Étape 1 : Le contact visuel
C'est tentant, quand on est assis en arrière d'une table de livres avec rien à faire, de jaser avec l'auteur désoeuvré à côté de nous, de lire un livre amené pour l'occasion, de jouer sur son cellulaire ou d'écrire. Mais, à ce que j'ai remarqué, il ne faut pas!
Laissez plutôt votre regard errer sur la foule. Observez les gens qui passent devant vous. Souriez rêveusement, ça vous donnera l'air aimable et facile d'approche (même si vous êtes mentalement en train d'écrire une histoire où le gamin bruyant qui tripote tous les livres de ses mains sales est assassiné par un signet empoisonné tendu par une vieille écrivaine au nez crochu). Attirer visuellement l'attention sur vous (par un costume, le plus souvent) peu être utile avec un certain public, mais prenez garde à ne pas en faire trop : ce qui marche avec les jeunes enfants pourra faire fuir les ados et inversement. Alors adaptez-vous à votre public. Pour Hanaken, comme il est "pour tous", j'ai opté pour la tunique d'inspiration asiatique dans les mêmes couleurs que la couverture.
Sans en avoir l'air, suivez le regard des gens. N'apostrophez pas les gens qui vous regardent distraitement, vous ou votre livre, c'est une perte de temps (et ça vous donnera l'air d'un perroquet). Cherchez plutôt la lueur d'intérêt dans les yeux des passants. Le meilleur regard est celui qui se pose sur votre livre, s'attarde, puis remonte sur vous. Le regard qui vous prend directement pour objet n'est pas mauvais non plus, même si l'intérêt manifesté n'est peut-être pas uniquement littéraire.
Bon, une fois que vous croyez avoir remarqué un regard intéressé, tentez de le croisez, décochez lui votre plus beau sourire et enchaînez avec...
Étape 2 - La question-harpon
Après six jours de salon, mon expérience personnelle m'a démontré que le meilleur harpon à lecteurs est une question. "Aimez-vous les nouvelles policières?" marchait très bien pour les Alibis. "Un petit voyage au pays des samouraïs?" faisait merveille pour Hanaken.
Vous voulez une question-harpon intriguante, mais, surtout, reliée à votre livre. Vous voulez que cette seule question permette au badaud de savoir si ce que vous avez à offrir est pour lui ou pas. Si c'est pas pour lui, vous voulez qu'il vous réponde "non", parce que vous économiserez tous les deux du temps. Si cette question intrigue le passant, qu'il a envie d'y répondre par l'affirmative, vous aurez souvent un indice physique de cet intérêt renouvelé (la personne ralentira sa marche, s'avancera d'un pas vers votre table, vous répondra, sourira, etc). Ce sera alors le moment de déballer la...
Étape 3 - Phrase-résumé
Trouvez moyen de résumer votre roman en une seule phrase, quitte à ce que ce soit un raccourci qui laisse plusieurs nuances dans l'ombre. Ainsi, Hanaken c'est "L'histoire de deux jeunes samouraïs qui ont perdu leurs parents et qui vont devoir survivre à la guerre qui se prépare." Après avoir énoncé votre phrase-résumé, observez la personne qui se tient devant vous. Est-ce qu'elle a l'air intéressée? Est-ce qu'elle a pris le livre dans ses mains? Est-ce qu'elle a posé un doigt surpris sur un détail de l'illutration de couverture? Est-ce qu'elle vous demande tout de go à quel public s'adresse le livre? Si oui, c'est le moment d'entamer...
Étape 4 - Le développement concentrique
Exploitez l'attention de la personne et ce que vous pouvez deviner d'elle, puis répondez à ses interrogations en spécifiant et en développant votre phrase-résumé. Dans le cas d'Hanaken, si la personne semble intéressée par la phrase-résumé, je lui parle ensuite de ce qu'est un samouraï. Puis, aux filles, j'explique que les femmes aussi étaient samouraï. Aux garçons, j'insiste sur l'aspect du devoir guerrier. Aux adultes, je précise que le livre est "pour tous", qu'il y a des passages flous que les enfants ne saisiront pas, mais que j'ai écrit pour les plus vieux. À tous, j'introduis le pourquoi du comment de la mort des parents. La dureté de ce monde guerrier dans lequel les deux enfants doivent faire leur place. La pression familiale avec laquelle ils devront composer. Etc.
