vendredi 19 octobre 2012

Celle que je ne voulais pas être

Quand j'étais petite, je m'imaginais adulte, écrivaine, travaillant jour après jour dans mon bureau-bibliothèque chaleureux, près d'une fenêtre ouverte sur la nature, et sortant de mon antre trois ou quatre fois par année pour rencontrer mes lecteurs lors des salons du livre...

Pendant mon cégep en littérature, on m'a ramenée à la réalité. Des professeurs nous ont expliqué la réalité du milieu littéraire : beaucoup d'appelés, peu d'élus et encore moins d'écrivains publiés qui vivaient de leur plume. Ils ont présenté une image de l'écrivain beaucoup plus juste : celle de l'artiste jonglant entre son emploi alimentaire et sa carrière d'auteur, bouclant ses fins de mois de peine et de misère, se livrant à la course aux subventions, au réseautage effréné pour obtenir des animations scolaires et arrachant ses précieuses heures d'écriture à des nuits déjà trop courtes.

Je n'avais pas envie de cette vie-là. J'étais née et j'avais grandi dans une famille de la classe moyenne (maison de banlieue, piscine, une voiture par adulte, télé câblée, sorties au restaurant, satisfaction immédiate de tous les besoins matériels et d'une bonne partie des désirs) et je n'imaginais pas un autre style de vie. Et en me comparant honnêtement aux autres étudiants de mon programme, je ne croyais pas avoir ce qu'il fallait pour percer. J'étais dépourvue de leur étincelle de génie, de leur gentil bordélisme qui me semblait éminemment créatif et essentiel à tout véritable artiste. Mais, surtout, j'étais dépourvue de la pensée positive qui faisait se dire aux autres que, pour eux, ça irait autrement.

Alors, au lieu de m'inscrire en littérature à l'université, j'ai pris la voie de l'histoire, en me disant que je deviendrais prof et que je pourrais peut-être, un jour, écrire des romans historiques pendant mes étés de congé. Je ne savais pas que dans la profession très respectée d'enseignant au collégial, il y a également beaucoup d'appelés et peu d'heureux élus titulaires d'un poste à temps plein, surtout à Montréal. Ni à quel point c'est prenant un boulot de prof. Je n'ai jamais complètement arrêté d'écrire, parce que j'avais besoin de coucher des mots sur le papier, mais je n'espérais plus vraiment que ça fonctionne. Je n'ai plus envoyé de texte, sauf une petite nouvelle policière, écrite entre deux chapitres de mémoire de maîtrise...

J'ai fini mes études, commencé à travailler... et un jour j'ai reçu un courriel : la petite nouvelle policière a été acceptée chez Alibis. C'était Le Double. J'en ai été chamboulée. Avais-je donc ce qu'il fallait pour percer? Puis tout a déboulé. Mon contrat d'enseignante s'est terminé. Je me suis mise au secrétariat, "en attendant". J'ai ouvert ce blogue. Mis autant d'énergie à écrire que j'en avais mis à étudier ou à enseigner. J'ai publié à nouveau des textes courts. Une fois, deux fois... Gagné un prix. Publié un roman. Puis un autre.

Et me voilà, jonglant entre la job qui paye les comptes et l'embryon de carrière d'auteur, piétonne par choix, boudant les restaurants au nom de ma santé diététique et financière, distinguant soigneusement mes désirs de mes besoins, me livrant à la course aux subventions, au réseautage pour obtenir des animations, troquant parfois le sommeil pour l'écriture, envisageant rêveusement le jour où j'écrirai à temps plein, au risque d'avoir des fins de mois difficiles...

Bref, me voilà celle que je ne voulais pas être. Et vous savez quoi?

C'est dur, mais j'adore ça.

28 commentaires:

Annie Bacon a dit…

J'adore ce billet.
Foutu métier.
Métier merveilleux.
Et tu as ABSOLUMENT tout ce qu'il faut pour faire partie des "peu d'élus".

Prospéryne a dit…

Vivre ses passions demande souvent d'être moins exigeant côté finances. Ne lâche pas tes rêves pour autant Gen, tu sais, c'est tellement facile de ce créer des besoins alors qu'au fond, on en a pas vraiment besoin!

Ariane Gélinas a dit…

Très beau billet, ce matin, Geneviève, écrit avec une grande finesse :) Billet qui me rejoint beaucoup, entre les cours, le travail et les moments d’écriture volés au reste. Au plaisir d'en discuter dans un prochain Salon, devant un verre d'eau (quand on est pauvre... :P )

Hélène a dit…

Tu es un bel exemple d'un rêve réalisé au fond, tu ne fais pas exactement ce dont tu rêvais petite, mais presque. Et tu sais que ce que tu récoltes maintenant, tu l'as semé il y a longtemps. Alors qu'est-ce qui t'attend dans quelques années? Ton rêve de petite fille peut-être, qui sait?
Bonne chance et bravo pour toutes tes réalisations jusqu'ici.

