portes. Dès que celles-ci s'ouvrent, la voilà dehors. Sur le quai, un homme de forte carrure lui ouvre les bras, l'attrape par la taille, la soulève en l'air comme si elle n'était qu'une enfant. La lectrice entend la femme rire.
Un jeune homme monte dans le train. Il porte de hautes bottes de randonnée et l'un de ces immenses sacs à dos qui permettent de vagabonder aux quatre coins du globe. Secouant la neige de son parka, il prend place sur un banc, son sac à ses côtés, puis appuie sa tête contre le dossier de son siège avec l'abandon et le naturel de celui qui n’a pas dormi depuis longtemps dans un vrai lit.
Le train siffle. La lectrice jette un œil à travers les portes qui s'apprêtent à se refermer.
Sur le quai, la femme au long manteau embrasse passionnément l'homme à la forte carrure.
Le train repart. La lectrice sourit. Le terminus est encore loin. Ce n'était qu'un autre arrêt sur la ligne nord.
9 commentaires:
Est-ce le texte que tu as travaillé en fin de semaine?
Et Isa n'a rien détaillé, c'est plutôt toi qui as donné des détails, sur l'après-atelier surtout!
Joli texte en cinémascope, comme si vous aviez une caméra à la main. On a hâte à la prochaine gare.
@ClaudeL : Non, c'est pas un des textes de la fin de semaine. Ceux-là doivent encore être passés au correcteur automatique. Minimum! hihihi Et en effet, Isa a été discrète, mais ce billet avait été préparé d'avance, par précaution! hihihihi
@Femme libre : Merci. C'est ce qu'on appelle un "narrateur ignorant" : il raconte sans trop savoir. Ça donne effectivement un effet caméra, que j'aime beaucoup.
Ben, bonne fête, blogue !
Et bon retour à toi, Richard! :)
Zut! Tu l'as déjà dit : un superbe narrateur ignorant, j'adore! Je me le garde en exemple, ce texte là, pour mes prochaines productions...
C'est drôle, avant l'atelier, je détestais ce narrateur, mais c'était clairement un problème d'incompréhension. Maintenant, je vois toutes les possibilités qu'il offre au niveau de la description... On garde un certain mystère, on ne dévoile que ce que le champ de la caméra (habilement manoeuvrée par l'auteur) veut bien nous montrer...
Ben non, Claude, je n'ai pas encore tout dévoilé des dessous de cet atelier! Mais Gen a pris les devants, elle me connait : il se peut que je commette quelques indiscrétions... j'y pense encore un peu, juste pour faire durer le suspense... Hihi!
T'as peur, hein, Gen! Mouahaha! (petit rire diabolique d'Elisabeth V. ici - l'attribut du vilain typique... ceux qui étaient à l'atelier comprennent de quoi je parle!) :D
@Isa : Oh, oh, si t'as pogné le rire d'Élisabeth, t'es vraiment devenue Evil Matante Isa! hihihi
Yé, un extrait ;)
J'aime beaucoup. Surtout le regard de la lectrice. Regard qui effleure, qui détaille juste ce qu'il faut sans s'immiscer.
C'était juste pour toi! ;)
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