lundi 25 septembre 2017

Le Chasseur, récit socialement engagé?

La gang dynamique des Horizons Imaginaires a fait une très intéressante critique de ma novella Le Chasseur dans le cadre de leur spécial sur Montréal.

La lectrice y a notamment vu un récit engagé socialement, puisque je dépeins mon personnage aveugle non pas comme un handicapé démuni, mais comme un homme plein de ressources.

J'vais être honnête avec vous : j'ai jamais pensé en écrivant Le Chasseur que je dénonçais le "capacitisme". (Premièrement, en 2012, le mot n'était pas vraiment courant. Deuxièmement, si j'avais essayé consciemment, j'aurais sans doute appuyé un peu trop fort sur le crayon et forcé la note, en écrivant un insupportable roman "à message".)

Cela dit, j'essaie toujours de considérer mes personnages comme des êtres réels, avec leurs forces, leurs faiblesses, leurs qualités, leurs défauts... et leurs handicaps. Dans cette histoire, il était évident pour moi que Hugues, malgré sa propre impression de n'être plus bon à rien, avait encore plusieurs atouts dans sa manche. J'ai donc inventé un contexte où il se révèlerait à lui-même.

Tant mieux si ça peut ressembler à un engagement social de ma part, car c'est tout à fait vrai que je ne vois pas les handicaps comme des condamnations à l'inutilité! Tant mieux aussi si ma novella, en plus de divertir, peut servir à amoindrir certains préjugés ou à réconforter des gens atteint d'un handicap qui se sentent discriminés pour cette raison.

Après tout, toucher mes lecteurs à long terme, les aider à regarder la vie autrement, ça fait partie de mes motivations à écrire! :)

8 commentaires:

Daniel Sernine a dit…

«Capacitisme».
Soupir... :O/

Gen a dit…

@Daniel : Oui, je sais, ça me fait le même effet! :p En fait, depuis deux ans, il me semble que je vois apparaître une foule de néologismes (capacistisme, grossophobie, épouxe, heureuxe, etc) et de pseudo-néologismes (autrices, philosophesses, etc) qui me donnent des maux de tête. Mais bon, ça va finir par passer.

(Soit dit en passant, je comprends d'où ça part et quel est le malaise qui pousse à leur création, mais... mais j'ai de la misère avec cette vision qui semble vouloir atteindre l'égalité des sexes en différenciant les genres au maximum au lieu de les regrouper ensemble sous les vocables le plus neutre possible...)

Unknown a dit…

@Gen Je t'avoue qu'en lisant l'article de Francesca, ça m'a donné très envie de découvrir ta novella. Je ne connaissais pas le terme de «capacitiste» en français non plus, et pourtant, j'ai un peu travaillé dans un centre de recherche sur le handicap et les troubles d'apprentissage en milieu scolaire! mais on parlait et on parle toujours beaucoup de UDL (universal design for learning), inspiré de la conception universelle qui est née il y a quelques décennies, dans l'urbanisme. Ex. si on construit un nouvel édifice, on pense dès le départ à construire une entrée accessible aux chaises roulantes, mais aussi aux poussettes de bébé, aux vélos, aux chariots, etc.

L'approche anti-«capacitiste» m'apparaît toutefois comme une tendance qui existe depuis longtemps (ie. pré-millenials ;)) et je trouve que la science-fiction s'en sert souvent, peut-être sans s'en rendre compte, pour proposer des oeuvres originales, qui sortent des habitudes, des sentiers battus, etc. Au risque de devenir, dans certains cas, de nouveaux clichés. Je pense notamment aux récits de mutants, où le « handicap » qui marginalise le personnage, est présenté comme une force, comme un pouvoir à maîtriser. L'univers des X-Men, par exemple... Dans ton cas, je suis curieux de voir comment ça se présente (en sachant que tu n'y pensais pas durant l'écriture).

Mais l'idée du guerrier aveugle qui se sert de tous ses sens, ça me fait aussi penser à un trope du récit de guerrier japonais, non ? Et j'ai l'image d'un combattant style samurai, les yeux fermés, qui fait dos à son ennemi, et qui reconnaît la différence, et qui visualise ce qui se passe même s'il ne regarde pas. J'imagine que, quand on apprend plusieurs arts martiaux, on nous enseigne à nous servir de nos autres sens pour maîtriser la situation, le terrain, le rapport avec l'adversaire, etc. ?

