Coudre un tshirt demande quelques heures. On peut en produire plusieurs par jour. Et ils s'usent vite, surtout si on a lésiné sur la qualité du tissus. Alors aux quelques mois, on varie un peu les couleurs et les modèles, histoire de créer des effets de mode, d'essayer de couper l'herbe sous le pied aux concurrents et d'engranger un maximum de profit. Et quand on réussit, quand on commence à gagner plus d'argent que les autres, alors on lance la production tous azimuts et on essaie d'écraser la compétition à jamais en inondant le marché de nos produits.
Sauf que voilà, je ne couds pas des tshirts.
J'écris des livres. Ça prend six mois à un an en produire un. Et là on ne parle pas du temps nécessaire pour le retravailler, le préparer à l'impression et le mettre en marché.
Mais le livre a une qualité incroyable : il ne s'use pas. Vous pouvez le lire, le relire, le prêter, le perdre... Les mots existeront encore quelque part, ne serait-ce que dans votre tête. On pourra même probablement vous en réimprimer un si vous voulez. On a la technologie pour ça maintenant.
En fait, entre la numérisation des contenus et l'imprimerie à la demande, on a désormais tout ce qu'il faut pour transformer les livres en objets immortels.
Partant de là, il me semble qu'on devrait les préparer encore plus soigneusement que jamais.
Or, me semble que ce n'est pas ce qui se produit. L'industrie du livre est en train de devenir une autre industrie de masse, où certains gros joueurs essaient de se poser en rouleaux compresseurs. Ils veulent écraser la compétition. Voir leurs livres partout, soigneusement mis en marché, pour une durée limitée.
Je regarde le phénomène et je ne peux pas m'empêcher d'avoir mal au coeur.
D'imaginer des écrivains enchaînés à leur ordinateur comme on enchaîne les couturières des sweat shop à leur machine à coudre. Des écrivains qui triment pour une bouchée de pain, en espérant vendre assez pour pouvoir survivre, sans jamais avoir le temps de savourer une publication, parce que, vite, vite, il faut produire le livre suivant, le rendre dans les temps, le corriger, vite, vite, l'imprimer, le mettre en tablette où il durera quelques mois, mais c'est pas grave, le livre suivant s'en vient vite, vite...
Il aura le même narrateur, le même style, probablement que ce sera une suite dans le même univers, parce que c'est ce que le lecteur veut, ce que le marketing veut. On cherche des tshirts, c'est pas le moment de réinverter le kimono!
Tant mieux si des écrivains se sentent bien dans cette dynamique, s'ils arrivent à produire ainsi. Moi, je ne peux pas. Un tshirt ok, mais ensuite? Si j'ai envie de réinventer le kimono? Puis le kilt? De broder un peu autour du col? Quelle place me restera-t-il?
Je devrais ptêt aller prendre de vrais cours de couture...
(Vous l'aurez deviné : je viens de lire un très mauvais roman! :p )
6 commentaires:
Même pas so bad it's good? Mes sympathies :(
@Guillaume: Non, juste poche! Et c'était un tome dans une looongue série. :'(
Un problème que j'ai bien vu il y a dix ans en librairie, mais qui s'accentue d'une certaine façon. Par contre, en réaction, j'ai vu apparaître des maisons d'éditions qui font exactement le contraire et en font leur marque de commerce. Il y a de l'espoir!
@Prospéryne : Oui, je sais qu'il y a de l'espoir, mais des fois c'est décourageant pareil!
Oui, surtout quand tu compares le nombre de livres parus dans chacun des deux cas... Les éditeurs qui soignent leurs livres en publient forcément moins.
@Prospéryne : Oui. Ça fait une porte d'entrée plus étroite mettons.
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