Ceux qui ont subi mes ateliers le savent : je commente beaucoup la structure d'un récit lorsque j'en fais une lecture critique.
Souvent, ça étonne les gens, même les autres écrivains. Ils s'attendent à ce qu'une auteure s'attarde au choix des mots, au style des phrases, mais pas à l'ordre des événements racontés.
Et pourtant! Il me semble que la structure d'un récit, c'est le matériel de base pour saisir et retenir l'attention d'un lecteur. (Ou d'un téléspectateur, comme les séries télévisées modernes l'ont compris.)
Bien sûr, quand on met en scène une aventure trépidante, il n'y a pas de problème à la raconter dans l'ordre chronologique.
Mais si l'action est un peu moins présente ou si on veut ménager des surprises à notre lecteur, il y a quelques petites astuces structurelles qui peuvent nous être utiles. Aucune n'est révolutionnaire, tous ont déjà été utilisées, mais dans les bonnes circonstances, elles font leur effet. Par exemple...
Il est possible de dynamiser un récit simplement en changeant la longueur des chapitres (surtout si l'histoire alterne entre plusieurs narrateurs, car les chapitres courts permettent au lecteur de n'être jamais séparé trop longtemps d'un personnage) ou en modifiant le moment où les coupures se produisent (chaque chapitre n'a pas à se terminer sur un suspense, un moment donné, trop de cliffhanger, c'est comme pas assez!, mais un de temps en temps ça ne fait pas de mal).
On peut aussi commencer l'histoire "par le milieu" (in media res) et alterner les chapitres (ou séquences courtes) où l'action se déroule de manière chronologique avec des chapitres de flashback qui révéleront peu à peu les événements antérieurs et le passé des personnages. Très utile si le passé des personnages contient des surprises pouvant influencer les événements en cours.
Dans le même genre, certains aiment insérer au début du récit une scène, souvent houleuse, qui se déroulera plus loin dans l'histoire, afin que le lecteur demeure dans l'expectative. C'est particulièrement efficace si les circonstances entourant cette scène d'ouverture (lieux, personnages, etc) semblent se retrouver à plus d'un moment dans le roman. Chaque fois, le lecteur se demandera "est-ce maintenant que ça va arriver?".
Ou encore, l'histoire peut aussi être racontée dans un désordre apparemment total, mais au fond soigneusement conçu pour divulguer les informations au compte-goutte et tenir le lecteur en haleine. (Je vous avouerai que je n'ai pas encore essayé cette méthode narrative, mon esprit cartésien ne voyant pas trop comment l'appliquer.)
Bref, si on se permet de jouer avec la structure du récit, on peut créer des effets très intéressants. Je ne crois pas que ce serait suffisant pour rendre passionnante une histoire super cliché, mais en présence d'une intrigue un peu lente, ça peut insuffler une dose de suspense.
Qu'est-ce que vous en dites?
Connaissez-vous d'autres structures narratives qui sortent de l'ordinaire?
8 commentaires:
Il doit bien y avoir moyen de commencer l'histoire par la fin et de remonter à reculon jusqu'au début... mais je ne te ferai pas croire que j'en ai déjà vu des exemples, ni que je sais comment ça marcherait. Un exercice de style pour une autre fois!
Dickner est un maître dans la déconstruction des histoires et la superposition des temps. Je pense à Six degrés de liberté... C'était quelque chose! Ça doit prendre tout un plan pour en arriver à cela...
J'avais utilisé la méthode "foutoir-apparent, mais en fait maniaquement construit" pour structurer ma novella dans Bizarro. Je laisse les autres juger du résultat, mais je peux tout de même dire que pour l'auteur, c'est pas mal de trouble ;)
Annie Bacon: À peu de choses près, l'excellent film "Memento" de Christopher Nolan est construit comme ça.
Aussi, les structures narratives peuvent sortir de l'ordinaire par la façon dont elles gèrent la focalisation. "La horde du contrevent", avec ses 20 quelques narrateurs qui se passent le flambeau d'un paragraphe à l'autre, c'est une pas pire ride, même si les événements sont tous présentés chronologiquement.
Gen a déjà écrit une nouvelle qui commence par la fin et qui recule dans le temps à chaque scène. :)
Memento, c'est encore plus bizarre que ça. Si on dit que le film contient 8 scènes qui seraient numérotés en fonction de la chronologie, ça aurait l'air de ça:
1, 8, 2, 7, 3, 6, 4, 5
Bref, la première moitié du récit (la partie en noir et blanc) passe en ordre chronologique, mais chaque scène est intercalée par une scène de la deuxième moitié (la partie en couleur) qui se déroule à l'envers
Très réussi!
@Annie : En effet, ça pourrait se faire! :) Mais bonjour les maux de tête! :)
@Nomadesse : Faudrait que je finisse par le lire, lui! (Il est dans ma liste, mais là je suis comme qui dirait prise côté lectures... ;)
@Guillaume : Oui, je pensais à toi et à ta nouvelle en parlant du "foutoir apparent". Faudra que tu m'expliques comment tu t'y étais pris pour déterminer l'ordre des scènes. Les as-tu écrites dans le désordre?
Et j'ai volontairement évité de parler des structures induites par les changements de narrateur. Mais en effet, les changements de focalisation, ça peut créer des effets bœuf!
@Vincent : Lol! C'est vrai! L'enrouleur de temps est construit à l'envers. Pis ça donnait mal à la tête à écrire! hihihihihi!
Bon, là j'ai le goût de revoir Memento!
En fait, la novella est construite selon une structure en spirale, similaire à celle de Memento. Mais à l'écrit, ça donne une impression plus chaotique. Surtout que le "centre" de la spirale, le point de rencontre des trames narratives, est volontairement manquant. L'idée de départ était de structurer le récit comme s'il avait explosé, et que chaque scène était un fragement qui pointait vers l'épicentre (désintégré) de l'explosion. Voilà pour l'ordre des scènes.
Quant à l'ordre d'écriture, ç'a été écrit comme ça venait: des bouts du début, de la fin, de telle scène, de telle autre... C'est souvent comme ça que je fonctionne même pour des textes chronologiquement plus simples. J'ai beaucoup sacré, en me demandant souvent pourquoi j'étais pas capable d'écrire des histoires "comme tout le monde".
@Guillaume : Lolol! Ouais, je comprends que tu aies pu sacrer. Je me souviens d'avoir braillé un ti-peu sur l'Enrouleur de temps (monté à l'envers!). Et je m'arrache régulièrement des cheveux quand, après avoir écrit 90% d'un roman avec une alternance stricte entre des narrateurs, je me retrouve soudain devant une scène que je voudrais raconter avec un autre point de vue que celui du narrateur à qui "c'est le tour" O.o
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