mercredi 25 juillet 2018

La question du recul

Je suis une spécialiste de l'Antiquité romaine et du Japon féodal.

Pendant mes études, je disais en farce que, pour moi, l'Histoire, c'est ce qui est arrivé avant 1850. Après, c'est de la généalogie ou des faits divers.

Les années ayant passé, je me rends compte que ma boutade a un fond de vérité.

Il faut un certain recul sur les événements pour pouvoir les analyser correctement. Parlez-en aux historiens qui, entre 1918 à 1938, essayaient d'analyser les "conséquences de la Première Guerre Mondiale". J'me demande s'ils avaient tous prévu que ça leur pèterait dans la face en 1939...

Et pourtant, de notre point de vue, c'était hautement prévisible.

Cependant, est-ce que toutes les conséquences de ces deux guerres sont terminées? Hum... Est-ce que les États-Unis sont encore une grande puissance économique mondiale? Alors non, les conséquences des deux guerres ne sont pas terminées. Et là j'évoque juste celle dont je me rappelle (parmi les autres faits divers de cette époque troublée).

Quand ils sont trop récents, les faits sont chargés d'émotions, leurs conséquences ont des ramifications qu'on a du mal à appréhender, comme des racines qui courent sous la surface de notre monde et l'ébranlent de temps à autres. Au milieu de la secousse, on pense à s'agripper à quelque chose de stable, pas à creuser pour déterrer les racines et comprendre d'où elles viennent.

Ces temps-ci, au milieu des discussions sur le langage non binaire et l'appropriation culturelle, j'ai vraiment l'impression d'être plongée en plein fait divers à répercussion historique probable, mais impossible à quantifier. Les secousses sont fortes. Les racines sont à vif et remuent.

Mais pour une grande partie de la population québécoise (genre 70%!), le débat n'a pas de sens. Cette majorité ne se fait pas approprier sa culture, n'a pas de problème de genre... Je me demande donc ce qui restera, pour les descendants de cette majorité-là, de toutes ces secousses qui nous remuent...

Et, accessoirement, cette réflexion me rappelle que, quand on écrit un roman historique, il faut raconter les événements en prenant compte non pas des conséquences réelles des événements, mais bien des conséquences appréhendées par les personnages.

4 commentaires:

Alain a dit…

Dans une société qui comporte des millions d'habitants, il est de plus prévisible que toute décision ou événement aura des conséquences inattendues sur d'autres segments de la population. Les problématiques n'existent pas en vase clos.

Quand en plus je vois certains activistes qui montrent une vision simpliste des dynamiques sociales, je me dis qu'effectivement, un peu de recul serait présentement nécessaire.

Prospéryne a dit…

Le monde est incroyablement complexe, comme le démontre le proverbial battement de papillon qui cause une tempête à l'autre bout du monde. C'est donc qu'il faut se détacher, regarder les causes et les effets, mais tout ça se joue sur le long terme. L'événementiel devient alors au service de ces grandes lames de fond et non pas leur source.

C'est un erreur fréquente de penser que l'Histoire est une longue liste de faits et de dates: l'Histoire, c'est le récit de l'évolution et de la transformation des sociétés humaines et de leur environnement. Comme disait un de mes profs d'histoire à l'université, il y a trois niveaux à l'histoire: l'événementiel, dont tous les contemporains sont au courant (guerre, mort et naissance des rois, épidémies, catastrophes naturelles, etc), le conjoncturel (changements qui affectent tout le monde comme la révolution industrielle, mais qui sont étirés dans le temps, mais dont les contemporains ont conscience qui se résume par la phrase «c'est plus comme avant») et le structurel (qu'on peut voir uniquement lorsque l'on est rendu plus loin dans le temps).

Alors, pour bien comprendre l'Histoire comme tu dis, ça prend du recul! Et du temps!

Anonyme a dit…

je me rappelle avoir eu un peu la même impression en lisant un livre qui retraçait l'histoire du sport. À partir de la fin des années 1800, la façon d'aborder le sujet changeait complètement. Il y avait une nette transition où l'auteur n'arrivait plus à avoir le même recul face aux sports et aux sociétés qu'il décrivait. Les faits et évènements étaient présentés de façon plus isolés.

Gen a dit…

@Alain : Oui, je pensais effectivement aux problèmes complexes présentés de manière simpliste, ainsi qu'aux débats importés sans recul, sans penser aux contextes différents.

@Prospéryne : Et même le conjoncturel "c'est plus comme avant", on s'entend que toutes les générations l'ont répétées, même quand elles n'avaient pas vécu vraiment de changement! lol! Les jeunes ont toujours été mal élevés, mal éduqués (O tempora, O mores!) :p

Mais oui, pour comprendre l'Histoire et les dynamiques, faut du recul, regarder autre chose que notre propre réalité.

@Anonyme : Excellente observation! C'est effectivement souvent le cas dans tous les livres qui prétendent retracer "l'histoire de..." Avant 1800 ou 1900, on a de grandes tendances et puis quand on se rapproche de maintenant, on dirait soudainement que chaque individu révolutionne les manières de faire... mais à une échelle microscopique, dont on se rappellera probablement pas dans 200 ans!