L'autre jour, sur un regroupement d'écrivains dont je fais partie, un jeune auteur a posé la question "Pourquoi les jeunes écrivains ont le réflexe d'écrire des longues séries?"
On lui a donné plusieurs très bonnes réponses :
- Influence de la télé et des séries déjà publiées (on veut copier ce modèle épisodique).
- Impératif commercial (les éditeurs, surtout en jeunesse et en jeune adulte, aiment les séries parce que chaque nouveau tome incite à ramener les précédents sur les tablettes).
- Demande des lecteurs (quand ils aiment le livre, ils en veulent un autre avec les mêmes personnages!).
- Histoire trop longue pour tenir en un seul tome.
- Univers qui a demandé tellement de temps à développer que les auteurs veulent y replonger.
Mais, tant qu'à moi, on a discuté de quelques éléments dont les aspirants écrivains n'ont pas conscience (notamment les impératifs commerciaux) et on a oublié l'élément primordial (qui se rappelle à moi chaque fois qu'un débutant m'envoie un de ses textes) : parce que les jeunes écrivains ne savent tout simplement pas faire court!
Que ce soit en nouvelle ou en roman, ils veulent TOUT raconter. Les vies personnelles de leurs huit personnages principaux avant le début de leur quête pour retrouver les six joyaux de la couronne perdue. (En partant, est-ce qu'on pourrait couper à quatre personnages et trois joyaux? On sauverait bien deux tomes!) L'histoire de tous les royaumes de leur continent et la biologie de toutes leurs races inventées. Les légendes entourant les méchants qui ont caché les joyaux. Et le sombre passé de la couronne démantelée. Et le menu des auberges. Et la couleur des murs. Et le détail des broderies de la robe de la princesse (parce qu'ils se sont déjà fabriquée la même pour les cosplay). Et le protocole pour recevoir des mains de ladite princesse l'épée enchantée qui servira à abattre le dernier gardien du dernier joyau (celui qu'ils récupéreront dans le tome 8). Et les règles de la magie, bien sûr, ou même des magies, parce que les anciens dieux pis les nouveaux... Ah c'est vrai, faut parler des dieux aussi...
Bref, ça finit pu!
Et souvent, la mise en scène n'est pas au point. Chaque élément que l'auteur trouve important nous est présenté séparément (et souvent raconté plutôt que montré). Les personnages, un par un. Les légendes, une à une. La biologie de l'un. Le menu de l'auberge. On fait un détour par une chapelle pour jaser religion (quand ça nous est pas balancé dans une longue info dump au hasard d'un sentier). Ils n'ont pas le réflexe de créer un chapitre où personnage A entend personnage B, de passage dans son village, raconter quelques légendes avant de discuter avec la serveuse du menu, parce qu'en tant que membre de la race X ou de la religion Z, il ne peut pas avaler de gluten.
Résultat : ils écrivent longuement, mais c'est vide. Il ne se passe rien. Et quand on leur fait remarquer, ils rajoutent des péripéties (personnage A se fait voler sa bourse et doit courir derrière le voleur), pour insuffler un peu d'action... ce qui rallonge encore le texte!
Et savez-vous quoi? Je crois que c'est parfaitement normal. En tant qu'écrivain, on passe tous par là! (Oui, il y a, dans les tréfonds de mon ordinateur, une série de fantasy en plusieurs tomes! Parlez-en à mon chum, il s'étouffera à moitié de rire en disant "les oiseaux"...) Que celui qui n'a pas écrit 50 000 mots absolument superflus juste pour le plaisir de ne plus être soumis à des productions écrites de 500 mots jette la première pierre! En plus, souvent les jeunes écrivains se racontent leur histoire au fur et à mesure qu'ils l'écrivent. Ils n'ont pas appris à se faire des fiches de personnages, des fiches de villes, des notes sur l'écologie. Ils ont besoin de mettre toutes leurs explications dans le texte.
Cependant, après s'être payé ce luxe de mots, cette détente, je crois qu'il faut que les jeunes écrivains réapprennent à faire court. À économiser, non pas leurs mots, mais la patience, l'intérêt et le temps de leur lecteur. Je ne dis pas qu'ils ne peuvent pas écrire une série en 7 tomes de 200 000 mots chacun. Cependant, il faudra qu'il s'y passe énormément d'événements utiles à une intrigue complexe (et idéalement, que chaque tome contienne sont intrigue propre, liées aux autres par un grand arc narratif). Pas que le premier tome serve juste à présenter les personnages.
