vendredi 21 mai 2010

La forme plutôt que l'histoire

L'éternel débat de l'épuisement des thèmes en science-fiction, abordé lors du dernier Boréal, m'a amenée à une constatation: il n'y a pas qu'en science-fiction que tout a été écrit.

Peu importe le genre littéraire que vous aimez, tout a été fait. Évidemment, l'évolution de la société ou les progrès de la science amène des variations modernes sur les thèmes (j'attends d'un jour à l'autre un "Roméo et Juliette" avec deux hommes ou deux femmes), mais, soyons francs, suffit de lire la mythologie grecque pour voir déjà se dessiner tous les types de récit possibles : récit d'exploration, quêtes, récits initiatiques, romances, contes philosophiques, etc... (Et je suppose que si on pouvait enregistrer les histoires qui se racontaient autour du feu au Néolithique, on leur trouverait une gueule vachement familière).

Le corrolaire de ma réflexion a donc été le suivant : alors, pourquoi écrit-on encore et, plus important, pourquoi est-ce que ce sont les auteurs modernes qui sont lus?

Cet aspect de la réflexion est important car, comme on l'a encore évoqué au Boréal, beaucoup de livres disparus des rayons, dont les droits d'auteur sont échus, vont faire une réapparition via les ebooks gratuits disponibles sur le web. Certains auteurs semblaient un peu craindre cette compétition.

Cependant, si cette nouvelle disponibilité sera intéressante pour les lecteurs voraces, les écrivains en herbe et les historiens littéraires de tout acabit, je ne crois pas que cela fera compétition aux auteurs modernes.

Pourquoi? À cause de la forme. Les styles d'écriture, les formats narratifs, les référends culturels et les a priori des auteurs anciens sont... anciens justement.

Oui, toutes les histoires ont été écrites. Cependant, pour le lecteur moyen, il est beaucoup plus simple et agréable de lire un récit moderne inspiré d'Oedipe que de se taper la traduction du texte de Sophocle, beaucoup plus divertissant de dévorer Twilight que Dracula. Certes, les "grands" (Molière, Asimov, Lovecraft, Poe et compagnie) seront lus. Cependant, ils le sont déjà puisque leurs livres sont ré-édités année après année. Chez eux, l'histoire est suffisamment forte pour surpasser le style ou le style a suffisamment fait école pour être intéressant en lui-même. Toutefois, nombre de leurs contemporains sont présentement ignorés par les masses et le seront tout autant dans le futur, même si on les rend disponibles. Ils étaient des fruits de leur époque et ils n'ont plus d'intérêt que dans un cadre historique (ou dans un contexte de nostalgie pour les moins vieux).

Bref, je crois effectivement que toutes les histoires ont été écrites. En tant qu'historienne, ce serait dur de penser autrement. Je crois cependant que c'est dans les variations et la forme que la littérature se réinvente et qu'elle le fait constamment. Qu'elle doit le faire constamment. Car même si les passions des hommes ne changent pas, leur façon de les concevoir et de les aborder évolue. La littérature doit suivre le mouvement pour continuer à faire rêver.

Bon... ça fais-tu du sens tout ça? Et vous en pensez quoi, vous?

18 commentaires:

Frédéric Raymond a dit…

Je m'insurge! Dracula est un excellent roman, qui n'a rien a envier à aucun roman de vampires modernes! Et il est très divertissant!

Fin de l'insurrection.

De mon côté, je pense que c'est plutôt le prisme par lequel l'auteur passe l'histoire qui fait la différence. Et tout le contexte socio-culturel. Si tout le monde au Boréal s'était assis pour raconter la même histoire, on aurait tous (ou presque) écrit des histoires différentes. On pourrait aussi écrire la même histoire en traitant un thème différent, ce qui changerait dramatiquement le résultat.

Gen a dit…

@Fred : Relis Dracula attentivement. Il y a plein de référence (comme Jonathan qui se rengorge de son "courage anglais") qui ont passé de mode. Cela dit, oui, ça reste très divertissant pour un lecteur un peu plus avancé (je me souviens l'avoir lu à la lampe de poche sous mes draps...).

C'est ça, c'est le prisme qui change, tu m'as comprise :) Je pense que c'est ce prisme qui fait l'intérêt de lire des auteurs modernes pour la majorité des gens.

Frédéric Raymond a dit…

@Gen Faudrait en effet que je le relise... J'ai acheté il y a quelques mois une superbe édition avec des illustrations de Ben Templesmith. Ce sera un plaisir de relire.

C'est certain que lire un texte moderne est plus proche de nous et facilite l'immersion. Mais ça dépend des besoins des lecteurs.

