Je viens de lire "Putain" de Nelly Arcand. Ou, techniquement, de le relire. Parce qu'un prof un peu sauté l'avait mis dans la liste de nos lectures suggérées lors de ma dernière session de cégep en littérature. Le bouquin était fraîchement sorti, même le prof ne savait pas exactement ce qu'il nous avait suggéré de lire. On devait lire deux ou trois livres "suggérés". Une de mes amies avait commencé "Putain" et l'avait lâché, dégoûtée. Elle me l'avait prêté. J'en avais lu le début, puis, parce qu'on était en fin de session, j'en avais survolé suffisamment pour pouvoir pondre un commentaire de lecture.
À 18 ans, pour une jeune femme qui aimait se maquiller et jouer les séductrices, qui portait toujours des talons hauts parce que ça lui faisait une plus belle silhouette, ça ne semblait pas dur à comprendre du Nelly Arcand. Mon commentaire a dû ressembler à "Wow, cette fille-là, elle est sautée rare, j'pense qu'il s'est passé de quoi de bizarre avec son père, pis elle a besoin d'un psy. D'une femme idéalement, parce que dans le livre, elle parle de coucher avec le psy masculin qu'elle fréquente déjà".
J'avais redonné le livre à mon amie et je l'avais oublié. Un moment donné, probablement pas longtemps après sa sortie, je me souviens avoir lu "Folle", sans doute de la même façon brouillonne, encore une fois en l'empruntant à quelqu'un. Je cherchais des bonnes histoires, des aventures épiques, des romans historiques... Les monologues d'une cinglée, fussent-ils bien écrits, ils me passaient des mille au-dessus de la tête.
Ce n'est que dernièrement, en lisant un enième article sur Nelly Arcand, que je me suis dit que je devais lui redonner une chance. Plonger dans plus sérieux que Paradis clef en main. J'ai acheté "Putain".
Ouch.
Nelly Arcand, à 30 ans, même si on a abandonné la tyrannie du maquillage et des talons hauts, même si on est en couple depuis des années, même si on n'entre ni dans le moule de la femme-larve, ni dans celui de la schtroumphette, ça fesse. Surtout si on a commencé à blanchir, à voir l'effet des ans sur notre visage, sur notre capacité à plaire... Si on a eu, parfois, le réflexe de se comparer aux autres femmes pour se rassurer. Pour se dire qu'on sera toujours plus jolie que celle-ci, plus agréable que celle-là...
Sans jamais atteindre, ni même effleurer, les sommets de haine de soi que Nelly étalait, page après page, je crois que, maintenant, à 30 ans, je peux enfin la comprendre un peu, ou du moins accepter d'écouter ce qu'elle avait à raconter.
Je suis heureuse, enfin autant qu'il est possible de l'être avec un tel bouquin, d'avoir relu ce livre, pour vrai cette fois, phrase après phrase, page après page, parfois sans presque respirer, portée par l'effrayante fuite en avant qu'était l'écriture de Nelly, si semblable à sa courte vie.
C'est en terminant "Putain" que j'ai réalisé à quel point le suicide de l'auteure n'aurait dû surprendre personne. Ce livre, c'était en grande partie la chronique de sa mort annoncée.
7 commentaires:
Eh bien je crois que je viens de trouver le titre qui sera le livre de "littérature générale" que je vais lire cet été :-) Tu as piqué ma curiosité :-)
Bon, quant à Hanaken 2, le barème étant:
0 = Pourri
1 = Bof
2 = Passable
3 = Moyen
4 = Bon
5 = Très Bon
6 = Excellent
7 = Miam!
8 = Pourquoi n'ai-je pas pensé à cette histoire?
Mon verdict est : 7,5
:-)
Et accessoirement : ON VEUT LA SUITE!!!
@Phil : Merci pour la note d'Hanaken! ;) J'écris la suite là, t'inquiète pas.
Pour "Putain", je sais pas si en tant que gars ça te touchera autant... Peut-être, après tout : l'image des hommes là-dedans c'est quelque chose aussi...
J'ai lu Nelly Arcand aussi. Troublant.
Il y a du théâtre inspiré de son oeuvre qui joue actuellement à L'Espace Go. "La fureur de ce que je pense", une idée de Sophie Cadieux. Les critiques sont excellentes.
@Femme libre : Ah voilà, c'est en lisant des critiques du spectacle que l'envie de la relire m'est venue en tête! :)
Mais je ne crois pas que j'irais voir un spectacle basé sur ses écrits. Déjà juste les mots, avec la distance qu'on peut prendre par rapport à eux, ça me suffit.
Moi aussi ça m'a touchée, Putain, puis Folle avec cette fascination/horreur de savoir que l'on contemple quelque chose de malsain, d'autodestructeur, sans pouvoir s'arrêter. À la fin de Putain en effet elle dit qu'elle ne verra pas ses trente ans, elle aura menti de peu. Une copine psychiatre l'a d'ailleurs rencontrée lorsqu'elle est venue parler de son oeuvre devant l'association des psys au complet. Imagine un peu ça. Ils l'ont trouvée géniale, et moi aussi.
@Hélène : Ce qui m'a fascinée, c'est de constater à quel point ses réflexions sont parfois des réflexions "normales", mais poussées à l'extrême. Quelle femme ne s'est jamais trouvée moche devant son miroir? Mais jamais au point où elle pouvait se détester.
Les psys l'ont trouvée géniale? Me semble qu'à leur place, je me serais un peu inquiétée...
En effet, elle aura menti de peu à propos de ses trente ans.
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