vendredi 8 juin 2018

Dégonfler des ballounes

Quand j'étais à l'école, on m'a découragée d'être écrivaine. On m'a dit à quel point c'était difficile, pas payant, long, chiant, etc... Ça m'avait immensément déprimée. J'écrivais déjà. J'en avais besoin.

Jamais un auteur invité en classe n'est venu me dire que c'était possible de devenir écrivain. Avec bien des efforts et des investissements, mais oui, possible. Que ce serait peut-être pas la job qui me ferait vivre, mais que j'avais toujours la possibilité de concilier un emploi avec mon art. Tous se plaignaient plutôt des difficultés de leur métier. Des fois je me demande s'ils ne voulaient pas décourager la compétition!

Alors quand je visite des classes, c'est je lance le message que j'aurais aimé entendre : oui, c'est dur, oui, c'est pas payant, mais c'est quand même la job la plus extraordinaire du monde. Si on a envie de la faire, ça vaut la peine d'essayer et, surtout, de persévérer, de prendre son temps. On publiera ptêt juste un texte ou deux, peut-être seulement quand on aura cinquante ans, mais c'est pas grave. À chacun sa voie. 

Et puis au milieu de mon beau discours, où j'expose à quel point l'écriture est un métier multiforme, où il n'y a pas une seule bonne réponse, un seul chemin à suivre, une main se lève invariablement : 

- Madame, est-ce qu'il faut aimer lire pis lire beaucoup pour devenir écrivain?

Chaque fois, j'ai l'impression que ma réponse s'abat comme une tonne de briques. Parce que pour la première fois de ma présentation, je n'hésite pas, je n'ajoute pas de "mais", je ne nuance pas. Y'a pas de nuance à faire. C'est probablement la seule question pour laquelle la réponse est claire. 

- Oui. 

Et là, je vois la déception se peindre sur les visages. J'entends presque audiblement des ballounes de rêve se dégonfler. Et je finis par apprendre que plusieurs élèves de la classe écrivent et espèrent devenir auteur. Mais que la plupart d'entre eux n'aiment pas lire. Je viens de piétiner leurs espoirs. Et j'en suis désolée. 

J'essaie de tempérer, de leur expliquer qu'on n'aime jamais vraiment les livres qu'on nous impose à l'école. Je les encourage à explorer autre chose, en dehors du cadre scolaire, de profiter de l'été pour lire des nouvelles, des bandes-dessinées, de la poésie, des textes de chansons... Sauf que, pendant tout ce temps là, plantée en avant de la classe, je me pose une seule question : comment peut-on ne pas aimer lire? Surtout si on aime écrire!

Pour moi, c'est comme si on me disait qu'on n'aime pas rêver!

11 commentaires:

Prospéryne a dit…

Je répondrais par une citation de Stephen King: Si vous N'avez pas de temps pour lire, vous n'avez pas le temps ni les outils pour écrire.

C'est plate, mais c'est comme ça!

Et je te suis dans la question épicfacepalm: Comment on peut faire pour rêver d'écrire sans lire???

Gen a dit…

@Prospéryne : Je sais pas. Je suppose qu'on pense qu'il suffit d'écouter des films. O.o

M a dit…

C'est bien qu'on leur explique la réalité du métier, mais de leur montrer que l'écriture est partout, c'est aussi une excellente idée.

Annie Bacon a dit…

De manière étrange, j'en connais un. Un écrivain publié, réputé, même, qui n'aime pas lire. Remarque, ce n'est pas mon cas, et je ne pense pas que j'utiliserais son exemple en classe, mais il existe, quand même. Une drôle d'exception?

Gen a dit…

@M : J'ai des animations qui vont plutôt dans ce sens-là, oui, mais en général, suffit que je leur parle de mon parcours professionnel (rédactrice technique en informatique, prof, secrétaire, rédactrice corporative, écrivaine, etc) pour qu'ils comprennent que lorsqu'on écrit bien, on n'a pas de mal à trouver du boulot! hihihihi!

@Annie : J'en connais un aussi (c'est ptêt le même), mais justement j'aime ce qu'il écrit, parce qu'on dirait des scénarios de film! Et le tien, il dit ne pas aimer lire, mais a-t-il lu, jadis, pour ensuite se lasser? Parce que ce serait pas la même chose. Mais dans tous les cas, comme tu dis, c'est des exceptions.

Luc Dagenais a dit…

Moi aussi je me demande pourquoi vouloir écrire si on n’aime pas lire. Et l’argument du cinéma ne me convainc pas : si t’aimes les films et que t’as envie de « raconter » des histoires, pourquoi ne pas vouloir devenir cinéaste ?

Remarque, Gen, t’as raison de dire qu’il y a de plus en plus de livres écrits comme des films (surtout en SFF...), et c’est dommage parce que ça ne fait que très rarement (voire jamais) de bons romans ; au mieux ça fait des romans à peine passables, vite lus et vite oubliés. :(

Gen a dit…

@Luc : Peut-être qu'ils ne comprennent pas encore la distinction entre auteur et scénariste? (D'ailleurs, j'en parle beaucoup en animation, ça et de la différence entre un film, qui montre l'action, et un roman, qui la fait vivre, qui nous fait entrer dans la tête des personnages).

Et oui, les romans-scénarios, c'est vite lu, vite oublié.

Prospéryne a dit…

Tant mieux si tu décourages certaines personnes d'écrire si elles pensent écrire des romans-films! Ça nous laissera plus de meilleurs livres à lire...

Gen a dit…

@Prospéryne : Mon but est plus de les encourager à lire que de les décourager d'écrire cela dit! :p

Claude Lamarche a dit…

Ne pas les décourager c'est déjà beaucoup. Peu importe le domaine d'ailleurs. Ils iront bien chercher par eux-mêmes les outils nécessaires.

Personnellement ça n'a jamais été lire mon problème, personne ne m'a jamais découragée de lire, on pouvait même lire la semaine (en référence à des personnes que je connais qui ne pouvaient lire que le dimanche, jour de repos!), c'est si tu lis beaucoup, si tu sens le besoin d'écrire, as-tu du talent pour écrire? Et le talent, ça se mesure? ça se note?

Il ne reste que la confiance, le travail et la persévérance.
Trouver son créneau aussi.

Sujet infini.

Gen a dit…

@ClaudeL : Lire seulement le dimanche?!? O.o Lolol! Ah, c'est là qu'on voit que chaque génération avait ses combats. Maintenant, on voudrait bien que les enfants lisent la semaine et réservent les écrans à la fin de semaine! hihihihi!

Cela dit, personne ne décourage ces enfants-là de lire, je crois. Ils le font tout seul!

Pour la question du talent, je dois admettre que je crois plus ou moins au talent et davantage à l'appel, à la persévérance, à la vocation, quoi. Même avec le talent le plus fort du monde, écrire ça demande du temps, de la réflexion, de l'investissement personnel. Alors être doué en partant, c'est bien, mais s'acharner, travailler, s'informer, réécrire, ne pas se décourager, je crois, comme toi, que ça reste le plus important. :)

Je ne crois pas non plus au créneau, mais ça c'est une autre histoire! ;)