On vient donc de créer, plus que jamais, deux classes de citoyens : les vulnérables (et leurs descendants) et les bien portants.
Les biens portants sont invités à risquer d'attraper le virus, à envoyer leurs enfants à l'école et à retourner au travail. Mais pas à visiter leurs amis ou leur famille, même si elle est bien portante. Non, on travaille, on étudie. C'est tout.
Les vulnérables, eux, peuvent continuer à moisir dans leur solitude et/ou à s'arracher les cheveux pour concilier télétravail et école à la maison des enfants.
Je ne peux pas m'empêcher de trouver que ce n'est pas une solution. (Pis là je veux pas jouer la gérante d'estrade ou l'experte auto-proclamée, j'essaie juste de réfléchir à une alternative.)
Premièrement, la réouverture des écoles, ça place bien des gens dans le même dilemme que moi : qui est-ce que je pénalise? Ma fille esseulée ou mon chum vulnérable?
Deuxièmement, ça empêche encore le retour au travail d'une grande partie de la population. Parce que tous les gens vulnérables ne vivent pas en CHSLD! Les asthmatiques, les diabétiques, les greffés, les cardiaques... Beaucoup travaillent.
Et si la solution au problème actuel - faudrait s'occuper des enfants pour que les parents puissent travailler - était ailleurs? Et si elle s'appelait "Oikos"?
Oikos, c'est pas seulement une marque de yogourt. À l'origine, c'est un mot de grec ancien qui veut dire "maisonnée".
C'est aussi un système économique que j'ai imaginé (ou plutôt actualisé) pour une nouvelle d'anticipation intitulée "Oikos cherche cuisinière". (Publiée dans le numéro 210 de la revue Solaris, c'est ici pour l'acheter si ça vous intéresse! ;)
En gros, plusieurs familles s'y regroupaient pour survivre, se partageant les tâches : l'une éduquait les enfants, un autre jardinait, un troisième travaillait à l'extérieur...
Dans mon histoire, tout le monde s'entassait dans la même maison, pour des raisons financières. Avec les règles actuelles de distanciation sociale, il faudrait sans doute faire ça aussi et ça créerait autant de problème que ça en réglerait.
Mais si on assouplissait les règles du confinement, ce ne serait pas nécessaire. Trois ou quatre familles habitant à des adresses différentes pourraient former un oikos décentralisé et s'entraider. On regroupe les enfants dans la même maison, idéalement une demeure avec une cour, où on crée un espace "école". Les parents y alternent. L'un enseigne des maths, un autre du français. Les enfants socialisent. Pas tous du même âge? Peu importe : ils s'entraideront, style "école de rang". Les autres parents peuvent télétravailler pendant ce temps-là. S'il y en a qui doivent aller travailler à l'extérieur, on les installe au même endroit et on limite leurs contacts avec le reste de la gang, mais au moins ils peuvent socialiser entre eux, personne n'est seul avec son anxiété. On fait livrer une gigantesque épicerie à une seule adresse. Bref, on limite les contacts avec l'extérieur, comme maintenant, mais on se permet, à l'intérieur du groupe, de recommencer à vivre, à manger ensemble. Au lieu de rester chacun dans notre petite bulle, on l'agrandit juste un peu. On s'épaule. Et, surtout, on protège, tous ensemble, la santé physique ET mentale des plus vulnérables, on les intègre au groupe, avec des mesures d'hygiène renforcées au besoin, on ne les force pas à un confinement solitaire interminable.
Oui, ça implique que tout le monde fait confiance à tous les membres du groupe... mais entre vous et moi, je peux facilement penser à 5 ou 6 personnes à qui je ferais confiance aisément. Plus, en tout cas, qu'aux 28 parents inconnus des 14 autres enfants du groupe scolaire dans lequel je devrai bientôt envoyer ma fille. Et puis on peut garder une certaine distanciation sociale dans le groupe. Suffit de pas s'asseoir trop serrés autour de la table pour souper!
"C'est une commune!" me diront certains. Et alors? C'est peut-être la solution au problème présent. Ça n'a pas besoin d'être permanent. Mais il me semble que ça rendrait le temporaire plus tolérable...
Cela dit, pour moi, le temps file trop vite pour que j'organise tout ça, alors ça restera sans doute un rêve... ou ça deviendra un roman. ;)
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