mercredi 3 août 2016

Comment un personnage surprend-il son écrivain?

Dernièrement, un ami a dit que, tandis qu'il écrivait, ses personnages l'avaient surpris et, n'en faisant qu'à leur tête, avaient entraîné l'histoire dans une direction non prévue.

Il y a eu plusieurs réactions à cette affirmation. Mais la réaction qui m'a fait sourire fut celle d'une visiblement-pas-écrivaine qui s'est exclamée : "Hein?!? Les personnages ont une vie propre?!?"

Ce n'est pas la première fois que je suis témoin d'une incompréhension du genre. Faut dire que certains écrivains ont une manière de s'exprimer qui flirte avec le mysticisme (ou la schizophrénie!).

Pour ceux que ça intriguerait, quand un écrivain dit que son personnage l'a "surpris" ou qu'il "n'en fait qu'à sa tête", cela signifie généralement que, arrivé à un point du récit, l'auteur se rend compte que les actions et réactions qu'il avait prévues pour le personnage ne cadrent pas avec les événements, actions et réactions déjà écrites.

C'est souvent un indice que l'auteur, en gribouillant son plan, avait oublié de penser aux motivations de son personnage ou à l'impact que les événements racontés auraient sur toute personne normale. Par contre, comme il a fait un bon boulot en cours de route et qu'il a défini petit à petit la psychée de son personnage, il finit par se retrouver dans une situation où la vraisemblance exige de sa "créature" une action/réaction qui contrarie les plans initiaux.

C'est des choses qui arrivent!

Et je crois que c'est bon signe : ça veut dire que l'auteur a assez de compétence pour créer un personnage cohérent et assez d'honnêteté pour ne pas forcer ledit personnage à entrer dans un moule qui ne lui convient plus.

Par contre, ça veut également dire que l'auteur a ptêt oublié de s'interroger sur les motivations de son personnage et son évolution psychologique avant de commencer à écrire...

Remarquez, plusieurs auteurs ont réagi au commentaire de mon ami en disant qu'ils détestaient écrire "avec des personnages formatés" et que les créations qui font ce qu'elles veulent avec le plan, qui n'est d'ailleurs pas obligatoire, y'a que ça de vrai.

Pour moi il y a un monde entre "apprendre à connaître ses personnages avant de commencer à écrire" et "les formater de toute pièce pour qu'ils servent nos désirs", mais bon, chacun a sa vision des choses et sa méthode favorite. Vous préférez laquelle, vous?

4 commentaires:

Nomadesse a dit…

Très franchement, je ne peux pas créer de plan avant de commencer à écrire. D'abord, je ne sais pas si j'écrirai une histoire courte ou longue. Et je ne peux pas apprendre à connaître un personnage avant de "vivre" un petit bout de temps avec lui. C'est un peu comme ça que je l'apprivoise et que je découvre, petit à petit, ses motivations profondes. Un peu comme une personne avec laquelle tu deviens de plus en plus intime.

C'est vrai que ça a l'air un peu ésotérique tout cela, mais même si je suis très cartésienne et planifiée dans la vie (pour partir au Japon avec des enfants, tu te doutes que c'est LE truc primordial!), j'ai dû apprendre à laisser tomber beaucoup de ma rationalité dans la fiction. Je t'avoue que ça m'énerve royalement parfois. Je ne me sens pas "en contrôle". Je ne suis pas sûre que je suis "le maître du jeu" tant que ça, mais plutôt que je suis le "canal de transmission".

Ce qui veut dire que je vois une scène. Si j'ai un peu de temps (parce que j'ai toujours la curiosité), je m'assoie et je l'écris. Ah ben, c'est drôle ça. Ou c'est triste. Ou c'est violent. Bref, ça en reste là.

Je ferme l'ordi. Mais je ne peux pas fermer le "canal de transmission" comme je ferme mon ordi. Si le personnage n'a pas fini (encore l'ésotérisme), je vais voir une autre scène. Alors j'écris (ou pas: le temps me manque ou ce n'est pas une scène nécessaire, juste une qui me sert à le connaître mieux). Et en accumulant les scènes-clés comme cela, ça finit par faire une histoire. Que je compose souvent dans le désordre, la fin en premier, le milieu après, etc. (tu imagines mon désarroi).

Au fil de l'écriture, les "révélations" à propos de mes personnages sont nombreuses. J'adore ça, c'est presque magique quand ça m'arrive (comme quand le nom d'un meurtrier est découvert à la fin d'un roman policier!) Comme ton écrivain cité, je ne suis pas tout le temps d'accord avec les décisions qu'ils vont prendre et la direction où ils vont aller. Mais ça ne vient pas vraiment changer un plan: je n'en avais pas. Il peut arriver que ça vienne toutefois changer des scènes puisque, au fur et à mesure que je les connais mieux, je réalise que le personnage n'aurait pas dit cela comme ça, ou qu'il n'aurait pas été aussi possessif, etc. Mais c'est relativement limité.

Bref, c'est ben bizarre. Et ça fait que mes personnages deviennent pratiquement envahissants. Je les vois un peu comme des personnes. Tellement que si le nom d'Émi (ma fille) est tiré d'un manuscrit que mon chum a lu il y a deux ans, maintenant que le roman sera publié cet automne, j'ai changé le nom du personnage pour Yûmi, car je n'étais pas capable de voir ma fille dans ce personnage, ça venait trop me brusquer. Enfin.

Gen a dit…

@Nomadesse : Je comprends tout à fait cette manière de fonctionner, car ça a été la mienne à une époque. Cela dit, pour moi, tant que je suis dans cette étape de "rencontre" avec les personnages, je ne suis pas en écriture. Je prends des notes (plus ou moins élaborées). Je prépare mon plan. Je fais de la recherche "intérieure". J'interroge mon propre imaginaire.

Héhéhéhé, tu ne savais pas trop quoi me demander de travailler pour l'atelier, mais maintenant je sais de quoi je vais vous parler! :)

Daniel Sernine a dit…

Pour ma part, je n'ai jamais développé ou planifié un personnage avant d'écrire le roman, certainement pas de manière formelle («fiche» écrite, etc.) Il évolue au fil de l'écriture, conformément à l'idée que je me fais de lui. (Cette idée existe, bien sûr, mais elle n'est pas formalisée.)

Gen a dit…

@Daniel : Je pense que l'important c'est que cette idée existe! :) J'ai rarement pris la peine de formaliser les résultats de mes réflexions au sujet de mes personnages, parce qu'il me semble qu'une fois que je les ai cernés, ils "tiennent d'eux-mêmes". Mais je me rends compte que certaines personnes ont besoin d'expérimenter les fiches de personnage au moins une fois pour pouvoir ensuite s'en libérer.