Gen a dit…

@Annie : Le problème c'est que ce n'est pas un métier! lol! C'est un commerce bizarre d'un produit peu connu! ;) Et j'espère tellement avoir ce qu'il faut pour m'y illustrer un peu...

@Prospéryne : Le problème c'est qu'un moment donné il y a des dépenses sur lesquelles ont peut difficilement couper (bouffe et loyer). Mais oui, j'apprends tranquillement à réduire mes besoins.

@Ariane : Je ne pensais pas que ça te rejoindrait, puisque toi tu as eu le courage de continuer en littérature. Et on en discutera autour d'un verre de vin : samedi soir au SLM, c'est Alire qui l'offre! ;p (quand on est pauvre, on apprend à devenir parasite! :p )

Gen a dit…

@Hélène : Je peux juste espérer, oui. Mais j'en vois beaucoup autour de moi qui sont passés très près de leur rêve et que la déception a rendus amers.

Ariane Gélinas a dit…

D'accord pour la littérature, mais même avec ce parcours, il y a peu de possibilités, sinon celle, en tête, d'enseigner... ;) Donc, ça revient un peu au même, au final ! Même si, évidemment, je préférerais écrire à temps plein, mais ce n'est pas évident, pour les raisons que nous connaissons. Enfin, je pense aussi que tu as réalisé une partie de ton rêve déjà, qui ne demande qu'à continuer de croître.
Et au plaisir d'en discuter le samedi au SLM (au fait, je pense que nous sommes en signatures toutes les deux ce soir-là)

Gen a dit…

@Ariane : Ouais, bon, en allant en histoire, je pensais avoir d'autres débouchés. J'avais quasiment fini mon bac quand j'ai appris que la plupart des guides de musée travaillent au salaire minimum!

Quand je suis au boulot, en train de dépanner une photocopieuse en bourrage, mettons que je me sens loin de mon rêve! ;)

Mais derrière la table de signature dans un salon, ça va mieux. ;) Et oui, je pense qu'on signe ensemble au SLM! :)

Ariane Gélinas a dit…

Ah, ça me rappelle à quel point j'étais aussi mal informée en commençant mon BAC en lettres : je pensais que les gens qui étudiaient la littérature voulaient écrire ! Alors qu'en majorité, ils étudient des textes théoriques qui étudient des textes littéraires *soupirs*, et ce, en ne parlant presque jamais de création.
Enfin, c'est moins pire que de combattre avec une photocopieuse, je le concède, mais quand même ! Courage, il faut essayer de ne pas être trop défaitiste devant notre "rêve"...

Et c'est super pour le SLM :)

Ed. a dit…

« Le problème c'est que ce n'est pas un métier! lol! C'est un commerce bizarre d'un produit peu connu! »

Aoutche.

Gen a dit…

@Ed : "Métier" selon le dictionnaire d'Antidote : "Occupation régulière et rémunérée n’exigeant pas de hautes études universitaires et qui ne constitue pas une fonction."

Donc... Je sais pas pour toi, mais moi pendant les salons du livre, je me sens plus proche des artisans du salon du Métier d'art.

Ed. a dit…

C'est plutôt les mots « commerce » et « produit » qui me donne un arrière-goût de bile.

Luc Dagenais a dit…


@Gen : superbe billet.

Pour ce qui est d'être guide de musée au salaire minimum, c'est déjà pas mal. Le MBAM offre un programme (contingenté!) conjointement avec l'UdM, qui coûte 625 $ +frais, qu'on doit compléter pour obtenir l'insigne honneur d'y être guide bénévole... bonjour les débouchés pour les étudiants en hist. de l'art. 8(

http://www.fep.umontreal.ca/formationcontinue/guidemusee.html

Gen a dit…

@Ed : Désolée, en tant qu'historienne, "commerce" et "produit" ne sont pas automatiquement des mots entachés de méchant capitalisme pour moi! ;) Et reste qu'un écrivain vit en vendant ses histoires.

@Luc : Ouais, j'avais entendu parler de ce genre de programmes. Ça existe aussi pour les plus petits musées d'histoire.

