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Le changement de garde se fait vers 8h. Ma nouvelle infirmière attitrée vient me voir et monitore le travail. Les contractions sont toujours assez espacées et d’intensité assez faible, mais je commence à les ressentir et elle me dit que ça pourrait être le début du travail actif (le « vrai » travail, celui qui ne s’interrompt pas une fois commencé).
Mon médecin passe sur
les entrefaites. En me voyant, il me dit « Comment, vous êtes
encore enceinte? ». Euh? De quoi est-ce qu’il parle? Mon
expression doit l’informer de ma perplexité, parce qu’il
s’explique : « Jeudi passé, me dit-il, je vous ai
envoyée ici à cause de votre tension pour qu’on provoque le
travail. » Quoi?!? Il me confonds avec une autre patiente, ma
parole! Je réponds qu’il y a erreur, qu’on s’est vu vendredi
dans son bureau, que ma tension était belle (pour une fois) et qu’il
m’a donné rendez-vous pour ce mardi pour l’induction. Il ne
semble pas déstabilisé. Faut dire qu’il n’a jamais l’air
déstabilisé. Mon chum le soupçonne d’être un cyborg. Le médecin
me dit qu’on va bientôt me mettre sous ocytocine et que
l’anesthésiste est prêt pour l’épidurale. Pardon? Je croyais
qu’on allait rompre mes eaux d’abord. Le médecin me répond que
c’est déjà fait puisque je suis fissurée. Je dis que bon,
d’accord puisque j’ai pas le choix, mais que je vais essayer
d’accoucher sans épidurale, merci. Le médecin semble sceptique,
me dit que l’option reste ouverte, m’assure qu’on se verra plus
tard et repart. Temps total de sa visite : deux minutes. Mon
impression : il a toujours été expéditif et je l’ai
toujours soupçonné de ne pas bien connaître mon dossier, mais là
c’est le comble!
Heureusement, je
comprends à ce moment que je vais accoucher sous la supervision des
infirmières et non de mon médecin. Celui-ci sera là pour la partie
facile et officielle (sortir le bébé), mais tout le support moral
et les interventions techniques (perfusions, monitorage, assistance
durant la poussée, etc) seront à la charge des infirmières. J’aime
mieux ça!
D’ailleurs, l’infirmière qui m’est attitrée me rassure : j’ai encore plusieurs heures (le temps que les antibios fassent effet) pour que le travail avance de lui-même et que je me passe d’ocytocine. Le monitorage étant terminé, elle m’amène un ballon d’exercice et me laisse avec mon chum. Mon déjeuner arrive (les pères ne sont pas nourris par l’hôpital, ce qui est un moindre mal dans notre cas puisque Vincent ne pourrait pas manger cette nourriture de toute façon, alors on a amené une glacière pleine de bouffe pour lui). Oups, le pain doré n’est pas un aliment recommandé pour une femme souffrant de diabète de grossesse. Bon, si je le mange sans sirop d’érable, ça devrait pas être trop catastrophique.
De 8h à 11h, je joue
donc aux cartes avec Vincent, un soluté dans le bras, assise sur un
ballon d’exercice, en bougeant lors des contractions et en perdant
tranquillement mes eaux. Pas trop traumatisant comme début
d’accouchement.
À 11h, les antibios ayant fait effet et le travail pouvant s’intensifier de façon sécuritaire pour le bébé, l’infirmière m’examine à nouveau. Malheureusement, mon col n’a pas tellement ouvert. Je suis peut-être à 3 centimètres et demi. Le bébé, par contre, a descendu dans mon bassin. Bon, ben, je ne me sauverai pas de l’ocytocine.
Je me couche dans le
lit et l’infirmière branche une perfusion d’ocytocine sur le
soluté que j’ai déjà de planté dans le bras. Elle m’explique
qu’elle va augmenter la dose à toutes les quinze minutes, jusqu’à
ce que mes contractions soient aux deux minutes. Tant que la dose
sera en augmentation, je devrai être monitorée en permanence, et
donc couchée ou assise dans mon lit. Ouf! Je sens que je vais
trouver ça long. Elle me confirme que l’immobilité n’est pas la
meilleure méthode pour lutter contre la douleur ou favoriser le
travail, mais avec l’ocytocine il y a des risques pour le bébé,
alors on ne peut pas interrompre la surveillance. J’trouve que le
truc est plus ou moins au point... On provoque mon accouchement,
parce que continuer la grossesse est potentiellement dangereux pour
bébé, grâce à un truc potentiellement dangereux pour le bébé.
Enfin, j’espère que tout ira bien et que la stabilisation des
doses pourra se faire rapidement.
Vers 11h30, je commence à ressentir nettement des contractions. Mon infirmière, suivant le protocole, mesure ma glycémie et la trouve trop élevée. Je suis étonnée (ces derniers temps, j’obtenais des chiffres normaux peu importe ce que je mangeais), mais on se dit que c’est sans doute à cause du déjeuner, pas conçu pour une diabétique. L’infirmière décide de me donner quelques temps avant de prendre une nouvelle mesure. De toute façon, même si elle doit me donner de l’insuline, ce sera juste une fois le travail bien avancé, quand j’aurai des contractions aux deux minutes depuis un bout de temps.
