vendredi 2 décembre 2011

Intimidation 2.0

On parle beaucoup d'intimidation ces temps-ci. Il y a à nouveau eu un suicide hautement médiatisé. Sauf que le discours est marqué du sceau du "il y en a toujours eu, ça fait mal, on a survécu, mais c'est dur, faites quelque chose!" Mise dans ce contexte, la question est difficile à prendre au sérieux. Or, peu de gens soulignent le fait qu'il n'y a jamais eu d'intimidation de l'ampleur de celle permise désormais par le web 2.0 et ses réseaux sociaux.

Parce que, voyez-vous, le problème avec le web 2.0, c'est que ce qui se passait jadis dans les cours d'école et les corridors suit maintenant les jeunes partout.

Jadis, si tu te faisais intimider à l'école (et croyez-moi, en tant qu'ex-bouboule première de classe, je sais de quoi je parle) au moins tu arrivais chez toi le soir et tu pouvais croire, pendant quelques heures, que t'étais pas un looser total et que tu pouvais avoir une vie normale.

Tu pouvais faire des activités parascolaires qui impliquaient des jeunes d'une autre école ou d'un autre groupe d'âge, qui savaient pas que t'étais un rejet. Tu pouvais t'inventer un pseudonyme le fun pis chatter sur MIRC ou ICQ avec deux-trois autres geeks. Ton courriel n'était pas connu de tous. Le monde virtuel pouvait être un refuge. Les livres aussi. Pis les jeux vidéos.

Si on t'appelait au téléphone pour t'écoeurer, tu avais 50% des chances que ta mère ou ton père décroche à ta place pis passe un savon au petit cave au bout du fil, avant de le signaler à ses parents ou à la direction de l'école.

Et quand un intimideur était finalement mis en suspension, il était privé de tout moyen de communiquer avec ses amis. Si l'école faisait bien sa job, elle arrivait, en alternant les périodes de suspension, à défaire la cohésion des meutes de loups prêtes à s'en prendre aux plus faibles.

Bref, t'avais une bulle. Et quand ils rentraient chez eux le soir, tes bourreaux étaient confrontés à eux-mêmes. Des fois, ça suffisait pour qu'un moment donné, ils se lassent.

Malheureusement, de nos jours, si un jeune se fait intimider, ça commence à l'école, mais ça le suit partout. Des messages sur Facebook, MySpace et Twitter. Via leur compte X-Box ou PS3 en ligne. Des vacheries organisées, publicisées, comme une page "Un tel est un con / est fif / etc". Des textos sur son cellulaire. Des photos sur le web. Des vidéo Youtube qui feront le tour non pas juste de sa classe, mais de l'école, de la ville, puis du monde.

Depuis l'arrivée des téléphones intelligents, les adolescents trimballent carrément la cour et les corridors de l'école dans leurs poches. Pour le meilleur (les parents d'ado ayant enfin récupéré l'usage du téléphone et de l'ordinateur familial), mais surtout, me semble-t-il, pour le pire. Les intimidés n'ont jamais accès à une bulle de paix. Et les intimideurs ne sont jamais seuls, leurs "bons coups" pouvant être partagés et appuyés instantanément.

Je suis et je serai toujours partisane de la philosophie "un peu de souffrance à l'école prépare pour les déceptions et les difficultés futures de la vie". Mais une bitcherie ou deux, une petite trahison de temps à autre, ça suffit à forger le caractère. Des années d'enfer, d'un harcèlement qui suit le jeune partout, qui l'empêche d'avoir un espace dans laquel se réfugier, c'est trop, beaucoup trop.

Alors la solution? Je la connais pas. Des brouilleurs de cellulaire dans les écoles, ça serait un bon début, ça découragerait les jeunes d'en avoir un et ça empêcherait les élèves suspendus d'encourager leurs amis à poursuivre l'intimidation. Des parents "amis Facebook" avec leurs enfants afin d'exercer une vigilance constante, ça ne ferait sans doute pas de tort. Un âge minimum pour posséder un téléphone intelligent aussi, peut-être? Mais là je rêve en couleur.

