Hier, je parlais de prendre mes angoisses en note afin qu'elle me donne de la matière pour des textes et ça m'a rappelé mes années de cégep en lettres.
En effet, au cégep, j'ai eu un prof de littérature qui nous a répété pendant toute une session que l'écrivain qui écrit "Je pleure en griffonnant ces lignes" ne braille pas pour vrai. Qu'il a sans doute retourné sa phrase dans sa tête toute la nuit. Que son paragraphe qui va vous faire venir les larmes aux yeux, c'est un objet parfaitement construit, le contraire de la spontanéité.
Il nous donnait des exercices d'écriture où il fallait décrire l'un de nos grands-parents comme si c'était l'amour de notre vie, en nous mettant dans les souliers d'une personne de son âge et du sexe opposé au nôtre. Pas exactement évident quand on a 17 ans...
La session d'après, je suis tombée sur le prof opposé, qui nous faisait lire des textes complètement confus, écrits d'un jet sans ponctuation par des écrivains souffrant de stress post-traumatique suite à des guerres ou des tentatives d'assassinat.
Il nous demandait, en tant qu'exercices d'écriture, de dévider sur papier nos joies et nos peines du moment. Y'a des jours où rien ne venait. Y'en a d'autres où je pouvais remplir des pages et des pages, en une frénésie d'écriture qui me laissait complètement vidée et un peu plus sereine.
Mais dans les deux cas, quand je relisais mes textes avec du recul, je les trouvais nuls. Pas assez sentis dans le cas des constructions, pas assez structurés dans le cas des épanchements. C'est à cette époque que j'ai bien failli arrêter d'écrire pour de bon. Construire un texte était trop ennuyant. Creuser en moi pour me vider l'âme faisait trop mal et quand je tombais sur des sujets qui ne me touchait pas, j'avais rien à écrire.
Ça m'a pris quelques années, un peu de recul, avant de réaliser que ma voie (et ptêt aussi ma voix) à moi se trouve entre les deux méthodes.
Quand je ne vais pas bien ou qu'au contraire je vais très bien, quand je découvre quelque chose de neuf, que je fais une nouvelle expérience, je note, au fil de la plume, mes sensations, mes pensées, mes émotions. Sans me censurer, sans tenter d'être "juste" ou modérée. Je note, c'est tout. J'emmagasine du matériel brut.
Puis, plus tard, lorsque j'ai besoin de décrire quelque chose, un grand bonheur, une frustration, une douleur, un émerveillement, je vais fouiller dans mon matériel brut. Je relis, je m'imprègne. Je retrouve mes propres mots, saisis sur le vif.
Alors je grapille ce qu'il me faut parmi ces mots anciens, qui vibrent encore. J'y pige des images. Je les réinterprète pour les besoins de mon projet en cours, j'en ajuste le ton et la forme. Bref, je polis le matériel brut et j'en fais un produit fini.
J'en suis venue à penser qu'on ne pleure effectivement pas en écrivant qu'on verse des larmes. Mais on a le souvenir d'un sanglot.
11 commentaires:
Sujet très inspirant sur lequel je pourrais longuement m'attarder. En me posant cent questions. Il me semble que ça fait longtemps que je n'ai pas pleurer en écrivant. Pas pleurer en lisant non plus. Ou bien je suis fermée aux émotions ou bien on est moins émotive en vieillissant. En espérant que la sécheresse des larmes ne signifie pas la sécheresse du coeur. En espérant également que ça ne mène pas à la sécheresse des mots.
Tout à fait. C'est la même chose quand j'écris, la même chose quand je chante. Tu imagines: chanter une chanson et pleurer en même temps! Pour l'avoir déjà testé, ça ne donne pas un très bon résultat! ;) Mais il reste que le souvenir de cette sensation doit être là.
La passion qui nous anime pour un sujet est le moteur nécessaire à notre esprit rationnel pour créer quelque chose.
@ClaudeL : Ou alors, pour une raison ou une autre, la souffrance fictive te touche moins en ce moment. Et je suis sûre qu'absence de larmes ne veut pas dire absence d'émotions. (Entk, j'espère, parce que je suis pas très larmoyante de nature)
@Nomadesse : Pleurer en chantant... en effet, pas sûre du résultat! ;)
Maudit participe passé!!! Je n'en viendrais jamais à bout. Je vois des fautes tellement mais tellement plus compliquées et ce simple petit "je n'ai pas pleuré", je ne l'ai pas vu.
J'en pleurerais!
@ClaudeL : Pas grave! ;) Le problème avec les commentaires, c'est qu'on écrit vite.
On a bo écrire vit, mon cervo sai bien coman écrire la plus part des maux s'en trop de fote, alors pourquoi pas les *&?%?& participes paçés?
Trop orgueilleuse, je pense.
N'empêche qu'à la suite de ton billet, j'ai commencé à en écrire un sur le même sujet et je suis en train de composer une véritable dissertation: des larmes à l'écriture.
Avoir les larmes aux yeux en lisant, ça m'est arrivé deux fois dans ma vie: à la fin de "Les misérables" de Victor Hugo, il y a longtemps, et cette année, à la fin de "Qui de nous deux?" de Gilles Archambault. 8-S
@ClaudeL : Si tu m'en écrivais trop des comme celui-là, j'pense que je les effacerais! :p (Mes yeux saignent comme dirait Guillaume Voisine) ;)
Contente de t'avoir inspirée! :)
@Luc : Ah, ça m'est quand même arrivé plus souvent que ça... Mais là j'arrive plus à me souvenir quand...
Méthode inspirante, ça... Il faudra que j'essaie de croquer à vif mes émotions, pour voir (je ne suis pas très "journal intime" de nature...) :)
T'es organisée!
Moi, quand je dois écrire une scène triste, je pense au petit Bambi, tout simplement. Les larmes viennent tout seul.
@Isa : Je suis pas du tout "journal intime", mais quand ça va mal (ou très bien), j'essaie de croquer à vif mes émotions, de décrire comment je me sens dans mon corps, ce qui me passe par la tête... Parfois, je l'écris au "elle" pour vraiment bien m'en détacher. Tu verras, c'est un exercice intéressant. On se rend compte qu'on ne réagit pas de la même façon à tous les stress, à tous les bonheurs ou les peines.
@Pat : Euh... Organisée? Non : mes notes sont un foutoir! lol! Et avant je faisais comme toi (je pensais à quelque chose de triste), mais avec le temps j'ai remarqué qu'à différent type de peine sont associés divers types de réaction. J'aurais peur qu'à me baser toujours sur le même événement, toutes mes descriptions de peine se ressemblent.
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