À midi, l’ocytocine
a rempli son office : mes contractions sont aux deux minutes.
Pour le moment elles durent peu de temps, mais je sais qu’elles
vont aller en s’intensifiant. Pas grave, avec l’aide de Vincent
qui me coache, je maîtrise bien ma respiration. J’ai l’impression
de chevaucher les vagues d’inconfort. À 12h30, j’ai droit à un
petit tour sur le ballon d’exercice et Vincent peut enfin
participer autrement qu’en me tenant la main, en m’épongeant le
visage et en m’encourageant à bien respirer : il me masse les
épaules, le cou, le bas du dos. Ça fait du bien. Je sens que le
travail progresse. Et de fait, à mon retour dans le lit, le col est
à 4 centimètres. Ah, si je pouvais seulement rester sur le ballon!
Peu après, je me rends compte que j’ai mal au bras, près du site où le cathéter de mon soluté entre dans ma veine. Et je constate que mes contractions sont devenues moins fortes. Oh, oh! Je sais ce que ça veut dire, parce que ça m’est déjà arrivé : mon soluté fuit en dehors de ma veine. Merde! Si on ne réagit pas rapidement, mes veines vont éclater et mon bras va devenir gonflé et super douloureux. Je sonne l’infirmière.
Peu après, je me rends compte que j’ai mal au bras, près du site où le cathéter de mon soluté entre dans ma veine. Et je constate que mes contractions sont devenues moins fortes. Oh, oh! Je sais ce que ça veut dire, parce que ça m’est déjà arrivé : mon soluté fuit en dehors de ma veine. Merde! Si on ne réagit pas rapidement, mes veines vont éclater et mon bras va devenir gonflé et super douloureux. Je sonne l’infirmière.
Elle rapplique, m’enlève le soluté infiltré (et me félicite d’avoir remarqué le problème aussi vite), puis commence à essayer d’installer le soluté dans une autre veine. Contraction. Gosse sur le bras gauche. La veine pète. Contraction. Change pour le bras droit. Contraction. Le cathéter se brise. Retour au bras gauche. Contraction. Je commence à trouver que ma situation, à moitié assise sur le lit, le ventre bardé de moniteurs, avec les deux bras étendus et percés d’aiguilles, ressemble à une crucifixion moderne.
Finalement, après
avoir appelé une collègue en renfort, mon infirmière réussit à
me réinstaller un soluté. Et les contractions reprennent. Assez
brusquement merci! Je commence à trouver la situation pénible. En
plus, c’est l’heure de remesurer ma glycémie, puisque le travail
avance bien. Bon, ça devrait être correct cette fois, me dis-je,
puisque j’ai avalé à peu près trois bouchées de soupe pour
dîner. Les contractions, ça ouvre pas vraiment l’appétit.
Mais non, surprise! Ma
glycémie est toujours un peu trop haute. Mon infirmière m’annonce
qu’on va devoir me mettre sous insuline. Ce qui implique un autre
soluté. Je suis plutôt découragée. Sachant que je vais être
clouée au lit de toute façon une fois que ce second soluté sera
installé, je commence à réfléchir à l’option de l’épidurale.
J’en discute avec l’infirmière, qui s’étonne : elle
comprend que j’aimerais pouvoir bouger, mais elle me dit que je
gère franchement bien la douleur. Elle m’explique aussi que les
contractions sont au maximum à cause de l’ocytocine, qu’elles ne
vont pas aller en augmentant d’intensité. Il y aura un changement
dans mes sensations quand on approchera de la poussée, mais ce ne
sera pas pire, juste différent.
L’information est la bienvenue. Ok, je continue sans épidurale. Je veux pouvoir me lever de ce foutu lit dès que j’aurai accouché!
Comme il y a un délai
le temps qu’elle commande l’insuline, et que tout est beau sur
les moniteurs depuis le début du travail, elle m’envoie prendre
une marche dans le corridor. J’apprendrai par la suite qu’elle le
fait de sa propre initiative : mon médecin devrait approuver
chaque interruption de monitorage, mais elle a constaté qu’il n’a
pas l’approbation facile et me prend un peu en pitié. Dans le
corridor, mon chum pousse mon soluté d’antibio et d’ocytocine.
Il me soutient lorsqu’une contraction m’immobilise. J’avance
pas vite avec mes contractions aux deux minutes, mais une fois de
retour dans la chambre, mon col est à un peu plus de 5 centimètres.
La moitié du travail est passée!
On me branche sur l’insuline. Avec un soluté dans chaque bras, l’image de la crucifixion qui m’était venue plus tôt me semble complète. Je me sens un peu mal. J’ai des nausées, la tête qui tourne et des élans d’assoupissement, mais je me dis que ça doit être la douleur et les contractions. Je fais redresser la tête du lit au maximum, je m’assois avec les jambes en papillon (genoux ouverts, plantes des pieds réunies), je pose les mains sur mes genoux et je me concentre sur mon souffle.
