mercredi 19 juin 2013

En carton, unidimensionnel et vrai

J’ai déjà entendu des gens se demander ce qu’est un personnage en carton ou un personnage unidimensionnel, par rapport à un « bon » personnage. Bon, j’ai pas la science infuse, mais une lecture récente m’a inspirée.

Prenons, pour l’exemple, la même situation, qu’on pourrait retrouver dans un roman policier :

Un enquêteur doit se défendre d’une attaque au couteau dans une ruelle, puis identifier un reste de poisson abandonné sur les lieux d’un crime, discuter avec ses collègues, puis aller chez lui souper.

Le personnage en carton va se défendre sans mal de l’attaque parce que, apprend-on au moment de l’attaque, il est ceinture noire en arts martiaux. Puis il va identifier le poisson sans mal, parce que c’est un grand pêcheur dans ses loisirs. La discussion avec ses collègues va consister à un échange d’information court et rapide. Puis il rentrera souper dans son appartement vide ou, à la limite, peuplé par une famille avec laquelle il a peu de liens.

En somme, le personnage en carton est un corps plaqué par-dessus les habiletés dont l’auteur a besoin pour faire avancer l’histoire. Il n’a pas de passé, pas d’avenir, pas de motivations,  pas de personnalité, mais il est là au bon moment, avec les bons outils.

Le personnage unidimensionnel, lui, a probablement commencé l’histoire dans un gym d’arts martiaux, où un des autres personnages l’a remercié pour le poisson qu’il lui a offert en revenant de son voyage de pêche. Ensuite quand le personnage se fait attaquer et identifie le poisson, on ne s’en étonne pas. Pendant la discussion avec les collègues, il fera preuve d’un esprit gentiment compétitif, mais économe de mots, qui va bien avec la figure du pêcheur silencieux ou du maître d’armes martiaux. Chez lui, le personnage sera accueilli par une compagne ou des enfants qui ne comprennent pas pourquoi il accorde autant de place à son travail.

Ça vous dit quelque chose comme modèle d’histoire? Ben c’est le film américain classique. Le héros est taillé sur mesure pour affronter les épreuves qu’on lui balance. Il a un but dans la vie, mais c’est de surmonter, justement, le genre d’épreuve qu’il rencontre. Il n’a aucun talent qui ne seront pas utilisés dans le scénario. Et s’il a une famille, elle finira par être menacée ou pire. Rien d'inutile dans les récits unidimensionnels. Tout est au service de l'histoire. Elle peut être bonne ou non, reste que le personnage sera fade.

Le personnage « vrai », lui pourrait se faire amocher dans la ruelle. Ou identifier le poisson de façon provisoire, parce que son fils est un passionné de la vie aquatique. Durant la discussion avec ses collègues, il échangera de l’information, mais pourrait aussi, selon son tempérament, faire des farces, se moquer d’un patron, s’inquiéter d’un ami ou jaser de ses plans pour la fin de semaine… On pourra sentir, à ce moment, pourquoi le personnage est devenu enquêteur : par sens de la justice, par altruisme, par goût du risque, par défaut, etc.  Finalement, le souper de famille devrait donner l’impression qu’il y a une vraie famille autour du personnage. Des gens qui ont chacun leurs buts dans la vie, leur curiosité. Et si on découvre que le plat préféré du personnage est la lasagne ou que sa fille aînée est sexy, cela n’aura pas nécessairement d’impact sur le récit.

Bref, le personnage « vrai », le « bon » personnage doit, à mon sens, donner l’impression qu’il existait avant le récit, qu’il existera après et, surtout, surtout, qu’il a des habiletés, des intérêts, des motivations et des sentiments en dehors de ceux qui conviennent à l’auteur pour faire avancer le récit.
 
Maintenant, c'est plus facile à dire qu'à écrire...  

11 commentaires:

Guillaume Voisine a dit…

Ta lecture récente... 1) c'est quoi? (allez, allez!) 2) ça démontrait quel type de personnage?

