mercredi 27 juin 2012

Une sur trois dans tous les cas

En l'honneur des trois ans du blogue, voici donc une petite nouvelle inédite. Le concept m'en était venu un matin que j'écoutais des collègues comparer leurs horoscopes du jour...
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Yves marchait sur le trottoir propret d'une banlieue tranquille. Il avançait de son pas mesuré, très exactement un mètre l'enjambée, de comptable sans histoire. Arrivé à dix-huit pas de sa demeure, le numéro 16-14, comme à son habitude il glissa la main dans sa poche et sortit son trousseau de clef.

Cependant, contrairement aux autres jours, son portefeuille, au lieu de rester gentiment en place, s'accrocha dans l'une des neuf clefs, fut tiré avec elles de sa poche et tomba sur le trottoir. Il fallut un moment, pendant lequel Yves fit quatre pas, avant que cette entorse aux conventions ne fasse son chemin dans son cerveau plus conçu pour l'addition que pour la gestion d'événements. Enfin, des signaux d'alarme s'y allumèrent. Il avait échappé son portefeuille!

Yves se retourna en fronçant les sourcils, pressé de récupérer l'objet fautif. Il découvrit alors qu’un inconnu s’était déjà chargé de ramasser le portefeuille. L’homme étant vêtu d'un complet fort correct, valant au bas mot onze cent dollars, Yves présuma qu’il s’agissait de l’un des discrets habitants du quartier et qu’il avait récupéré le portefeuille par serviable réflexe, dans l’intention de le rendre à son propriétaire.

— Merci, lança donc Yves en tendant la main vers son bien, je l’ai laissé tomber on dirait!

L’inconnu eu un geste de recul, ramenant le portefeuille dix centimètres en arrière, contre sa poitrine, comme pour le protéger. L’inquiétude gratta timidement à la porte de l’esprit du comptable. Qu’est-ce que c’était que ce comportement?

— Pardonnez-moi, répondit l’inconnu, mais vous n’auriez pas un emploi à m’offrir?

Yves fronça les sourcils. À d’autres, le demande aurait pu paraître naïve ou puérile. Son propre champ d’expertise consistant à assainir des budgets en réduisant la masse salariale, cette requête lui sembla tout simplement grossière. Il observa plus attentivement son vis-à-vis et, malgré ses vêtements de bon aloi, il remarqua chez lui une touche d’excentricité mystique, matérialisée par son épingle à cravate en or frappée des douze symboles du zodiaque. Voilà qui expliquait le comportement étrange de l’inconnu. On pouvait s’attendre à tout de la part de gens crédules orientant leur vie selon les diktats d'un système astronomique fautif et de prédictions volontairement vagues composées grâce au détournement d'algorithmes mathématiques!

— Non, je suis désolé, je suis comptable, pas recruteur, répondit Yves. Pourrais-je récupérer mon portefeuille?

L'inconnu baissa les yeux vers l'objet en question, qu'il tenait toujours d'une main et s'essuya le front, où avaient perlé six grosses gouttes de sueur, du revers de la manche de son autre bras. Ce comportement écoeura Yves. On ne maltraitait pas ainsi un costume de prix! Sous ses yeux, l'inconnu se tortilla sur place, sauta d'un pied sur l'autre huit fois, avançant puis reculant de quelques centimètres à chaque occurrence, comme s'il était tiraillé dans deux directions différentes par de quelconque pressions internes. Et l'une de ces directions semblaient être diamétralement opposée à Yves! L'inquiétude ouvrit la porte de l'esprit du comptable et envahit la place. Cet homme ne songeait tout de même pas à lui voler son portefeuille?

— Alors vous n'auriez pas une fille, une soeur ou une collègue à me présenter? repris l'inconnu d'une voix geignarde, presque suppliante.

Tandis que l'inquiétude s'installait à demeure dans la tête d'Yves, mettant ses pieds sur le bureau et bousculant sa calculatrice intérieure, le comptable pensa brièvement à sa fille de quinze ans, sa soeur de dix-sept, ses sept collègues de travail féminines... Il n'oserait infliger à aucune d'elle cet individu agité, aux questions désespérées, à l'épingle de cravate déplorable, aux manches imbibées de transpiration et qui présentait une fâcheuse tendance à garder les portefeuilles en otage.

— Non, non et non! rétorqua-t-il. Je ne suis pas une agence de rencontre! Rendez-moi mon portefeuille!

La réponse d'Yves parut calmer brusquement l'inconnu, qui cessa de se tortiller. Il leva un bref instant les yeux au ciel, haussa les épaules, lâcha un « Non » résolu et s'enfuit en courant, à une vitesse approximative de treize kilomètres heures, beaucoup trop rapide pour qu'Yves puisse espérer le rattraper.

Dans sa fuite, l'inconnu abandonna derrière lui un bout de papier, peut-être échappé de l'une des cinq poches de son veston. Espérant que celui-ci contiendrait quelque renseignements sur l'identité de son voleur, Yves le ramassa.

Le papier se révéla être le coin déchiré d'un journal, une partie de la section des horoscopes, où on lisait :

Sagittaires
Amour - Aujourd'hui, vous croiserez une personne significative
Travail - Aujourd'hui, vous croiserez une personne significative
Argent - Aujourd'hui, vous croiserez une personne significative

Cela n'apprit pas grand chose au comptable... Sinon que son voleur et lui avaient le même signe astrologique et que l'une des trois prédictions du jour, pourtant clairement le fruit d'une aberration statistique ou d'un hoquet du système de rédaction automatisé, venait de se réaliser.

5 commentaires:

Philippe-Aubert Côté a dit…

Fichus horoscopes :-)

Isabelle Simard a dit…

lol =) merci pour ce délicieux clin d'oeil.

Isabelle Lauzon a dit…

LOL! Très bon, mais je t'en veux, là : kossé que t'as contre les comptables, ma mauzusse? ;)

Gen a dit…

@Phil : ;)

@Isabelle : Fais plaisir!

@Isa : LOLOLOL! Rien, c'était juste drôle d'opposer un comptable terre à terre avec un zigoto obsédé par son horoscope! :p

Isabelle Lauzon a dit…

LOLOL!!! Ah, ces préjugés contre les comptables! ;P