Dernièrement, je lisais un article d'une journaliste féministe qui s'insurgeait devant le fait que, en français, en 2017, le masculin l'emporte toujours sur le féminin.
Par exemple, si je parle de Luc, Isa et moi, je dois dire "des auteurs québécois", au masculin.
Y'en a que ça gène. Qui trouvent que, dans cette situation, on devrait soit représenter tout le monde : "des auteur(e)s québécois(e)s" ou "des auteur.e.s québécois.e.s", soit représenter le groupe majoritaire : "des auteures québécoises".
Personnellement, j'ai toujours vu cette règle de grammaire comme une simple convention et non comme une attaque machiste. D'accord, la convention a été décidée par des hommes à une époque où le patriarcat régnait en maître et oui, le français porte des traces de cette époque, mais bon... (Je ne dirai pas "ça fait partie de son charme", mais je vais le penser, parce que, hé, je suis historienne ;)
Un moment donné, la langue est un ensemble de conventions ayant pour but de communiquer des idées entre personnes. En l'absence de genre réellement neutre en français, on a décidé que le masculin en jouerait le rôle et depuis, on fait avec. (Soit dit en passant, la plupart des langues anciennes avaient un genre neutre, mais à peu près tous les peuples l'ont éliminé avec le temps, parce que franchement apprendre trois accords possibles pour tout, c'est chiant!)
Cela dit, un mouvement féministe revendique l'abandon de cette règle voulant que le masculin l'emporte. Le masculin, dit-on, n'est pas neutre (et je ne m'en rends pas compte parce que je suis une pauvre victime du machisme, paternalisme et autres-ismes qui imprègnent notre société).
Bon, à la limite, si c'est le consensus actuel, je veux bien l'adopter et, même, en faire la promotion dans mes romans.
Sauf que... si le masculin ne l'emporte plus, on fait quoi? On met des syntaxes pointées partout? (styles auteur.e.s) Ça va pas être le fun à lire! (Ni à écrire!) On fait l'exercice mathématique de découvrir le genre dominant à chaque fois qu'on parle d'un groupe? Et si jamais y'a deux gars, deux filles? Ou, problème encore plus épineux, deux gars, deux filles et une "personne ne s'identifiant pas au système binaire de représentation des genres"?
Parce que oui, ça existe ça aussi, mais on ne semble pas avoir encore prévu de nom pour les représenter (queer ne fait pas consensus). Parce que c'est réducteur, paraît-il, de donner un nom pratique à un groupe, de réduire les personnes qui le composent à une seule de leur caractéristique. C'est ainsi que, en 2017, on ne doit plus parler d'aveugle, de sourds, d'autiste, d'handicapé, d'homosexuels, mais bien de personne non voyante, de personne malentendante, de personne autiste, de personne vivant avec un handicap, de personne homosexuelle...
Et l'auteure (pardon, paraît que je devrais dire "autrice" pour me détacher du machisme linguistique ci-haut mentionné, mais je trouve le mot laite à mort, en plus d'avoir l'impression qu'il insiste beaucoup trop sur le fait que je suis une femme qui écrit et non pas un écrivain qui s'adonne à être une femme) arrivée à ce point-ci de ses réflexions linguistiques, a un peu envie d'arrêter d'écrire, de peur d'offenser mortellement une personne ou une autre.
Je ne sais honnêtement pas où on s'en va comme société avec ce langage si inclusifs et précis qu'il en devient inutilisable (sans parler de la redondance du mot "personne" qu'on sous-entendait, me semble, dans les termes "réducteurs"), mais j'ai hâte que l'usage des générations futures tranche la question. (Parce qu'on peut réformer une langue tant qu'on veut, c'est à l'usage qu'on voit ce qui fonctionne).
En attendant, si vous cherchez des personnes vivant au Québec et qui pratiquent la littérature de genre peu importe leur genre, vous les trouverez en fin de semaine prochaine au Congrès Boréal. Probablement en train de boire pour oublier cette discussion! ;)
9 commentaires:
Et pendant qu'on pousse pour que les gens soient extrapoliticallycorrect, la société en général se transforme en troll à la moindre différence. Soupir...