Et ouais, c'est pas nécessairement facile de bien doser le tout. Trop d'information qui ne sert pas le récit peut nuire au récit. Mais je suis d'accord avec toi que si chaque parcelle d'information sert, ça semble un peu artificiel.

Cela dit, j'ai l'impression que tout ce que tu dis s'applique pas mal plus au roman qu'à la nouvelle, où le dosage des informations doit être dramatiquement plus recentré près du minimum nécessaire.

Mais moi aussi, ce que j'infuse, c'est du thé, pas de la science ;)

Prospéryne a dit…

Oh! Avec ce billet Gen, je crois que tu viens de me faire découvrir pourquoi j'aime si peu les romans policiers: il y a trop de personnages unidimensionnels dans ceux-ci pour mon goût. Je me rends compte que tous les policiers que j'ai lu et aimé sont ceux où l'enquêteur a une vie en dehors du boulot! :)

Gen a dit…

@Guillaume : Je viens de lire pas mal de personnages en carton, mais non, je ne vais nommer personne! ;p

T'as raison : l'excès d'information inutile n'est pas mieux. Faut savoir doser...

Cela dit, je crois au contraire qu'avec la nouvelle c'est encore plus facile de donner l'impression que le personnage arrive de quelque part avant que l'action commence et s'en va quelque part lorsqu'elle se termine... mais c'est ptêt juste moi! ;)

@Prospéryne : En effet, les personnages de roman policier sont souvent au service de l'intrigue, ce qui les rend unidimensionnels. Idem pour les personnages de fantasy qu'on pourrait définir d'un mot "l'elfe", "le guerrier", "le voleur", etc, selon les catégories "Tolkienyennes" ou les classes traditionnelles des systèmes de jeux de rôle.

Vincent a dit…

Si je comprends bien, je suis un personnage en carton alors? :P Hahaha!

Gen a dit…

@Vincent : Non, tu vas probablement devenir vert en voyant le poisson et aller vomir après l'avoir identifié parce que ton père t'a déjà traîné à la pèche, mais tu ne tolères pas le poisson! :p

La doyenne a dit…

Effectivement, c'est plus facile à dire qu'à faire. Surtout si on veut garder l'intérêt du lecteur. Un tour de funambule, en somme.

Vincent a dit…

C'est vrai que je ne suis pas un pêcheur du tout. ^^

Nomadesse a dit…

J'aime bien les romans policiers d'Arnaldur Indridasson parce que j'ai justement l'impression que ses personnages sont vrais: plusieurs choses ne servent "à rien". En fait Geneviève, ces éléments servent à quelque chose d'essentiel: à nous faire connaître le personnage, sa personnalité, ses soucis...

Gen a dit…

@La doyenne : Oui, ça tient effectivement du funambulisme... mais bon, on n'est pas à une acrobatie près! ;)

@Vincent : plutôt pécheur que pêcheur en effet! hihihihi ;)

@Nomadesse : Ouf, le seul roman d'Indridasson que j'ai lu m'a donné l'impression inverse : y'avait trop de superflu, amené de façon assez ennuyante. J'suis ptêt juste mal tombée... Mais, comme tu dis, ce superflu, quand il est bien dosé et bien introduit a son utilité! :)

Hélène a dit…

Je seconde Guillaume: c'est quoi, c'est quoi? Et puis pour me faire l'avocate du diable, c'est vrai qu'on peut facilement pencher dans l'information inutile qui n'apporte aucune dimension au perso. J'ai lu récemment une auteure réputée dont les références culinaires et vestimentaires m'ont laissée perplexe. On sentait que c'était "plogué" là pour la causerie, ça ne servait ni l'histoire, ni la psychologie du personnage, ni les relations entre eux. (Ex: chandail bleu ou chandail vert?) Ça aurait pu sauter à la révision sans changer quoi que ce soit, et c'est là la différence avec les éléments qui étoffent les personnages.

Gen a dit…

@Hélène : En effet, des fois les détails sont de trop. J'pense qu'il faut garder une certaine proportion "superflu vs longueur du texte". Mais pour ce qui est de la part exacte, là je tâtonne encore! ;)