Je fais les ajouts peu à peu, en les greffant à ma phrase-résumé. C'est pour ça que je parle de développement concentrique : le résumé est là d'abord, au centre, puis je le précise, je présente peu à peu l'univers du roman, en allongeant les phrases et en ajoutant des détails, tant que la personne m'accorde son attention, mais en faisant des pauses fréquentes pour laisser mon vis-à-vis poser une question, manifester son intérêt ou son ennui.
Soyez attentif à votre client potentiel, parlez-lui, demandez-lui ce qu'il aime et souhaitez-lui une bonne journée s'il décide de partir sans avoir acheté. Qui sait, il pourrait recommander votre bouquin à quelqu'un d'autre ou même changer d'idée et revenir plus tard.
Personnellement, je n'essaie pas de vendre mon livre à tout prix quand je comprends qu'il ne convient pas à la personne devant moi. À date, je fais de la présence en salon un exercice fort stimulant d'écoute de l'autre. Il faut en faire un jeu, je crois, et s'en amuser. Apprendre à jauger les lecteurs, essayer de deviner leurs goûts et leur personnalité à leurs vêtements, leur attitude. Ça pourra toujours servir dans un prochain roman! :)
Alors, qu'est-ce que vous en pensez de ma technique? Je raconte n'importe quoi ou ça vous semble logique? Avez-vous des éléments à ajouter?
21 commentaires:
Je dois partir pour Montréal, mais je lirai plus lentement ce soir.
Très bon article. Dommage que La maison des viscères ne soit pas au SLM.
"Aye man, t'aimes-tu ça le gore?"
"Madame, aimez-vous les tripailles?"
Un monde de possibilités!
@ClaudeL : Bon bon bon! ;) Des délais! hihihihi! (Dis la fille qui promet ce billet depuis 2 semaines)
@Fred : En effet, que de possibilités! hihihihi Avoue que ça attirerait l'attention.
Mais... c'est tout à fait ça! Si je n'avais pas déjà acheté votre livre, je l'aurais racheté avec cette technique impeccable et charmante!
C'est vrai que les auteurs qui ont déjà l'air occupé à parler à leur voisin, lire ou pitonner... on ne va pas les voir pour ne pas les déranger.
Et ceux qui font vraiment pitié itou, qui soupirent d'ennui et ont le visage tellement long et misérable, on s'en sauve en se sentant vaguement coupable...
Mais le petit sourire et la petite question ciblée, c'est excellent!
... tiens, j'aurais aimé ça moi "Madame, aimez-vous les tripailles?" j'aurais certainement voulu en savoir davantage... ;o)
Je prends des notes :)
Quel est le pourcentage de succès? Ceux qui s'arrêtent à ta table pour te jaser repartent-ils souvent avec le bouquin? Comment se passe le «oh, désolé, ça ne m'intéresse pas».
Délai encore, repos ce soir, conterai peut-être la journée de la fille qui accompagne quelqu'un à une clinique pour une opération aux genoux et qui, finalement, se retrouve dans une ambulance (non non pas le quelqu'un, le elle-même!) et à l'urgence d'un hôpital. Mais au moins je peux mettre un nom sur un petit malaise qu'il m'arrive d'avoir depuis près de 50 ans!
Oh! Problèmes de santé, ClaudeL? Fais attention, là... :S
Hé! Super billet, Gen! Je le garde en référence pour le jour où j'aurai à m'en servir! :p
@Femme libre : Merci! :) Le secret m'a effectivement semblé d'avoir l'air disponible et ouvert.
@Pat : Taux de succès? Hum... J'ai pas vraiment noté... En gros, je dirais qu'un coup que j'ai pigé le truc du contact visuel (et non pas tenté d'harponné tous les gens qui passaient) environ 50% des gens à qui j'ai lancé la question se sont avancés et peut-être un tiers d'entre eux ont acheté.
Et la plupart des gens sont trop polis pour que le "oh ça m'intéresse pas" soit blessant. Souvent, ils expliquent leur refus, l'air de s'excuser... et étant celle que je suis, je peux alors les diriger vers un auteur-ami! :)
@ClaudeL : Ouille, oui, on veut savoir cette histoire! Et t'es toute pardonnée!