@Fred : J'ai effectivement l'impression que ça manque de nuances! Et que l'un nourrit peut-être l'autre. Des termes neutres et englobant, ça a l'avantage de ne pas attirer l'attention des trolls et autres personnes ayant l'intolérance facile. (Oui, je sais, dans un monde idéal, il n'y aurait plus de trolls... pis j'aurais aussi une licorne de compagnie :p )
@Fred : Et j'ajouterais que la pire variante, c'est le troll-politically-correct qui dit que tu es raciste/sexiste/capacitisme (oui, oui, ça existe) en se basant sur les termes de ton texte et non sur tes idées. "Les termes sont chargés de sens politiques" disent-ils. Ah ouais? Par chez nous, ils sont juste supposés être compréhensibles. :p
La proposition la plus logique contre "le masculin l'emporte toujours", c'est la règle de proximité (utilisée jusqu'à ce qu'un académicien décide que le masculin est plus pur et devrait donc l'emporter sur le féminin dans tous les cas). Masculin + féminin = accord au féminin. Féminin + masculin = accord au masculin. Ça donne un drôle de résultat quand on parle de personnes, mais pour des objets, ça passe plutôt bien :
Le bureau, la chaise et la poubelle sont grises. // La chaise, la poubelle et le bureau sont gris.
Mais bon, je doute que la norme concernant les accords soit modifiée de ton vivant ou du mien, si elle l'est un jour (après tout, l'Académie est encore réfractaire à "mairesse" parce que Mme le Maire est bien plus "sérieux" ¯\_(ツ)_/¯ ). C'est l'usage qui détermine les normes, à long terme, et je doute que la méthode des points et parenthèses pour inclure tout le monde traverse le temps (la lisibilité n'est pas optimale...).
Autrice, par contre, il y a des chances que ça passe parce que c'est une simple question de goût et d'habitude. Actrice n'a pas la connotation que tu donnes à autrice ; ça n'éclipse pas le métier au profit du sexe de la personne. Auteure est après tout considéré comme un barbarisme affreux et atroce par l'Académie (et approuvé avec joie par l'OQLF parce que ça va dans la direction épicène qu'ils promeuvent)!
Ton blogue de ce matin me fait un peu grincer des dents, étant donné qu'évoquer une difficulté pour ne pas faire quelque chose est toujours ce qui est donné en premier à propos de n'importe quoi: que ce soit le système de justice, la réforme de l'éducation, les urgences bondées ou déplacer la track de chemin de fer du centre-ville de Lac-Mégantic... Je suis un peu tannée de lire que c'est trop compliqué et que ça ne vaudrait pas trop la peine de le faire finalement...
Côté "on ne s'en rend pas compte", c'est un aspect de la sociologie en effet, prôné par Bourdieu entre autres, qui dit qu'on fait partie d'un système depuis notre enfance, qu'on grandit avec des privilèges ou pas et qu'on fait avec, sans se rendre compte qu'on reproduit le système. C'est une façon de voir. Heureusement, ce n'est pas la seule: d'autres disent au contraire qu'on a beaucoup plus de pouvoir sur notre monde que ces déterminismes.
Je me situe entre les deux. Il y a bel et bien des choses que l'on reproduit sans trop les questionner, inconscients qu'on transmet une injustice. Et pour d'autres, on sait très bien ce que l'on fait et on décide de continuer pareil!
Comme toi, je ne savais pas trop quoi penser avec la règle du masculin jusqu'à deux événements: un prof qui raconte cette énigme en classe (http://nomadesse.blogspot.ca/2012/11/les-secrets-dune-langue.html) et découvrir d'où vient la règle que le masculin l'emporte (avant, on utilisait plutôt la "règle de proximité"):
"La règle de proximité consiste à accorder le genre et le nombre de l'adjectif avec celui du plus proche des noms qu'il qualifie, et le verbe avec le plus proche de ses sujets. Cette règle a pu s'appliquer jusqu'au XVIIe siècle. Pour justifier la primauté du masculin, l'abbé Bouhours déclare en 1675 que « lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte » ; étant entendu que, comme l'explique le grammairien Beauzée en 1767, « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. » L'accord actuel pour lequel le genre non marqué (semblable au masculin) prévaut, a donc pu être considéré comme une marque de domination masculine."
