vendredi 21 décembre 2018

Direction littéraire (9) - Le style

Ironiquement, quand le directeur littéraire travaille sur le style du texte (plutôt que sur le fond), c'est soit parce que le texte est de très bon niveau et qu'il n'y a pas grand chose d'autre à faire, soit parce que le texte n'est vraiment pas publiable en l'état et qu'il faut le réécrire à la place de l'auteur pour lui enseigner les notions qui lui manquent. Dans les deux cas, on s'attardera aux mêmes éléments : éviter le telling, varier la syntaxe, ménager les adverbes, préciser le vocabulaire, etc, mais dans un bon texte, on fera moins de commentaires!

Oh et j'allais oublier : si les autres aspects de la direction littéraire peuvent être traités pas mal dans n'importe quel ordre (et le plus souvent tous en même temps), le style, lui, est toujours le dernier aspect touché. Comme ça, on évite de polir des phrases qui devront être réécrites ou sacrifiées! 

C'est quoi ça du telling?

Ça veut dire que l'auteur nous dit les choses au lieu de nous les montrer. Par exemple, il écrit "Anna était terrifiée", alors qu'en fait "Anna, la bouche sèche, entend son coeur battre dans ses tempes et doit s'appuyer au mur pour éviter que ses jambes ne se dérobent."

On prend tous des raccourcis semblables en écrivant, souvent afin de passer plus rapidement sur un élément moins important. Cependant, si on prend un raccourci au mauvais moment, le directeur littéraire nous le pointera et nous demandera d'y remédier.

Qu'est-ce que j'entends par varier la syntaxe?

Eh bien, en atelier, j'ai tendance à dire qu'il faut éviter d'enchaîner les phrases "sujet-verbe-complément", mais je me rends compte (en écrivant ce billet!) que ce n'est pas exactement ça. Ce qu'il faut éviter, c'est le même sujet, suivi d'un verbe et d'un complément, soit les phrases qui commencent toujours pareil. Par exemple :

Elle se lève de sa chaise. Elle s'étire pour chasser les tensions dans le bas de son dos. Elle se rend compte qu'il est tard. Elle doit appeler chez elle pour les prévenir de son retard assuré.

Ou

Elle se lève de sa chaise et s'étire pour chasser les tensions dans le bas de son dos. Se rendant compte qu'il est tard, elle s'apprête à appeler chez elle pour les prévenir de son retard assuré.

Vous devriez remarquer que le deuxième extrait est moins répétitif que le premier. Bon, ça gagnerait pas un GG non plus, mais au moins le lecteur ne s'endort pas sous la répétition des "Elle. Elle. Elle." Déjà, visuellement, c'est plus varié. En direction littéraire, je propose beaucoup de modifications du genre. (C'est l'avantage de ne pas avoir écrit le texte : les répétitions syntaxiques nous sautent aux yeux!)

Pourquoi est-ce que je parle de ménager les adverbes?

Parce que la fonction d'un adverbe, c'est d'apporter une modification, une précision ou un complément à un verbe (et donc à la phrase où on le retrouve). Si vous avez besoin de mettre des adverbes partout, cela pourrait signifier que vos phrases, dans leur état de base, sont incomplètes ou imprécises (ou les deux). Si c'est vrai, vous devez apprendre à écrire de manière plus précise et complète (en sachant que le recours aux adverbes est parfois inévitable). Si c'est faux et que vos phrases sont parfaitement compréhensibles sans adverbe, eh bien... enlevez-les! Vous n'y perdrez rien de toute manière! (Pis si vous êtes pas sûr que ce sera encore compréhensible... ben le directeur littéraire vous aidera à décider!)

Oh et ces deux conseils (écrivez de manière plus précise et enlevez les précisions inutiles) s'applique aussi aux adjectifs. Un adjectifs bien choisi accolé à un nom, ça frappe l'imaginaire du lecteur. Un adjectif (ou même deux!) pour accompagner chaque nom, après un bout de temps, ça ne signifie plus rien!

Écrire de manière plus précise, comment on fait ça?

En soignant son vocabulaire!

Ce qui ne signifie pas de manger son dictionnaire de synonyme (et de le vomir ensuite sur la page sans discernement), mais simplement d'utiliser les mots appropriés aux différents contextes et de privilégier les verbes d'action aux périphrases. Par exemple, on préfère "s'accouder" que "s'appuyer sur ses coudes", "s'agenouiller" plutôt que "se mettre à genoux".

