Avec l'affaire de l'auteur accusé de pornographie juvénile, je me suis retrouvée, un peu involontairement, aux premiers rangs pour observer un phénomène social : les vagues qui agitent parfois les médias sociaux.
Je n'ai pas pris position pour ou contre cette histoire (quoique je sois définitivement contre les appels à la panique et que je sois très triste pour le pauvre auteur!). J'ai écrit un (long) billet pour remettre le tout en contexte historique et judiciaire, et pour me donner, à moi-même, la paix d'esprit nécessaire pour continuer à créer.
Mais j'ai vu le phénomène médiatique se dérouler.
J'ai vu des gens, qui n'avaient ni lu la loi, ni lu le livre, réagir avec passion... et approximation.
J'ai vu des gens qui comparaient des pommes avec des oranges.
J'ai vu de la désinformation être semée et reprise allègrement.
J'ai vu des gens, en position d'autorité et/ou bien informés, qui laissaient planer le doute et la peur, comme si cette histoire allait faire boule de neige et les emporter tous.
J'ai vu défiler des opinions, mais très peu de faits. Ceux que j'ai eu, je suis allée les chercher moi-même.
J'ai vu des gens se demander qui était cette prof qui avait fait la première plainte, avec une envie évidente de pouvoir s'en prendre à elle. Des gens qui ne voyaient pas que les articles plus récents parlaient de plaintes au pluriel. Ils cherchaient un coupable et étaient prêts à tirer sur le messager.
J'ai reçu des messages privés de plusieurs personnes qui étaient heureuses de mon initiative et me remerciaient de mon travail de recherche, mais n'avaient pas envie de le dire publiquement, par crainte des retombées, ne serait-ce que les milliers de messages qu'ils auraient à gérer! (Et, on s'entend, je ne défendais pas une position controversée!)
J'ai vu des gens m'accuser à mots voilés (ou pas) de malhonnêteté intellectuelle voire de paresse, parce que je faisais des raccourcis (le texte était déjà assez long) et que je n'avais pas pris en note et cité tous les sites, lois et jugements parcourus (dites, si vous en voulez plus, faites vos recherches, c'est pas dur, suffit de taper "pornographie juvénile lois (ou jugements) canada" dans Google). J'ai compris la fatigue récente du Pharmachien!
J'ai vu des gens m'écrire de longs textes, qui disaient en essence que, peu importe les faits que je citais, je ne les ferais pas changer d'avis. Je ne sais pas s'ils se rendent compte que le temps que j'ai pris à les lire, c'est du temps pour travailler que je ne retrouverai jamais.
J'ai vu des gens chercher l'exemple, LE truc que je n'avais pas lu et dont je ne pourrais pas discuter, pour me prouver que le livre accusé n'était pas si pire que ça. (Et oui, ces exemples existent, je n'en doute pas, mais ils ne sont pas couramment disponibles sur les tablettes du Walmart.)
J'ai vu mon texte, que je crois raisonné et nuancé, être lu quelque 5000 fois... Pendant que les opinions sans nuance de gens médiatisés, mais pas nécessairement informés, étaient lues et aimées dix fois plus.
J'ai perdu des amis. (Remarquez, si je perds des amis parce que je demande qu'on réfléchisse et qu'on se calme, c'est ptêt des amis que je préfère ne pas avoir.)
Bref, j'ai pu observer, de près, à quel point un appel à la raison et des mots rassurants ça peut passer dans le vide. À quel point les gens semblent préférer réagir que réfléchir. À quel point la peur de perdre des libertés individuelles et immédiates (écrire ce qu'on veut, lire ce qu'on veut) semble être le moteur pour mobiliser les gens.
Ce n'est pas rassurant (c'est même terrorisant) tout ça, mais, le sachant... Ptêt qu'on pourrait organiser une vraie campagne de peur au sujet des changements climatiques? :p Étudier la montée du prix des denrées en raison des changements du climat et leur expliquer ce que ça donnera si ça continue comme ça? Forcer les gens à s'indigner? Montrer ce qu'ils perdront comme libertés?
En attendant, vous pouvez être sûrs que tout ça va m'inspirer au moins un texte!
9 commentaires:
Tu as réussi à aborder un sujet difficile avec nuances, sensibilité et doigté. Ce n'est pas tout le monde qui est capable de le faire, surtout quand on est face à des situations où tous peuvent s'enflammer pour un oui ou pour un non. Prendre position veut souvent dire déplaire à certaines personnes, même de les perdre, ce qui est dommage. Dans tous les cas, ce que tu as fait témoigne de l'importance pour tous, de se calmer de prendre le temps d'écouter, de baser son opinion sur des faits et de prendre le temps de réfléchir. Ce n'est pas très à la mode, mais c'est essentiel.
@Prospéryne : Merci pour ces bons mots. Mais je ne peux m'empêcher de m'inquiéter en constatant la vague d'opinion indignée que j'ai vue. On devient un terrain fertile pour de la propagande. Tant qu'à moi, c'est beaucoup plus inquiétant pour nos libertés individuelles que le fait de pouvoir - ou pas - décrire des actes pédophiles dans nos romans.
Très bonne analyse, je ne peux qu'être d'accord avec tes conclusions!
L'arrivée du gin à Londres au début du 18e siècle causa une épidémie d'alcoolisme sans précédent. J'ai l'impression que notre société traverse une période similaire avec les médias sociaux. Ils demeurent récents, les normes sociales qui les concernent ne sont pas encore bien établies, et l'absence de réglementation permet la propagation des comportements toxiques.
@Alain : Oui, en effet, je crois qu'on manque de normes sociales (et de normes tout court) autour des réseaux sociaux. Déjà, faudra résoudre un jour le problème de l'anonymat et de ses dérives!!
Comme pour la plupart des nouveaux phénomènes sociaux, on est dans la vague des dérives parce que l'on a un nouveau joujou avec lequel on joue à l'apprenti-sorcier. On commence à voir les conséquences...
Oui bon résumé des tendances actuelles sur les médias sociaux. Je m'interroge sur deux points concernant la netiquette : 1 elle s'apprend où exactement ? Parfois dans la famille, pas vraiment à l'école, comme la politesse. Donc éducation large à ce sujet ? 2 la vérification des informations c'est pas un comportement de base (quand j'ai tenté de vendre des services de veille pour avoir des infos fiables on m'a largement répondu pourquoi faire, on sait déjà chercher, alors que dans les faits, hum...)
Ton initiative est excellente, le tout c'est d'éviter de se laisser décourager parce que c'est actuellement minoritaire. :) Merci
@Lily : En effet, nettiquette et bases de recherche devraient être enseignées de manière claire, systématique... et ad nauseam, histoire que ça rentre!!! J'en reviens jamais de voir des gens avaler des faussetés qu'une simple recherche Google pourrait prouver fausse! *soupir*
Les gens ne prennent plus le temps de lire. J'admire ta patience et ta persévérance: tu prends le temps de réfléchir aux choses, et de formuler ta pensée en termes posés et éclairants. Il en reste quelque chose, ne t'en fais pas pour ça, même si je comprends bien ta frustration.
(Ici Gen)
@Sylvie B : Je dois dire que je n'aurais pas la patience de faire ça trop souvent! Réfléchir, chercher, formuler clairement, ça oui, j'adore, mais gérer les suites, ouille. À petites doses, merci!
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