@Isa : Merci! :) J'espère que ça servira!
Excellente description de la méthode! C'est exactement ce que je fais moi aussi! Je partage!
Je remarque seulement que la longueur des conversations est inversement proportionnelle à la vente. Ça m'est arrivé plus d'une fois avec la phrase de sortie du visiteur: « J'ai un budget à respecter, je vais faire le tour au complet avant.»
J'ai lu avec intérêt.
1- c'est pas moi qui parle aux voisins, c'est souvent eux qui me parlent. J'aime bien quand je suis seule à ma table.
2- me déguiser en banshee? en haillons comme les pauvres petits Irlandais évincés? en trèfle vert?
3- les harponnez avec "Avez-vous des ancêtres irlandais?", trop restrictif. "Aimez-vous les biographies?", non les gens vont penser que c'est ma vie alors que je ne suis même pas connue. "Aimez-vous les romans historiques?" Oui, peut-être.
4- Phrase résumé, très bonne idée, on en a déjà parlé.
5- Personnellement, le développement, c'est là ma faiblesse, j'ai bien peur de trop parler. Je vais me concentrer sur faire parler la personne devant moi et non pas que ce soit moi qui parle tout le temps.
Merci beaucoup, à quelques jours d'une séance de signatures, j'apprécie.
@Annie : Je dois dire que certains de tes collègues chez Phoenix ont été mes professeurs, alors c'est sans doute pour ça que la méthode se ressemble! :)
@François : Je sais pas s'il y a vraiment un rapport... Certains lecteurs m'ont fait parler pendant presque un quart d'heure avant de prendre le livre. D'autres se sont décidés en 2 minutes. Mais la phrase de sortie... Bah, je l'ai déjà prononcée moi aussi! :p
On va dire que les fautes dans le commentaire précédent sont dues à mon état de faiblesse d'hier, hihi!
@ClaudeL : Pour le point 1, la méthode est d'écouter les voisins tout en gardant les yeux sur les clients et en hésitant pas à couper la parole au voisin pour lancer le harpon. S'il est le moins du monde à son affaire, il va comprendre.
Pour le point 2 : tu avais déjà pensé à la lanterne, alors c'est bon. Porter du vert ou une autre couleur invitante (tout sauf noir, quoi) peut également être une bonne idée.
Point 3 : Hum... "Savez-vous que le Québec a été peuplé par des Irlandais?" ? (juste assez approximatif pour attirer l'attention je pense)
Pour le dernier point "trop parler", je m'aperçois que c'est là qu'il faut juger de la réaction de son lecteur. Y aller petit à petit. Ne pas hésiter à en dévoiler un peu sur l'histoire, plus que ce qu'il y a dans la C4 (par exemple, je parlais du seppuku à mes clients potentiels, alors que c'est pas dans le résumé). Si le lecteur semble vouloir tout se faire raconter, on lui fait plaisir. S'il veut pas trop en savoir, on se tait. C'est la partie pas facile, mettons!
Hahaha, j'adore! J'ai hâte d'appliquer cette méthode!
@Didie : Héhéhé, je viendrai m'assurer que tu fais bien ça! :p
Alors, si je comprends bien, pour mon livre, je pourrais demander: "Aimez-vous les voyages", "Avez-vous déjà visité le Japon?"
@Valérie : Je te suggères "aimez-vous les voyages" parce que "Avez-vous déjà visité le Japon", ça te couperait pas mal de public.
"Aimeriez-vous visiter le Japon?", ça pourrait être bien aussi! :)
J'ai lu votre article avec un grand intérêt. J'ai participé à une demie douzaine de Salons jusqu'à maintenant. Personnellement, j'ai horreur de la "vente à pression". Je cherche toujours comment intéresser les lecteurs potentiels avec douceur et respect. Cependant, mon approche manque encore d'assurance. J'ai bien l'intention de suivre vos précieux conseils, à mon prochain Salon. Merci !
@Manon : C'est pour éviter cet aspect "pression" que je parle du contact visuel au début. Il faut déjà que le passant manifeste un minimum d'intérêt. Sinon, il se sentira agressé.
J'espère que tout ceci pourra vous être utile! :)
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