Le Mercenaire a dit…

Ouais mais, t'sais... La figure de l'écrivain moderne et contemporaine est toutefois indissociable du capitalisme comme le livre imprimé (premier objet à être reproduit en série à l'aide de la machine) annonçait lui-même la révolution industrialo-capitaliste.
Dans le cas du livre imprimé, les concepts de «produit» et «commerce», sont malheureusement prisonniers du concept de «capital».
Là où ils s'en échappent, c'est lorsqu'on considère le texte. Le livre, c'est un support parmi tant d'autres du texte. Dans le cas d'une économie «opensource» par exemple.
Je transformerais peut-être ce que tu avances en disant plutôt qu'un écrivain vit en publiant ses histoires. Je pense qu'il faudrait, le plus possible en tout cas, séparer fonction et salaire. Dans le cas de ceux qui crééent des objets culturels du moins.
Même si on vient s'obstiner ici avec toi, moi pis Ed, on est des grands fans secrets de ton blogue, t'sais.

Gen a dit…

@Le Mercenaire : Hé bien, je savais pas que j'avais des admirateurs secrets! ;) (Par contre, sachant que Ed en fait partie, je vais m'inquiéter si un jour je reçois une douzaine de roses d'un expéditeur anonyme... ;)

Et bon, moi la notion de capitalisme ne me pose pas tant de problème. J'ai plus de difficulté avec "capitalisme sauvage", "libéralisme" et autres dérives.

C'est sûr que dans un monde idéal on serait tous payés pour écrire, que ça se vende ou pas. (Quoique ça voudrait dire que certaines personnes qui publient déjà trop vite des navets pourraient sans doute publier encore plus rapidement...)

Mais en attendant, je m'assume en tant que vendeuse d'histoire! ;)

Ed. a dit…

http://bit.ly/T3cvn5

;)

Gen a dit…

@Ed : Lolol! ;)

François Bélisle a dit…

J'adore ce billet. Toucher au but sans y être vraiment. Une étape dont peu parlent. Vouloir écrire et y parvenir. mais après? J'adore ce billet.

Isabelle Lauzon a dit…

Moi aussi, j'ai adoré ce billet. Il fait réfléchir. À ce qu'on veut dans la vie, à ce qu'on ne veut pas, aux concessions qu'on est prêts à faire... Ou pas. :)

Josée a dit…

Je crois qu'on peut tous se reconnaître dans ce billet. Pis on pense toujours que c'est plus facile, plus rose pour les autres, ou qu'on n'est pas fait pour ça parce qu'on n'a pas le même rythme, le même style.
Moi, le réseautage, j'suis pas capable. Je suis recluse à l'os, j'ai déjà passé des mois sans sortir de chez-moi. J'ose jamais me pointer aux lancements de Brins d'éternité et je suis gênée d'aborder les gens à Boréal.

Enfin, tout ça pour dire: je te comprends, lâche pas la patate!

Pour moi, t'es un exemple (avec Ariane :P)

Gen a dit…

@François : Merci. Tant mieux si ça te semble significatif. :)

@Isabelle : Comme tu le sais, je suis prête à faire beaucoup de concessions... mais j'avais envie d'expliquer que ça n'a pas toujours été le cas.

@Josée : Tsé, moi c'est Ariane que je regarde avec des étoiles plein les yeux. J'essaie encore de comprendre comment elle réussit à écrire à ce rythme-là!!! Mais oui, bon, tout est toujours plus vert chez le voisin.

Ariane Gélinas a dit…

Josée et Geneviève : Arrêtez, vous me gênez ;) Et je n'écris pas si vite que ça, même si j'ai une bonne discipline, surtout pour l'étape de la réécriture. En plus de vivre en ermite comme toi, Josée, sauf lors de rares sorties aux lancements et à l'université ! (comme je travaille la plupart du temps à partir de chez moi, c'est plus facile, j'en conviens)
Cela dit, moi aussi, j'ai l'impression que c'est plus facile pour les autres, héhé ;)

Gen a dit…

@Ariane : C'est sûr que tu passes moins de temps que moi en transport et/ou chez ton employeur. ;)

Ariane Gélinas a dit…

Oui, sans oublier la fatigue que suscitent les nombreux déplacements (moins je vois de gens, plus j'arrive à écrire, normalement :P) Donc, si tu pouvais faire de la traduction chez toi, ce serait l'idéal, non ;) ?

Gen a dit…

@Ariane : Travailler moins et/ou de chez moi, ce serait effectivement l'idéal. Pour la traduction... euh... bon, je vais essayer de finir mon mini-programme dans un temps raisonnable et on verra ensuite!

Valérie a dit…

C'est drôle, je lis cette chronique après celle sur ton conte de Noël et ça rejoint exactement le commentaire que je t'ai fait: je suis une conteuse. En voyant les autres étudiants en littérature, en lisant des textes classiques, j'ai moi aussi réalisé que je ne voulais/pouvais pas cela. Que ce n'était pas moi. Et ça m'a amené à me forger une identité différente: celle de la "conteuse écrite". :)

Gen a dit…

@Valérie : Amusante voie mitoyenne! ;)