(Et petite question plus ou moins hors-sujet : sais-tu si d'autres novellas sont censées paraître aux Six Brumes, dans cette collection ?)

Mathieu a dit…

@Gen (Et c'est Mathieu, en haut... :P )

Alain a dit…

Utiliser la fiction pour discuter de problématiques contemporaines n'est pas une pratique nouvelle, et appuyer trop lourdement sur le message n'est pas nouveau non plus.

J'ai lu plusieurs nouvelles récemment qui s'effondraient parce que l'auteur avait donné à ses personnages évoluant dans le passé/le futur/un univers fantastique des attitudes beaucoup trop proches des sensibilités modernes - ce n'est pas un bon signe quand le dialogue entre les personnages ressemble à un groupe de support sur FB.

Notre société a le luxe de se questionner et de réfléchir sur toutes sortes de problématiques sociales. Ces questions sont importantes, évidemment - mais elles sont importantes dans un contexte où nous ne luttons pas quotidiennement pour notre survie, nous avons un toit et mangeons à notre faim. Une société qui connaît régulièrement la famine n'aura pas le même rapport au capacitisme, par exemple.

Daniel Sernine a dit…

«Une société qui connaît régulièrement la famine n'aura pas le même rapport au capacitisme, par exemple.»
En effet, Alain. Les handicapés, on les mangerait. Tout petits, car on n'aurait pas les moyens de les élever.

Gen a dit…

@Mathieu : L'idée du Chasseur est née quand j'ai commencé le jiu-jitsu. Parce que oui, le guerrier aveugle, c'est un trope japonais, mais... ben c'est de la bullshit! S'il n'est pas doué de capacités magiques (le fameux chi), l'aveugle peut peut-être donner quelques coups à peu près bien visés et en parer une couple, mais il va finir par se prendre une méchante tape sur la gueule, parce que non, dans la vraie vie, on ne repère pas TOUS les mouvements au son (c'est trop facile de camoufler).

Par contre, au jiu-jitsu, une fois qu'on tient l'adversaire et qu'on est proche de lui (ce qui neutralise les coups avec long élan, soit les plus dangereux et ceux qui peuvent dévier le plus), là on peut sentir les mouvements et combattre réellement sans voir (d'ailleurs, ça arrive assez souvent qu'on a les yeux collés dans la poitrine de l'adversaire ou qu'il est carrément derrière nous).

C'est suite à ce constat que j'ai imaginé Le Chasseur.

Et oui, c'est vrai, je n'avais pas pensé au handicap "mutant" comme quelque chose qui relevait de cette même catégorie d'anti-capacitisme.

Gen a dit…

@Alain : Ah, les anachronismes socio-psychologiques! Parle-moi du truc qui fait dresser les cheveux sur la tête de l'historienne!!! (Les romans érotiques et les romans d'amour situés dans le passé sont particulièrement riches en transpositions du genre. Tsé quand ta princesse troyenne organise quasiment une marche contre la culture du viol... O.o)

@Daniel : Sans aller jusqu'à les manger (le tabou contre le canibalisme est quand même très fort chez l'humain), il faut simplement se rendre compte que la plupart de nos handicapés actuels n'auraient tout simplement pas survécu avec une médecine moins avancée que la nôtre.

Et cette discussion sur les luttes sociales qu'on peut désormais "se permettre" me rappelle une amie qui croyait dur comme fer, quand je l'ai rencontrée, que la dépression avait été inventée par notre société. "La dépression, disait-elle, ça n'existe pas en Afrique". "T'as raison, lui ai-je dit, on appelle ça des morts". Elle n'avait pas compris ce que je voulais dire, jusqu'à ce que je lui fasse prendre conscience que dans un contexte de lutte pour la survie, celui qui n'a pas les moyens de lutter (parce qu'il est trop déprimé pour bouger ou handicapé d'une manière ou d'une autre), ben la plupart du temps il meurt. Les enfants ont un petit répit parce que les mères vont se sacrifier pour eux, mais y'a pas de pitié pour les adultes.