lundi 18 juin 2012

L'Archiviste - Les Dieux pure laine - Extrait

Ici Luc Dagenais, dit l'Archiviste. Le numéro 183 de Solaris sortira prochainement, et je vais enfin — remarquez, c’est de ma faute, je n’écris vraiment pas vite — y publier à nouveau. À preuve, cette prochaine nouvelle est née, en quelque sorte, à l’été 2009 lorsque j’ai pondu un titre cool pour lequel je n’avais pas d’histoire. Il m’a fallu un an (et un flash qui m’est venu à la suite de la lecture d’un commentaire de Gen sur son blogue) pour trouver ce que je voulais en faire. Et l’écriture s’est ensuite étalée de 2010 à 2011... Parlant de Gen, je tiens à la remercier de me permettre de squatter son blogue (une fois de plus ;o) pour en présenter un extrait.

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Les Dieux pure laine

Toujours habité de sa saine colère d’homme de chantier, Raoul arrivait chez Mémère. La vieille se trouvait au milieu de nulle part, un nowhere trop grand pour qu’on en voie les limites ; le regard s’y perdait dans toutes les directions sans jamais rencontrer rien d’autre que le vide. Assise sur un vieux tabouret de bois au vernis usé et craquelé, elle ressemblait à la Sagouine, seule sur une scène de théâtre. Une ceinture fléchée, la fabrique du temps et du destin, dont le Québec n’était qu’un fil, s’étirait au sol devant elle à perte de vue. De ses mains noueuses et vieilles comme le monde, elle tissait sans relâche, sans erreur, sans hésitation, encore et encore ; un fil dessus, un fil dessous, un fil dessus, un fil dessous. De temps à autre, elle avançait son petit bâton pour sauver son ouvrage. Les fils non tissés, qui constitueraient la ceinture, reposaient en balles ou en tas, à même le sol derrière elle.

— Mémère ! l’interpella Raoul, mais la vieille ne réagit pas.

— Mémère ! Mémère !

Cette fois, Raoul avait crié le plus fort qu’il pouvait, à pleins poumons, à faire trembler le sol. Le tonnerre roula sur la forêt boréale, un vent de mousson fouetta le sous-continent indien. Il toussa, se racla la gorge et cracha un gros morceau de vieillesse qui venait de se déloger de ses poumons. Mémère cessa alors de dodeliner de la tête. Elle se tourna dans une direction, choisit au hasard, leva ses yeux voilés de cataractes et dit :

— Y as-tu quelqu’un ? Si oui, je vous entends pas et je vous vois pas. Ça sert à rien d’essayer de me parler.

Pendant qu’elle parlait, ses doigts s’activaient sans relâche, sans ralentir ni accélérer : un fil dessus, un fil dessous, un fil dessus, un fil dessous, et elle avançait son petit bâton pour sauver son ouvrage.

— Mémère ! C’est moi, Raoul, vous souvenez-vous de moé ? Je suis la drave, je suis le bûcheronnage. Je suis celui qui tenait tête au foreman. J’étais le Québec, quand le Québec avait du cœur. J’avais ben du front pis je me tenais drette steady. Mais là, je suis rendu vieux pis faible, Mémère, et c’est tout le Québec qui s’en ressent. Vous pouvez pas faire quelque chose pour moé, Mémère ?

7 commentaires:

Philippe-Aubert Côté a dit…

Est-ce qu'il y a du feutre rouge taillé en carrés dans cette histoire? ;-)

Gen a dit…

@Phil : Selon la vitesse de rédaction de Luc (et les délais de publication de Solaris), je dirais "pas avant la suite, qui paraîtra en 2015" ;p

Philippe-Aubert Côté a dit…

2015. Bref, quand le carré rouge et le gouvernement libéral seront devenus de l'histoire ancienne... :-D (Dit-il avec une note d'espoir amère...)

Luc Dagenais a dit…

@Phil: héhéhé, c'est vrai que mon extrait, dans le contexte actuel, fait assez réquisitoire socio-politique... Mais je t'assure qu'il n'y a pas de carrés de feutre ni rouge ni vert dedans.

@Gen: Non mais! ;op LOL!

Gen a dit…

@Luc : lololol! ;) Faut bien que je me moque un peu : y'a juste toi qui écrit plus lentement que moi je pense! ;p (Je rappelle que le Chasseur date de 2008!)

@Phil : Ouais, espérons que ce sera de l'histoire ancienne, mais parce que le problème sera réglé, pas parce qu'ils seront tous en prison ou que la couleur rouge aura été rendue illégale!

Luc Dagenais a dit…

@Gen: J'avais pensé qu'un jour on pourrait écrire un texte "à quatre mains", mais à bien y penser, c'est peut-être pas une bonne idée si on veut pas que ça devienne un truc posthume... LOL! :0)

Gen a dit…

@Luc : PWAHAHAHAHAHAHAHAHAHA!