C'était le début du printemps. Je sortais du wagon de métro et j'ai croisé une ex-collègue. On a marché ensemble vers la sortie. Juste à l'extérieur de la station, sous l'avant-toit qui protègeait, un peu, de la pluie, les itinérants s'entassaient. Comme à tous les matins, j'ai eu un coup au coeur en les voyants. Des hommes de l'âge de mon père ou plus vieux, pas assez vêtus, la barbe longue, les cheveux sales, enroulés dans des sacs de couchage ou des couvertures. Les plus chanceux serraient dans leurs mains des cafés de chez McDo qui ne fumaient même plus. D'autres se parlaient à haute voix.
Ma collègue a pressé son nez contre le col de son imperméable et accélèré le pas.
Elle - Ouf! s'est-elle exclamé une fois sur le trottoir. C'est dégueulasse ce que ça sent.
C'est vrai qu'une accumulation de sans abris dans un espace restreint, ça sent pas la rose. Plutôt la misère. Et la détresse.
Moi - Ils font tellement pitié. Je donne de l'argent aux refuges, mais on dirait que ce sera jamais assez.
Elle (distraitement) - Ouin. Heille, tu sais pas ce que j'ai vu à la télé hier? Un reportage sur comment les animaux de boucherie sont élevés. C'était dégueulasse! On peut pas traiter des bêtes de même. J'mangeais déjà pas beaucoup de viande, j'pense que je vais devenir végétarienne. Ou acheter de la viande bio. En plus, c'est fou ce que ça fait à la planète. Si tout le monde était végétarien, personne manquerait de nourriture, même en Inde pis dans ces places là. Le monde irait ben mieux! Il paraît que...
Normalement, j'aurais répondu à son discours avec mes arguments habituels : manger moins de viande, oui, diminuer les produits animaux, d'accord, mais l'humain est un omnivore, la diversité, c'est la santé et tous les végétariens que je connais ont tôt ou tard eu besoin d'un supplément de vitamine B12 ou de fer, alors bonjour l'industrie pharmaceutique, bla bla bla... Mais à la place, j'ai jeté un coup d'oeil aux itinérants.
Moi - C'est drôle, mais ici on manque pas de bouffe, ni d'argent, pis y'a quand même une gang de monde qui dorment dans la rue.
Ma collègue m'a regardé de travers.
Elle - Ça a pas rapport!
Me semble que oui, pourtant. Sa réponse m'a rappelé pourquoi je m'ennuyais pas vraiment de ce boulot-là...
12 commentaires:
On ne raisonne pas tous de la même façon et on ne peut pas s'entendre avec tout le monde. Et puis, le matin, avant déjeuner, c'est pas le temps de partir de grandes discussions pour changer le monde.
C'est dans ces moments-là que j'apprécie mon parcours universitaire: on m'y a appris à voir les choses de façon globale, de faire des liens entre des sujets apparemment non-liés. Pas juste de se fier à ce que l'on dit à la télé ou à la radio!
@ClaudeL : C'est quand le moment des grandes discussions pour changer le monde? Le soir après un verre de vin, ça me semble moins sérieux! ;)
@Prospéryne : Hep. En même temps, je suis d'accord que les conditions d'élevage des animaux sont souvent dégueux (sauf que les reportages nous montrent souvent les fermes industrielles des États-Unis ou de l'Ouest, pas celles d'ici), mais disons que mes préoccupations prioritaires sont ailleurs...
À côtoyer la misère sur une base régulière, soit on laisse la compassion nous gagner et on pose des gestes concrets, soit on devient blasés pour ne plus se laisser affecter. Mais les deux réactions sont rarement compatibles, les uns ne comprennent pas les autres, tu l'illustres bien ici.
@Hélène : Des fois je me demande si les gens qui ne remarquent plus la misère sont vraiment blasés ou juste tellement inattentifs qu'ils ne remarquent même plus que ce sont des humains qui traînent là, entre deux sacs de poubelle.
@Hélène et Gen: Moi je crois que les gens qui sont blasés de cette misère sont ainsi parce que c'est plus difficile à gérer pour eux que la souffrance des animaux. On préfère se dire qu'ils ont sûrement mérité leur situation que d'avoir à gérer l'impuissance de comprendre que ça pourrait nous arriver.
