mardi 15 avril 2014

Votre roman appartient-il à votre employeur?

Une bonne partie des écrivains québécois (et surtout des écrivains-en-devenir) cumulent les fonctions : employés salariés de jour, écrivain les soirs, les fins de semaine, dans le bus, pendant leurs vacances, etc. Ce qui signifie que ces écrivains ont signé un contrat de travail avec un employeur. Un contrat qui pourrait bien leur réserver une mauvaise surprise le jour où, enfin, ils publieront leur roman.

J'ai changé d'emploi quelques fois au cours de ma vie. À chaque fois, j'ai examiné à la loupe mon contrat de travail. Et j'ai bien fait, parce que, quelques fois, je suis tombée sur de mauvaises surprises.

Par exemple, il m'est arrivé de tomber sur la clause suivante :

Les droits d'auteur de tout écrit, oeuvre, logiciel, etc. développé par l'employé durant sa période à l'embauche de l'entreprise, dans ou hors ses heures de travail, avec ou sans l'utilisation du matériel de l'entreprise, avec ou sans rapport avec les activités et intérêts de l'entreprise, appartiennent à l'entreprise.

Plus loin, le contrat spécifiait même :

En cas de difficulté à établir la date de réalisation d'un écrit, œuvre, logiciel, etc. il sera présumé que ces réalisations ont été faites durant la période d'embauche.

En clair? Si j'avais signé ce contrat tel quel, mon employeur aurait pu réclamer les droits d'auteur de tout ce que j'avais écrit ou publié pendant que je travaillais pour lui. Évidemment, il ne l'aurait sans doute pas fait tant que les chiffres de vente seraient demeurés faméliques. Mais si jamais Hanaken était devenu le prochain Hunger Games, il y a fort à parier que j'aurais reçu une gentille lettre d'avocat m'accusant de viol de propriété intellectuelle et me réclamant l'intégralité de mes revenus.

Évidemment, à chaque fois, en lisant des clauses semblables, j'ai pris un crayon et joyeusement biffé les mentions au sujet des écrits, des trucs développés en dehors des heures de travail, des trucs qui ne sont pas en rapport avec les affaires de l'entreprise et même, parce que je suis vraiment ratoureuse, toute mention de l'utilisation du matériel de l'entreprise. Parce que, hé, j'écris sur mes heures de dîner, mais je ne traîne pas mon portable au boulot! L'employeur, une fois informé de ma situation personnelle et de mes ambitions, s'est rarement obstiné.

Et, franchement, s'il l'avait fait, je serais allée voir ailleurs. Parce qu'un employeur qui se garde le droit de réclamer les droits d'auteur de vos photos de vacances, tant qu'à moi ça s'appelle un esclavagiste!

Mon chum, lui, a déjà signé un contrat contenant une clause de propriété intellectuelle semblable. Ce n'est que plusieurs années plus tard, en relisant ses paperasses, qu'il a réalisé que le jeu qu'il développait patiemment depuis trois ans dans ses moments de loisir appartenait donc légalement à son employeur.

Heureusement, dès qu'il a constaté le problème, il est allé discuter avec son patron immédiat de la possibilité de modifier la clause et la demande a fait son petit bonhomme de chemin jusqu'à ce que, quelques semaines plus tard, on lui offre un contrat tout neuf (et rétroactif) amputé des notions pouvant lui causer problème (et qui permettaient incidemment à son employeur de réclamer les droits de notre nouvelle écrite en collaboration!).

Morale de cette histoire : ne vous reposez pas sur l'idée que "Bah, on ne viendra pas m'écoeurer à cause des 1000$ de droits d'auteur que je fais dans l'année". Ne signez pas un contrat contenant une clause qui accorde la propriété de vos écrits à votre employeur. Et si jamais vous l'avez déjà signé, dépêchez-vous de discuter de l'affaire avec votre patron et le département des ressources humaines. Vous obtiendrez beaucoup plus facilement leur coopération pendant que vous êtes un pauvre écrivain de fin de semaine et que tout le monde voit votre passion comme un hobby amusant et plutôt inutile!