Alors, si on ne veut pas mettre "auteurs et autrices" partout, on pourrait au moins faire de petits accommodements faciles, comme revenir à cette règle de proximité (qui se fait déjà à l'oral en plus: mais c'est une faute!):
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8gle_de_proximit%C3%A9
Bref, sans vouloir le politically-correct, le fait qu'on questionne la langue, cette sacro-sainte institution pleine d'histoire et de biais, c'est bon signe à mon avis. ;)
@Marine : Sans mêler l'Académie française et ses arguments de pureté fouaireux dans le débat, je n'aurais pas de problème pour qu'on applique aux gens la même règle que tu as démontré pour les objets, parce que, justement, elle est simple. Et autrice m'écorche les oreilles parce que j'ai grandi avec "auteure". Et avec "mairesse" d'ailleurs. Sur ce débat-là, la France et le Québec n'en sont pas au même point.
@Nomadesse : Évoquer des difficultés pour éviter de changer un truc ayant un impact concret sur une société entière, je trouve ça lâche.
Cependant, la communication n'est pas un système érigé de toute pièce. C'est un acte naturel et un besoin pour l'individu (je t'apprends rien ici), qu'il pratique le plus souvent sans y penser. Rendre la communication difficile est donc, selon moi, un problème fondamental pouvant entraîner de plus grosses difficultés que le risque politique qu'il y a à foutre à terre le système de santé pour le rebâtir enfin de manière raisonnée.
Cela étant dit, ce que je questionne ici, c'est "y aurait-il une alternative simple qui rendrait tout le monde de bonne humeur et nous éviterait les syntaxes pointées et autres parenthèses peu lisibles"?
Je ne connaissais pas la règle de proximité (enfin, pas en français, mais je crois l'avoir vu en latin médiéval), mais voilà, elle me semble résoudre le problème. Allez, on appelle l'OQLF et c'est réglé! En plus, elle est déjà entrée dans l'usage par l'oralité, comme tu le soulignes, alors on arrête de dire aux gens que c'est une faute et l'adoption sera hyper rapide!
Pour ce qui est de la fameuse "énigme de la langue", je me souviens que la solution m'était apparue clairement la première fois que je l'ai lue (probablement parce que j'ai grandi avec l'idée qu'une femme pouvait occuper n'importe quel métier). Puis je m'étais dit que l'auteur du texte devait être Français, parce qu'un Québécois aurait dit "la médecin" ou "la docteure" pour éviter la confusion. On s'entend : aucune langue n'est claire à 100% et si on veut la brouiller pour induire le lecteur en erreur, il y a moyen de le faire.
(Un superbe exemple : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/627344/peril-demeure-genevieve-jannelle-prix-nouvelle)
Et selon mes expériences d'historiennes, les perruques poudrées de l'Académie ont souvent brandi des arguments fouaireux (pseudo-biologiques ou religieux ou autres) pour justifier un usage de la langue déjà établi dans la région parisienne et en faire l'usage normal de la langue (les discussions entourant le genre des mots étaient parfois hilarantes selon mon souvenir). Faudrait que je fasse des recherches, mais je ne serais même pas surprise que cette histoire du "masculin l'emporte" soit un cas du genre.
Et je suis d'accord pour qu'on questionne la langue, mais je crois qu'on ne doit jamais perdre de vu sa fonction principale : être un outil de communication pratique.
Être un outil de communication pratique: en effet, là-dessus, je suis bien d'accord. Et j'adopte, quant à moi, "auteure".
Mais j'ai féminisé nomade à ma manière! ;) Nomadesse, c'est trop joli!
@Nomadesse : Tout à fait d'accord, c'est super joli! (On oublie souvent que tant qu'à former des nouveaux mots, l'esthétisme devrait être pris en compte!) Mais ça te sert quasiment de deuxième prénom, donc tout est permis! ;)
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