mercredi 14 mars 2018

Distinction linguistique genrée

Je réfléchis beaucoup ces temps-ci aux questions de distinction linguistique genrée.

À l'emphase sur le genre que certaines personnes réclament.

On rejette l'usage du masculin comme neutre englobant, demandant plutôt un vrai neutre.

On veut des mots qui vont bien marquer le genre d'une personne. On veut même des mots qui vont marquer son absence de genre défini.

On voudrait accorder les verbes de manière à toujours savoir si la foule qui marche compte plus de femmes que d'hommes et l'implication éventuelle d'individu sans genre défini.

Plus je regarde cette recherche de distinction, plus je me sens mal à l'aise. L'égalité, dans ma tête, présuppose une indifférenciation. Un homme, une femme, un non-binaire, peu devrait importer.

Or, pour que cela importe peu à la personne qui nous considère (pour un emploi, une amitié, un tour de parole, etc), peut-être qu'il faudrait que ça nous importe peu à nous-même? Qu'on accepte de disparaître dans le groupe, de laisser notre genre de côté.

On sait bien qu'une foule d'un million de marcheurs comptera sans doute aussi des marcheuses, des trans, des non-binaires. L'important, ce n'est pas qui ils sont, mais le fait qu'ils marchent, tous ensemble, dans la même direction.

Non?

4 commentaires:

Marine a dit…

Le problème que je vois avec "ça ne devrait pas avoir d'importance", c'est que ce serait le cas si on avait atteint une certaine équité ou égalité des genres, ce qui ne semble pas le cas (écart salarial, charge mentale, violence conjugale, harcèlement de rue, etc.). Ça peut l'être dans une fiction, par contre!
Mais dans notre monde actuel... Dans le cas de l'orientation sexuelle ou de l'identité, ça n'aurait aucune importance si les membres de la communauté LGBT+ n'étaient pas plus souvent victimes de harcèlement, de crimes violents, de rejet, etc. Comme le cas des "races" n'en aurait pas si trouver un logis et un emploi n'était pas plus difficile, sans parler de crimes violents aussi (rien qu'à voir le dossier des femmes autochtones, la représentativité dans les prisons, les soucis policiers, etc.). Et tout comme les handicaps si accéder aux lieux et aux services n'était pas plus difficile. Ce qui ne veut pas dire qu'une fiction doit nécessairement en traiter s'il n'y a pas matière à.

Exemple homme/femme, en restant dans le binaire ;)
Si j'écris "les docteurs", vient-il d'abord en tête des hommes ou des femmes, sans aucun contexte? Pour la majorité des gens, la représentation mentale de "docteurs", ce sont des hommes alors qu'il y a plus de 50% des docteurs qui sont en fait des femmes. J'imagine sans mal la représentation mentale changer au cours des prochaines années (si ce n'est pas déjà le cas), justement parce que les femmes sont désormais plus nombreuses : l'expérience modifie ces représentations. Et le manque de représentation est aussi un problème, c'est pourquoi, par exemple, les femmes en science ou en politique sont mises à l'avant : pour qu'il y ait représentation, pour que ça semble possible aux prochaines générations et qu'il y ait plus grande parité. (On en est quand même encore au point de parler de compétences face à des demandes de parité, comme si c'était LA SEULE raison des écarts). Mais donc, sans précisions et sans contexte : ce sont des hommes jusqu'à preuve du contraire. C'est le cas pour plusieurs professions sans féminin répandu, souvent des professions dites "prestigieuses", d'ailleurs. Dans le cas des professions "typiquement féminines", l'utilisation du masculin est un signal que, oh, étrange, il y a ne serait-ce qu'un homme dans le lot, pas spécialement que c'est un groupe neutre et diversifié.

Alors le masculin est-il vraiment neutre dans des cas très genrés dans l'imaginaire collectif? Si j'utilise "les infirmiers" pour parler d'un groupe de 5 infirmiers et 90 infirmières, est-ce égalitaire et représentatif, est-ce réellement neutre? Est-ce que ça ne devient pas un choix, à ce moment, que d'utiliser le masculin et de privilégier une règle grammaticale créée il y a quelques siècles parce que "le masculin est plus noble" à l'image mentale produite chez le lecteur? Tout dépend bien entendu de l'image que l'on veut renvoyer.

De là, à chacun de faire en fonction de sa propre sensibilité, du contexte, du propos, de son bagage, de ses thématiques, de ses personnages, de ses convictions, etc.

Gen a dit…

@Marine : Je sais tout ça (d'ailleurs, je ne sais pas si tu es au courant, mais dans le cas des infirmières, l'Ordre professionnel des infirmiers et infirmières du Québec demande à ce que le féminin soit prépondérant, donc dans l'exemple que tu donnes, on dirait bel et bien "les infirmières", même s'il y a 5 hommes).

Cependant, je me demande si on ne devrait pas travailler sur les représentations davantage que sur les termes. Quand je dis "les docteurs" à ma fille, je suis sûre qu'elle imagine des femmes, parce que tous les docteurs qu'elle a vu dans sa vie, c'étaient des femmes.

Même chose pour les LGBT+ : ne serait-on pas mieux de travailler sur les mentalités, pour que les gens ne soient plus stigmatisés, plutôt que de chercher à créer un terme qui les distingue, qui les rend plus présents dans l'imaginaire collectif... mais qui peut aussi servir à les stigmatiser!

Comme je dis, mon idée n'est pas faite, je réfléchis. Mais je vois autant de danger et de pentes glissantes à la distinction qu'à l'invisibilité.

Oh et l'argument voulant que le masculin a été choisi comme neutre pour des raisons machistes, je suis un peu tannée de l'entendre. Oui, c'est vrai... et faux. La raison donnée consacrait l'usage déjà en place, usage qui n'était pas issu du machisme, mais simplement du fait que l'ancien neutre latin ressemblait davantage au masculin latin qu'au féminin latin. Et donc lorsqu'on a progressivement abandonné le neutre, la forme masculine l'a remplacé.

Et oui, dans la fiction, tout est possible. C'est d'ailleurs pourquoi je compte bien poursuivre mes réflexions dans un roman. ;)

Claude Lamarche a dit…

Wow! c'est dans des cas pareils que je me trouve nulle. Je me demande si j'ai déjà été capable de soutenir un argumentaire plus que deux-trois phrases. Sans doute pour ça que je me prononce rarement sur quelque sujet que ce soit. J'écoute, je lis... et je reste neutre!
Sans pouvoir étayer mon raisonnement, je peux juste dire que je ne voudrais pas de l'orthographe inclusive avec les petits points. Visuellement indéfendable, me semble.

Gen a dit…

@Claude : Disons que des billets comme ça s'écrivent de longue haleine et non pas en quelques minutes (c'est pour ça qu'il n'y en a pas trop souvent). Et quand ensuite on se met à répondre, suffit d'être systématique et d'y aller point par point. (Mais bon, je vous ai jamais dit que j'avais eu une bourse à cause de mes notes en philo? ok, là vous le savez! hihihihi)

Ouais, la syntaxe pointée, c'est juste horrible. À lire et à écrire!!!