Au Pays des Mères, quelque part sur une Terre dévastée du futur en train de se remettre lentement, les hommes sont très rares. Seules les Captes des Familles les Mères font leur enfantes avec les Mâles. Les autres femmes doivent utiliser une forme hasardeuse d'insémination artificielle.
Lisbeï et Tula ne s'en soucient pas trop : filles de la Mère de Béthély, elles grandissent ensemble, soeurs et amies. Mais Liseï se révèle stérile ; ne pouvant être la Mère comme elle en avait rêvé, elle doit quitter Béthély, et Tula.
Devenue «exploratrice», elle accomplira un autre de ses rêves : découvrir les secrets du lointain passé du Pays des Mères. Mais certains rêves sont difficiles à vivre...
J'avais lu pour la première fois "Chroniques du Pays des Mères" d'Élisabeth Vonarburg quand j'avais quatorze ou quinze ans et je l'avais adoré. Pourtant, à l'époque, une bonne partie des thématiques du roman m'avait complètement échappé. Cependant, ce bouquin a beaucoup de rythme et de souffle. Le personnage de Lisbeï est complexe, torturé et il s'insère dans un arrière-monde très mystérieux : la société du Pays des Mères, une structure étrange, à la fois jeune et ancienne, engoncée dans des tabous dont elle ne se rappelle plus l'origine, mais qu'elle n'ose pas transgresser. Le lecteur vieillit avec Lisbeï et découvre à travers ses yeux le Pays des Mères, ses croyances et ses légendes.
En revisitant dernièrement le Pays des Mères avec mes yeux de femme adulte (et de femme connaissant des difficultés à concevoir son premier enfant), j'ai remarqué les aspects plus philosophiques du roman : l'éternelle interrogation d'Élisabeth à propos des genres, bien sûr, mais également une réflexion sur le passé, la foi, la légende, ainsi qu'une représentation du désir de survie de la race humaine dans ce qu'il peut avoir de plus maladif et excessif.
À l'époque de ma première lecture, ce roman m'avait laissé l'impression d'une histoire féministe, du récit d'un monde où l'on se passait très bien des hommes. Or, à la relecture, il m'apparaît au contraire comme un récit empreint d'une grande tendresse et d'une grande affection envers les hommes, que les tabous de la société du Pays des Mères relèguent au rang de reproducteur et qu'on soupçonne toujours d'être des sources de violence, alors qu'au fond, on le sent au fil des chapitres, la quasi-disparition des mâles n'a pas du tout éradiqué la violence.
Toutefois, ce qui m'a le plus impressionnée lors de mon retour au Pays des Mères, ce n'est ni l'aspect philosophique du roman, ni sa relation aux genres. Non, ce qui m'a frappée, c'est la façon qu'a eu la Grande Dame (et le surnom est parfaitement mérité) de déconstruire sa propre oeuvre (Le Silence de la Cité) pour en faire la matière des contes et légendes du Pays des Mères.
Élisabeth n'est pas la première à utiliser l'un de ses romans comme arrière-plan mythologique pour un récit subséquent. Cependant, dans ces cas-là, les écrivains tombent souvent dans le péché de la mythologie trop claire, trop organisée (j'y reviendrai dans un prochain billet). Or, il n'y a rien de tel chez Élisabeth. Même après avoir lu "Le Silence de la Cité", à certains moments on se demande comment les faits qui y sont racontés ont pu être détournés au point de devenir la base de la foi du Pays des Mères. Et pourtant, le tout fonctionne et présente même une logique typiquement religieuse.
Bref, si vous avez envie d'un bouquin de science-fantasy à la fois intelligent et divertissant, "Chroniques du Pays des Mères" est à lire. Et si vous êtes un écrivain qui a envie d'apprendre quelques trucs, je vous suggère fortement de vous procurer "Le Silence de la Cité" en prime et de lire les deux volumes en conjonction. Y'a beaucoup de matière à réflexion là-dedans!
(Lecture 2011 #44)
8 commentaires:
J'ai lu les Chroniques il y a un peu plus d'un ans et je te seconde dans ta critique. Tu me donnes très envie de lire Le silence de la cité, j'ai la vieille édition de chez Denoël qui date du début des années 80, dédicacé en prime par Élisabeth (tu aurais dû lui voir la face quand je lui aie sorti ça en plein Salon du livre! ;) )
@Prospéryne : C'est toujours drôle de confronter les auteurs à leurs vieilles éditions! hihihihi :) Et Le Silence de la Cité vaut la peine d'être lu... mais je crois qu'il s'apprécie vraiment davantage s'il est lu en conjonction avec les Chroniques. Alors c'est à lire bientôt avant d'oublier les détails de l'autre bouquin! ;)
Je commande le livre aujourd'hui. Très beau billet.
@Richard : Merci! :)
Tu me donnes envie de les relire tous deux. Ça fait quelques années que je les ai lus et je me rappelle que j'avais apprécié... et ça fait juste assez longtemps pour les réapprécier de nouveau. :-)
Caro L.
@Caro : Plonge alors! ;) Je pense que c'est le genre de roman qui nous touche différemment selon l'époque de notre vie où on le lit.
Bonjour,
je tombe sur votre chronique longtemps après :) ; je la trouve également très bonne et je voulais vous demander, si c'est encore d'actualité pour vous, de revenir sur le lien que vous suggérez entre Chroniques du pays des mères et Le silence de la cité : est-ce que vous pouvez en dire un peu plus sur cette articulation ? Merci
@Anonyme : Il n'y a pas grand chose à ajouter, sinon ce que j'en dis déjà : plusieurs siècles séparent "Le silence de la cité" et "Chroniques du pays des mères". Les événements racontés dans le premier roman deviennent donc un espèce de mythe fondateur pour le second roman. Je crois qu'il faut lire les deux oeuvres pour bien saisir la mécanique.
Enregistrer un commentaire