Parfois, le directeur littéraire va vous encourager à faire une petite recherche Google, histoire que vous alliez chercher un vocabulaire un brin plus technique. Parce qu'un bateau n'a pas un "muret tout le tour", mais un bastingage et, selon le site de Canadian Tire, on ne dit pas "ciseaux à couper le métal", mais "cisailles à métaux".

Quand il le pourra, le directeur vous suggérera directement la modification appropriée, mais il n'est pas un maître dans tous les domaines et il n'a pas toujours l'envie/ le temps/ la possibilité de faire vos recherches à votre place. Alors parfois il va simplement écrire "Est-ce bien la bonne terminologie?" ou "Il faudrait peut-être faire une recherche sur les termes exacts".

Ce n'est pas une insulte, une remise en question de vos compétences ou un signe que votre histoire est à jeter. C'est simplement une manière d'attirer votre attention sur un point du texte qui semble moins clair, plus faible, moins crédible. Souvent, un petit tour sur Google ou sur Wikipédia ou dans un dictionnaire visuel réglera le problème. Et votre style s'en trouvera immédiatement amélioré!

Et les métaphores dans tout ça?

Les métaphores, c'est comme les adjectifs : une, bien choisie, de temps en temps, cela place l'ambiance d'un texte. Trop nombreuses, elles embrouillent le lecteur qui perdra le sens réel du texte... Sauf que la quantité acceptable dépendra beaucoup du type de texte et de son degré de poésie. Mal choisies, les métaphores risquent de faire rire quand on veut effrayer ou dégoûter quand on veut attendrir. Mal placées, elles font décrocher le lecteur de l'action. Alors, oui, vous risquez d'en parler beaucoup avec votre directeur littéraire, mais j'ai peu de principes généraux à vous présenter. Hormis que, comme tout le reste, elles devront servir votre propos et soutenir vos intentions!

Vous avez survécu?

Quand vous aurez, à grand coup de courriels, textes annotés et échanges divers, assuré la cohérence interne de votre texte, choisi le bon narrateur, réglé les problèmes de focalisation, précisé vos intentions, développé vos personnages, poli vos dialogues, travaillé votre subtilité, retiré le telling, varié votre syntaxe, éliminé les adverbes inutiles et précisé votre vocabulaire, voilà, vous aurez terminé la direction littéraire!

Bravo, vous avez survécu!

Et maintenant vous comprenez probablement pourquoi la plupart des écrivains ne s'imaginent pas publier un texte sans l'aide d'un directeur littéraire. Votre récit a sans doute changé un peu, mais, si vous avez bien exprimé vos intentions et que les échanges avec votre directeur se sont bien déroulé, vous devriez trouver la nouvelle version plus aboutie, plus proche de votre vision profonde.

Malheureusement, il pourrait aussi être plein de scories et de bouts de texte oubliés ici et là au fil des révisions.

Vous en faites pas : il reste encore la révision linguistique... (J'haïs moins ça qu'à l'époque, notamment parce que j'ai de meilleurs réviseurs, mais... Rendus là dans le processus, on voudrait tellement que ce soit fini! lolol!)

4 commentaires:

Prospéryne a dit…

Truc recommandé par ma sempaï lors d'un récent atelier d'écriture: lire son texte à voix haute pour repérer les répétitions. C'est vrai que ça saute aux oreilles. J'ai aussi trouvé que ça aidait beaucoup pour la fluidité du texte. Ça améliore le style en quelque sorte.

Autre truc: faire une recherche avec ment dans Word. Ça aide à repérer tous les adverbes! Je teste avec fai pour la prochaine fois...

Gen a dit…

@Prospéryne : Elle a donc ben des bons trucs cette sempai-là! :p

En effet, la lecture à haute voix, je crois que c'est LE truc pour polir son style. On entend tellement de choses qui, sinon, nous échapperaient!

Pat a dit…

Très intéressante série de billet, Gen, merci :)

Gen a dit…

@Pat : Hé! Longtemps que je t'avais pas lu ici! Merci pour les bons mots! (Elle m'a coûté quand même pas mal d'heures de composition cette série! lol!)