Et puis, pour d'autres, c'est tout simplement un manque d'empathie. Ça prend alors des petites répliques comme les tiennes Geneviève pour parfois l'éveiller. On ne sait jamais!
@Nomadesse : J'ai effectivement entendu beaucoup de gens se réfugier derrière le "ils l'ont mérité" ou "moi j'ai travaillé fort pour avoir ce que j'ai". Me semble que moi la première pensée qui me vient en regardant les itinérants, c'est plutôt la peur qu'un jour ce soit moi ou mes proches qui en soient réduits à cette misère-là.
C'est plus compliqué que ça. Je vis dans un quartier (centre-ville) où les itinérants vivent aussi. C'est tous les jours que je les vois. La semaine passée, j'avais à sortir tôt et j'en ai enjambé un pour sortir de l'immeuble. Ils font partie de mon quotidien. C'est vrai que je les vois moins, non, mal dit, je les vois toujours mais je ne crève pas de souffrance à chaque fois que je les vois, sinon ma vie serait ingérable. J'en connais plusieurs, ils me connaissent aussi. On se salue cordialement quand ils sont en état de le faire. Ne me demandent plus d'argent car ils savent que je n'en donne jamais. J'ai déjà offert des croissants tout chauds et ils ont été refusés. On peut faire quoi concrètement? C'est un problème global, immense, social. Un problème qui me dépasse personnellement. Je ne peux ni ne veux en inviter un chez moi. Ils ne me demandent rien sauf de l'argent que je ne leur donnerai pas. Travailler dans un centre pour sans-abris comme bénévole? Peut-être bien. Mais ceux de ma rue ne les fréquentent pas.
Plus simple de se préoccuper du bien-être animal.
Il faut dire aussi qu'on respecte beaucoup le libre-choix de l'individu dans notre société. Si une personne choisit la rue, on va la laisser faire, même si la personne souffre de maladie mentale ou d'alcoolisme au dernier degré. Pour s'occuper d'une personne contre sa volonté, il faut qu'elle soit un danger pour elle et/ou les autres. Un homme toxicomane et schyzophrène qui divague à haute voix sur la rue et qui va dormir sur le trottoir n'est pas considéré comme un danger pour lui-même ou les autres. Pas encore.Il faudrait qu'il s'ouvre les veines ou qu'il menace un passant avec un couteau pour qu'on l'arrête et l'interne.
@Femme libre : Je suis d'accord avec vous, je sais tout ça, mais... Mais on a quand même un problème de société, non, quand on se retrouve avec des gens malades qui errent dans les rues? Oui, en théorie ils ont choisi d'être là, mais... C'est quoi les autres choix quand on a des voix qui nous hurlent à la tête et pas de famille (ou une famille épuisée) pour nous ramener dans la réalité?
Et je soupçonne bien des gens qui pleurent sur le sort des animaux de se sacrer pas mal du sort des itinérants. Les poussins pis les veaux, c'est pas mal plus cute.
J'ai déjà été bénévole dans un centre qui aidait les sans abris. Ceux qui traversaient une mauvaise passe, temporaire, et qui étaient équipés pour s'en sortir, étaient une minorité et la société les aide énormément. Les autres souffrent de maladies mentales ou plein d'autres choses, qui les rendent inaptes à s'intégrer. Encore là, nombre de programmes sociaux s'offrent à eux. On n'est pas obligés de leur donner à manger ou de les inviter chez soi, mais on peut donner aux organismes qui les aident concrètement, sur le terrain, c'est déjà un bon début. Mais on ne devrait pas se cacher la tête dans le sable et prétendre qu'ils n'existent pas, parce qu'ils sont moins cutes qu'un petit chat abandonné. Je suis d'accord que pour beaucoup, devant l'inconnu et le sentiment d'impuissance, c'est plus facile à gérer de les ignorer, hélas.
@Hélène : Je dois dire que je serais incapable de faire de l'aide directe. Les gens poqués, ça me vire à l'envers. Même les ados auxquels j'enseignais, j'avais du mal à pas prendre tous leurs ti bobos sur mes épaules. Tu as toute mon admiration.
Pour le reste... Oui, investir dans les organismes qui les aident, je crois que c'est la solution. Ce qui me rend particulièrement touchée par ces questions, c'est que j'ai un proche atteint de schizophrénie. Et depuis qu'il est adéquatement (et étroitement) supervisé, il va bien. Mais il a attendu longtemps les bonnes ressources.
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