J'ai parfois l'impression que je me déplace partout avec un scribe sur les talons. Un espèce de secrétaire intérieur qui prend constamment des notes. Et qui se change souvent en fouille-merde façon scribouilleur de tabloïde.
La vie me sacre une claque, physique ou psychologique? Le scribe attend que le pire de la douleur soit passée, puis il vient me questionner. Comment est-ce que je décrirais ce que je viens de vivre? Comment est-ce que je me suis sentie? Est-ce que je peux mettre ma douleur en mot? La blessure-là, est-ce qu'elle est très profonde?
Et le scribe de se mettre les doigts dans la plaie, pour juger de la sévérité, en la rouvrant un peu au passage.
Puis il continue de m'interroger. Comment je pense passer par-dessus cette épreuve? Est-ce que ça va laisser des cicatrices? J'ai pas à m'inquiéter de la justesse de mes réponses. Il va revenir plus tard pour vérifier. Il va soigneusement confronter mes prédictions et la réalité.
Puis, quand je pense qu'il a enfin tiré tout ce qu'il pouvait de la situation, qu'il m'a fait passer par toute la gamme des émotions (tristesse, culpabilité, douleurs, remords, etc) et qu'il est sûr d'avoir bien archivé l'expérience, toute prête à être réutilisée dans un texte ou un autre, il me lance :
Ok, maintenant tu vas essayer de te mettre dans les souliers de l'autre là, la personne en face, celle qui t'a donné la claque. Et on recommence les questions!
De quoi rendre n'importe qui fou. Ou très empathique. Ou un peu des deux.
Des fois, j'ai l'impression que ce scribe, pur produit de ma cervelle d'écrivain. me pousse à vivre tous les événements de ma vie plusieurs fois. Avec changements de tons et de narrateurs.
Est-ce que je suis un cas d'asile ou vous ressentez ça vous aussi, des fois?
Enfin, je me console : au moins, le scribe vient aussi poser des questions et procéder à l'archivage de mes émotions quand ça va bien ou quand je vis des moments heureux. Mais c'est drôle : on dirait que dans ce temps-là, je le remarque moins! ;)
3 commentaires:
Je me demande si c'est propre aux écrivains, ce genre de conversation avec notre conscience, notre autre-moi. La conversation peut-être pas, mais ce qu'on en fait ensuite, c'est-à-dire chercher presque immédiatement à la transposer en mots... dans la bouche ou le coeur d'un personnage, si possible, oui, je dirais que c'est tout à fait ça un écrivain.
Sauf que je ne double pas la dose en me mettant en plus en face, dans les souliers de l'autre. Une fois que la catharsis a opéré, je ne sens pas le besoin d'en r'mettre!
Ça me fait réfléchir aux processus que j'utilise, ce matin. Pour moi je crois que ce n'est pas si personnel. Il m'arrive peu d'expériences négatives ou intenses, aussi mon scribe travaille surtout pour les autres que je rencontre, et j'en rencontre des "flyés" parfois. Et lorsqu'on me raconte une histoire, j'ai cette fâcheuse tendance à faire l'avocate du diable, ça doit être une déformation professionnelle, tiens.
@ClaudeL : J'aime le principe de l'autre-moi. Je pense pas que c'est propre aux écrivains, mais comme tu dis, nous on s'empresse de le mettre en mots.
Et je suis consciente d'avoir un scribe intérieur particulièrement sadique. Suffit que j'aie l'impression d'avoir réglé une situation pour qu'il attaque de plus belle en me demandant de changer de point de vue!
@Hélène : Les expériences n'ont pas besoin d'être particulièrement traumatisantes : je passe une bonne partie de mes journées à décrire intérieurement la courbature dans mon épaule, l'odeur des fleurs devant lesquelles je viens de passer, la peine que j'ai devant le décès d'un pas-si-proche, etc.
Et oui, faire subir le processus aux gens qu'on rencontre, c'est un peu la même chose je crois! ;) Déformation professionnelle en effet.
Enregistrer un commentaire