En fait, je crois surtout que ça prendrait du personnel de surveillance plus allumé. Qui saurait fait la différence entre une insulte "jeu" comme les jeunes s'en crient souvent, une "chicane d'enfants" ponctuelle et un harcèlement constant. Peut-être aussi des "surveillants web" pour garder un oeil sur ce qui se fait sur les réseaux sociaux? Puisque les corridors se sont étendus, faudrait que la surveillance suive. Et qu'on n'hésite pas à sévir.

Faut qu'on réalise que le virtuel a pris une telle place dans nos vies qu'il en est devenu très réel... et parfois, pour des jeunes déjà fragilisés par ce qui se passe à l'école, il peut devenir mortel.

7 commentaires:

François Bélisle a dit…

Je n'ai pas lu ce texte, je l'ai entendu. Chapeau!

Gen a dit…

@François : Merci. Mettons que j'ai eu des bouttes durs au primaire et au secondaire. S'il avait fallu que les attaques se fassent sur tous les fronts, comme elles peuvent le faire de nos jours, je sais pas comment je serais passée à travers.

Quand j'étais prof, j'ai vu les ravages que l'intimidation faisaient. Et j'ai surtout vu à quel point les profs avaient les mains liées. Jadis, quand il y avait un leader négatif dans une classe, un prof lui servait sa propre médecine quand il exagérait. De nos jours, faire la même chose est une bonne façon de se faire renvoyer!

Valérie a dit…

Merci, ça fait à la fois peur et du bien... Il reste toujours la possibilité de se réfugier dans les livres, ça avait bien fonctionné pour moi. :)

Isabelle Lauzon a dit…

Très bon billet, Gen. Je me reconnais aussi dans les années difficiles à l'école... Si je n'avais pas eu les livres, je ne sais pas ce que j'aurais fait...

Tu as raison, la situation est bien pire pour le jeune qui se fait écoeurer. Ça devient du harcèlement total, qui le suit partout. Dur.

Je n'ai pas d'autre solution que les tiennes à proposer, désolée! J'aime bien l'idée du "parent Facebook". Un peu moins intéressant pour les intimidateurs de savoir qu'ils sont "vus" par des adultes...

Gen a dit…

@Valérie : Mais si les livres se ramassent en format électronique, sur la même plate-forme qui permet de recevoir des messages haineux, qu'arrivera-t-il?

@Isa : Les livres m'ont énormément aidée moi aussi. Mais s'ils passent au format électronique et sont lus sur Iphone, pas sûre qu'ils resteront d'un grand secours!

Le parent "amis Facebook", ça créerait un parent qui pourrait possiblement être "présent", de la même manière que, dans la réalité, il peut parfois débarquer au milieu d'une chicane. Ça briserait l'isolement et l'impression d'immunité totale que certains jeunes ressentent visiblement sur le web et qui les poussent à se livrer à des débordements.

Isabelle Lauzon a dit…

En tout cas, ton billet m'a permis d'ouvrir une discussion à ce sujet avec ma fille. Il y a 1 an, elle me tannait pour avoir son Facebook et j'ai refusé. Je la trouvais trop jeune pour gérer tout ça. Elle a eu droit à un Hotmail, c'est tout.

Après quelques semaines, elle s'est tannée des niaiseries qu'elle recevait par e-mail (des chaines de courriels surtout, mais pas vraiment beaucoup de discussions intéressantes ou de nouvelles sur ses amis).

Je lui ai parlé hier des extrémités où peuvent aller les jeunes avec les médias sociaux. À quel point ça peut miner la vie de quelqu'un qui subit de l'intimidation. Et c'est drôle, elle regarde tout ça depuis quelques semaines et elle n'a plus envie d'avoir un compte FB. Pour l'instant. Elle regarde ses amies et trouve que ça va trop loin. Une de ses amies, entre autres, s'amuse à traiter ses amies de "pétasse" et de "pute" (je te rappelle qu'elles sont 12-13 ans, quand même...). C'est supposé être drôle. Bravo.

Une autre écoeurait ma fille cette semaine parce qu'elle n'a pas de cellulaire (pour en faire quoi, je vous le demande!). Ouais, la pression sociale, c'est fort... :(

Gen a dit…

@Isa : Très intéressant cette anecdote au sujet de ta fille. Comme quoi avec un peu de résistance parentale, les ados peuvent finir par réaliser qu'il y a des choses dont ils n'ont pas besoin!