(Mais Tolkien, lui? C'est ça qu'il a fait! Ça lui prend tout le premier livre, pour... Ben oui, mais revenez-en de Tolkien! Y'é mort depuis longtemps! Pis on a appris bien des choses sur la mise en scène et les procédés narratifs depuis.)
S'il ne se passe rien dans le tome 1, ça risque de faire une série qui va s'écraser, faute d'intérêt des lecteurs et de ventes, et dans laquelle l'éditeur (triste constat sur les pratiques éditoriales actuelles) mettra la hache.
Maintenant, comment apprendre cette économie aux jeunes écrivains? Comment leur faire découvrir les joies de la mise en scène judicieuse? Je suppose que passer à travers leurs romans avec une tronçonneuse est une méthode possible, mais ça requiert une personne désirant se dévouer à lire et charcuter les 7 tomes de 200 000 mots ci-haut mentionnés! Et un écrivain qui a envie de réécrire le tout ensuite! (En sachant qu'il a probablement vieilli et évolué pendant l'écriture et que son tome 1 ne lui plaira peut-être plus tellement.)
Personnellement, j'ai appris en ateliers, grâce à la nouvelle.
C'est merveilleux la nouvelle, parce que vous avez un nombre fixe de mots (mais quand même plus généreux que les limites des maudites productions écrites du secondaire) et vous devez y faire entrer une histoire. Quand je relis mes premiers textes, ouille, mettons qu'en 3000 mots j'arrivais pas à raconter grand chose. Surtout quand je compare avec ce que j'ai fait ensuite en 1000 mots!
Pour moi, c'est ça le secret : il faut mettre les jeunes écrivains au contact de la forme brève. Parce que c'est un laboratoire d'expérimentation, parce que c'est moins décourageant à retravailler, parce que c'est (un peu) plus facile à faire publier, mais, surtout, parce que ça nous apprend à aller à l'essentiel, à mettre en scène, à évoquer, à condenser.
Cela dit, je conseille de ne pas trop s'attarder à la forme brève une fois qu'on a compris le principe, sinon on risque de se retrouver, quarante nouvelles plus tard, à bûcher sur ses romans, parce que maudit que c'est long de produire 60 000 mots... :p
12 commentaires:
hihihiiiiii! Les oiseaux! :P
@Vincent : CQFD :p
Je dois avouer que, avec rétrospection, je me retrouve un peu dans ce que tu décris ici! J'ai tendance à m'éparpiller et à complexifier (voire surcomplexifier!) mes écrits. J'irais même à croire que, parfois, cela dissimule l'intrigue dans un flou confus. Par contre, je suis soulagé de voir que je ne suis pas le seul à vivre cette situation et qu'il s'agisse d'un pas que plusieurs semblent franchir!
Et, effectivement, les ateliers au secondaire sont trop courts et, malheureusement, j'ai toujours eu l'impression que l'on passait beaucoup plus de temps à travailler sur des textes argumentatifs plutôt qu'à créer des nouvelles ou des histoires!
Je crois que tout le monde rêve sincèrement, en premier lieu, d'écrire une série en sept tomes! Tout le monde. (Sifflements!)
Mais pour toutes les innombrables raisons que tu nommes, on peut bien souvent mettre la hache dans les deux-tiers et condenser le tiers restant et on se rend compte que... non, on a pas à tout dire, ni à tout décrire. Non, on est pas obligé d'aller si loin dans les infos. Oui, le lecteur comblera de lui-même les trous, il faut surtout l'art de le guider sur cette voie pour un auteur.
Ceci dit, les sept tomes peuvent servir à l'apprenti auteur. Ils formeront la base de son arrière-monde, qu'il est toujours utile d'écrire... mais pas de publier!
J'ai entendu à plusieurs reprises dans la dernière année de jeunes auteurs clamer: "Wow, cet univers que j'ai inventé et tellement vaste, il y a tellement de possibilités, je pourrais y tenir toute une série de romans".
Et la plupart du temps... leur enthousiasme n'est absolument pas mérité. Dans les pires cas, l'idée "géniale" qui soutient leur univers pourrait peut-être soutenir une nouvelle, mais guère plus, et même là cela nécessitera d'autres blocs solides (personnages forts, intrigues solides, etc.)
Je suis donc d'accord avec toi. Quand on a une idée d'histoire, vouloir la raconter dans le cadre d'une nouvelle est un bon réflexe. Et une fois que c'est fait, si on se rend compte que ça déborde réellement de possibilités... on est bien mieux placé pour planifier un texte plus long, ou encore une suite! Et ce n'est jamais du plagiat que de s'inspirer ses propres textes!