À 16h, changement de garde des infirmières. Ma nouvelle infirmière contrôle ma glycémie et obtient le chiffre le plus élevé que j’aie jamais eu (12!). Voilà qui explique mes malaises. Mais on se demande comment ma glycémie peut avoir monté à ce point malgré l’insuline et le fait que je n’ai pas mangé depuis des heures. Oui, parfois, le corps peut brûler des réserves de glucose et augmenter lui-même le taux de sucre sanguin, mais je n’ai jamais eu des résultats de glycémie semblables, même lors des tests (alors qu’ils sont conçus pour obtenir des chiffres extrêmes). Mon infirmière a l’air complètement perdue... puis son regard tombe sur les trois perfusions qui me sont données. Antibiotiques, ocytocine et insuline me sont administrés à l’aide de... solutions sucrées!!! J’ai trois poches de sucre qui me coulent dans les veines!!! Quelqu’un était dans la lune solide quand on m’a installé ça ce matin! L’infirmière remplace les perfusions par des solutions salines, elle augmente un peu l’insuline et je me sens rapidement mieux.
14 commentaires:
Oh la la! Si à la première partie, on se disait que c'est donc merveilleux ton accouchement, là, ça devient plus pénible pour toi et pour les lecteurs parce qu'on ne peut pas s'empêcher de souffrir un peu en même temps! Tu as eu l'air d'avoir des infirmières vraiment supers! Moi aussi, j'en garde un très bon souvenir. La médecin était gentille, mais elle ne passait pas souvent, alors...
C'est un peu pourquoi j'aimerais bien avoir une sage-femme à l'hôpital: la même personne qui fait le suivi du début à la fin, au lieu d'avoir une médecin visiteuse et des infirmières qui changent de chiffres. Mais bon.
My god! Mon dieu! Madre de Dios! Crucifixion moderne, indeed! Incroyable épopée. Je suis soufflée, essoufflée, catastrophée. Fallait bien une écrivaine pour raconter ça aussi bien. Passionnant récit. On croirait à une fiction, en fait, ce serait mieux si c'était une fiction. L'histoire de la solution sucrée dans le bras d'une diabétique semble surréelle et inventée tellement c'est pathétique et dangereux!
Solutions sucrées :
EPIC. FAIL.
;)
Ma marraine est diabétique de type 1 depuis plus de 20 ans. Elle a été hospitalisée pour une péritonite (une appendicite qui a eu le temps de crever)... Eh ben, c'est la vigilance de mon parrain qui a permis d'arrêter le plateau "ordinaire" de se rendre à son lit... Parce que tiens, un coma diabétique avec une telle infection, ce n'était pas le temps...
Je trouve ça étrange que de telles erreurs arrivent encore dans les hôpitaux avec tous les gens qui sont allergiques, diabétiques, intolérants, coeliaque, etc.
@Nomadesse : Heureusement que les infirmières étaient géniales, oui. Et je comprends maintenant tout à fait l'idée d'avoir une sage-femme avec soi à l'hôpital.
Surtout que peut-être qu'elle aurait allumé à propos des solutions sucrées...
@Femme libre : J'aurais préféré que ce soit une fiction, oui! Pour les solutions sucrées, je sais pas ce qui s'est passé, à part que la première a été installée par une infirmière de passage et non par mon infirmière attitrée.
@Guillaume : Ouaip. D'ailleurs, le déjeuner de pain doré, c'était déjà mal parti...
@Nomadesse : Je suppose que c'est le débordement constant des divers pavillons qui explique les erreurs. Ça et le fait que les plateaux de déjeuner spéciaux sont commandés à l'heure du souper la veille. Alors si tu entres (comme moi) passé 6h le soir, tu reçois automatiquement le plateau ordinaire le lendemain matin. Et ça vaut pour tous les repas : faut que tu sois là au repas d'avant pour demander un menu spécial pour la suite.
Ta***, je savais que tout n'était pas au poil dans le système hospitalier, mais c'est quand même inquiétant tout ça. :-/ Mais contente de te relire de nouveau!
Contente, surtout, que tout aille bien maintenant. :-)
@Caro : Je ne pensais honnêtement pas qu'il pouvait se produire des erreurs pareilles!
Ouf, pas fort le coup des solutés...
Je crois que j'aime lire le récit de ton accouchement parce que moi, j'ai pas assisté à mon propre accouchement (pré-éclampsie à 36 semaines, accouchement d'urgence par césarienne).
J'ai vraiment hâte de lire la suite demain en espérant que la suite va pour le mieux :P
@Prospéryne : Pas fort, non.
@Gaby : Ben... T'étais consciente pendant ta césarienne, non? (Alors je dirais pas que tu n'as pas assisté à ton propre accouchement, il a juste été différent)
Non j'étais endormie lors de ma césarienne :P Je me suis réveillé que 1h30 plus tard et je n'ai vu que mon fils le lendemain matin.
Comme quoi chaque accouchement est différent :)
@Gaby : Le lendemain?!? Ouille, ça a pas dû être évident. :(
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