Si vous pensez que j'exagère, je vous suggère d'aller lire ceci. Oui, la Geneviève qui a posé la question à l'origine de l'article, c'est moi. À un certain moment, je ne savais plus trop sur quel pied danser (est-ce que je m'en faisais trop? est-ce que la clause était vraiment légale?), alors j'avais posé la question à une journaliste spécialisée.

Et les recherches de la journaliste me confirment que mes inquiétudes étaient fondées et que le genre de clause que je cite dans ce billet sont légales. Alors si vous êtes un employé et que vous écrivez des romans, je vous suggère de relire vos contrats de travail et d'embauche.

Juste au cas où...

9 commentaires:

Vincent a dit…

Heureusement que mon employeur a démontré de la bonne volonté et qu'il a modifié mon contrat de travail.

Ça aurait été le comble que mes droits sur la nouvelle "Le vaisseau CHOV", qui critique l'avarice et la déshumanisation des grosses entreprises, me soient volés par mon employeur! :o

Prospéryne a dit…

OK, ça donne envie de réviser ses contrats de travail ça...

Nomadesse a dit…

En effet, c'est souvent le cas dans les entreprises ont il y a un matériel créatif. Dans les jeux vidéos, mon chum n'avait pas le droit de faire des musiques à son compte comme freelance, et ce un an après sa démission...

Mais je ne savais pas du tout que ce genre de clause se retrouvait dans des contrats pour des jobs qui n'ont pas du tout rapport avec la création! Tu viens de m'en apprendre une bonne!

Heureusement, je lis toujours attentivement mes contrats. Mais contente d'apprendre ça de ta part!

Guillaume Voisine a dit…

(J'avais écrit mon premier commentaire, mais j'ai effacé le temps de relire mon contrat, pour voir s'il m'appartenait vraiment ;) )

Gen a dit…

@Vincent : En effet, ça aurait été le boutte! lol!

@Prospéryne : Je crois que c'est une saine précaution à prendre, oui.

@Nomadesse : Hé oui, j'ai vu des clauses du genre dans des contrats pour des boulots de prof, de secrétaire, de technicien divers, etc. La justification : tout emploi peut demander de la créativité. Heureusement, y'a toujours moyen de négocier. (Et même si l'emploi est créatif par définition, on peut se négocier des exceptions)

@Guillaume : Lolol! ;) Tu as bien fait! ;)

Sébastien Chartrand a dit…

La défunte école secondaire privée Montfort, en Mauricie, avait une clause semblable dans ses contrats. Nous avons eu un prof qui a rédigé un référentiel auto-correcteur qui n'a pas pu le publier et un autre qui devait s'abstenir d'enregistrer des chansons avec son band jusqu'à ce que son contrat puisse être modifié à la nouvelle année scolaire...

Gen a dit…

@Sébastien : Deux bons exemples de gens qui devaient être heureux au travail pendant ce temps-là! O_o

Claude Lamarche a dit…

J'ai eu connaissance de professeurs qui ont eu du mal aussi à publier des livres scolaires à partir du matériel élaboré pour leurs classes. Quand tu signes ton contrat, tu ne penses pas à ce tu feras dix ou quinze ans plus tard.
À moindre échelle, j'ai vu plusieurs des examens que j'avais ''pondus'' pour mes élèves se retrouver dans toutes les classes de la commission scolaire. J'étais supposé être fière!

Gen a dit…

@ClaudeL : À la limite, dans ces deux cas, ça se justifie par le fait que, en tant que prof, ça fait partie de la job de développer du matériel.

Je dis "à la limite", parce que, dans les faits, le temps de développement de matériel est rarement payé!

En effet, quand on signe le contrat, on pense rarement à ce qu'on fera plus tard. De là l'importance de le relire si nos activités changent.