@Eiffel : "parfois, cela dissimule l'intrigue dans un flou confus." Oui! Voilà le problème en effet! (Et ça c'est si ça n'a pas endormi le lecteur avant qu'on arrive à l'intrigue! lol!) Mais oui, c'est un problème commun et... euh ben on se rejasera de ton cas spécifique! ;)
@Prospéryne : Oui, je crois aussi qu'on rêve tous d'écrire une série à rallonge (quoique la génération Tolkien dont je fais partie voulait surtout écrire des trilogies! ;) Avec le temps, j'en viens à penser que, surtout en littérature de genre, il faut absolument laisser des trous au lecteur, des paysages esquissés qu'il sera libre d'explorer lui-même dans sa tête. Sinon, quel est l'intérêt pour lui de visiter un monde où il n'a plus la place d'imaginer?
Cela dit, en effet, écrire les sept tomes (ou, mettons les deux premiers), ça permet de se familiariser avec le concept du worldbuilding et, qui sait, vingt ans plus tard, ça peut servir de toile de fond aux aventures d'une épée nouille et d'un roi des voleurs! :P (Dania et Sakirel sortent directement du monde que j'avais créé pour ma trilogie de jadis et pour nos parties de Donjons et Dragons! lol!)
@Alain : Mais là, voyons, ils ont inventé 3 continents, 24 pays, 36 cultures, 4 nouvelles races, 2 langues (le Commun et le Pas Commun)... lol! Comme si tout ça n'avait pas déjà été fait mille fois! ;)
En effet, souvent l'idée géniale suffira tout juste à une nouvelle. Oh, c'est pas leur monde inventé le problème, c'est que, comme tu le soulignes, ils n'ont pas pensé aux personnages et à l'intrigue (et encore moins aux thèmes sous-jacents!).
Et oui, si vraiment le monde est assez riche pour y situer ensuite un roman ou d'autres nouvelles, plusieurs écrivains se sont inspiré de leur propre matériel pour le développer (je pense à Alain Bergeron et à Phaos entre autres). Déjà, avec la nouvelle, ils auront appris à repérer l'essentiel d'un texte. (Et à écrire, parce que des fois c'est pas tout à fait au point non plus!)
Je suis coupable, votre honneur.
@M : lol! On l'est tous! ;)
La construction d'univers étant propice à la sérialité, il est normal que l'écrivain débutant s'emporte dans celui-ci. L'exemple de Tolkien est souvent mentionné et à juste titre. Le problème, c'est que Tolkien utilisait des procédés littéraires qui étaient déjà surannés au moment de la publication de son oeuvre, laquelle, d'un point de vue formel, fait très 19e siècle.
Sans aller jusque dans les avant-gardes, il y a moyen de trouver un entre-deux en guise de modèle formel. Jack Vance, Glen Cook me viennent spontanément à l'esprit, puisqu'il est surtout question, dans ton billet, de fantasy.
Marc Gaudreault.
@Marc : Le problème c'est que Tolkien, à la base, n'écrivait pas pour publier! lol! (On se rappellera que tout ça est parti d'histoires destinées à endormir ses enfants!)
Pis, euh, Jack Vance il est aussi tombé une couple de fois dans le "promenons-nous pendant un tome dans tous les recoins de mon univers parce que j'ai pris la peine de l'inventer, alors venez le visiter!".
Et tant qu'à moi, qu'il s'agisse de fantasy ou de science-fiction, le même travers d'emportement dans le worldbuilding peut se retrouver. Pour moi, c'est avant tout une question de faire passer son monde avant son récit.
Coupable aussi. En 1997, j'avais décidé d'écrire une grande saga familiale en plusieurs tomes, qui racontait la dégénérescence d'une famille au fin des générations. Le premier volume s'intitulait Les ravages de l'hiver. Ça commençait par un plombier qui se faisait bouffer par une cannibale. Au final, après des années de réécriture et réécriture, ça a donné Jardin de chair, un roman de 35 000 mots. Il y a des notes pour une suite, mais je pense pas que ça va arriver.
@Frédéric : lol! Voilà qui illustre bien mon propos : tout n'est pas à jeter, mais disons qu'on explore beaucoup quand on débute! (Et c'est moi où l'idée des suites perd son attrait avec le temps... à part en jeunesse, mais c'est parce que c'est si court!)
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