Gen a dit…

@Fred : Oui, en effet, ça dépend des besoins des lecteurs. Mais comme on a dit l'autre fois qu'il y en a une majorité qui aime Guillaume Musso, je les vois pas se précipiter pour lire gugus inconnu qui publiait au 18e siècle... :p

Vincent a dit…

Pour ma part, je ne peux pas dire que j'ai trippé fort en lisant Dracula. J'ai aimé ça, mais le style "lettre ou journal personnel" finissait par me lasser. Ce genre de narration ne laisse pas beaucoup de place au suspense ou à l'intensité et l'anxiété d'une scène. Après tout, on sait à l'avance que le narrateur a passé au travers de la situation pour nous le rapporter.

Comme dit Geneviève aussi, les références culturelles et l'espèce de chauvinisme/racisme anglais était pénibles parfois. Bref, j'abonde dans le sens de la modernisation des histoires. Tout à été dit, oui, mais tant qu'à le répéter, autant le faire d'une façon qui nous intéresse davantage.

Vincent a dit…

Il faut que j'ajoute (peux pas me retenir plus longtemps) que "Le seigneur des anneaux" est une horreur d'un ennui intolérable!!!

Tolkien est génial d'avoir inventé la fantasy, mais il est un conteur épouvantable! Voilà, c'est dit. C'est une belle histoire, remplie de bonnes idées mais racontées à la vitesse d'un escargot asthmatique, rhumatisant et estropié! Quel ennui! C'est clair que ça sent son époque et j'en ai souffert.

Maintenant, je suis prêt à me faire crucifier. (Je sens que ça s'en vient!)

Frédéric Raymond a dit…

@Vincent Je ne vais pas te crucifier pour Tolkien. Ça m'a pris plus de quatre essais avant d'arriver à passer Tom Bombadil. Et c'est surtout grâce au premier film que j'y suis arrivé. Enfin je savais quel était l'enjeu (ce qui n'est pas trop clair au début du roman).

Gen a dit…

@Vincent : lololol! J'en ai convenu maintes fois : Tolkien aurait eu besoin d'un meilleur directeur littéraire. (Tom Bombadil... je peux pas croire que cette partie a été publiée).

Je vais donc pas te crucifier pour ça... mais ça se peut que d'autres le fassent! hihihi

ClaudeL a dit…

Le seigneur des anneaux, ça m'a pris un an pour le lire, mais j'ai quand même mis ça sur le compte que c'était tellement intéressant que j'y revenais malgré les longueurs. Quant au film, c'est à peine si j'ai pu regarder le tome 1. Dès que c'est devenu la guerre tout en noir, pas pu.

Quant au prisme ou re-lecture, peu importe, c'est la même chose en peinture, (en musique je ne sais pas ne suis pas assez connaissante) en pièce de théâtre (combien de versions des Belles-soeurs), en aménagement paysager (suis dedans, pour ça que j'en parle) même, bref tout ce qui nous est donné de voir, lire, entendre d'après moi.

Mais très beau sujet qui peut même faire une thèse de doctorat pour qui se cherche un sujet: "de la façon de dire".

Vincent a dit…

Ah oui, Tom Bombadil, c'est ma bête noire aussi. Ça a vraiment l'air d'un gros trip de drogue. :(

Gen a dit…

@ClaudeL : Je pense que c'est ce qui arrive à la plupart des gens avec le Seigneur des Anneaux : on s'acharne à le finir parce qu'il y a quand même "quelque chose" là-dedans.

Je pense en effet que c'est le prisme qui permet aux arts de se renouveler. Par contre, en peinture, il y a aussi l'exploration et la découverte de nouvelles techniques (les retouches par ordinateur, etc). En musique, mon chum t'expliquerait qu'on utile maintenant des harmonies et des sonorités qui auraient été jugées discordantes jadis... pas sûre que je comprends, mais ça semble intéressant.

À l'écrit, on est cantonné dans notre ressource limitée, les mots. Mais la façon de dire change quand même, en effet.

Vincent a dit…

C'est la même chose pour les jeux vidéos en fait! Sauf que ça va beaucoup plus vite. Par contre, il y a encore de nouveaux jeux à inventer, on en vois de très originaux de temps à autres.

On refait tous le temps les mêmes jeux ou presque. On revoit des jeux vieux de 10-15 ans qui étaient magnifiques à l'époque et qui sont pénibles maintenant. Alors on les refait en plus beau, en plus grand, en plus accessible... et en plus cher! :P

Alamo a dit…

Je trouve que tu as raison, mais là j'avancerais qu'en littérature générale tout peut facilement s'associer au contexte socio-historique entourant l'immédiacité de l'oeuvre qui peut faire en sorte qu'on apprécie même souvent plus avec le recul du temps et qui nous permet de mieux analyser, comparativement à de la vieil SF antérieur aux années 50 avec des idées plutôt rigolotes quand on réalise qu'aujourd'hui c'est déjà dépassé depuis des décennies... ;) Ont souris, mais ça suscite plutôt le rire que l'imagination. Je ne dis pas que c'est mal en soit, mais l'impact n'est pas le même.

Par contre, certaines oeuvres s'actualise davantage avec le temps, par exemple lire 1984 d'Orwell aujourd'hui, est plutôt lire l'actualité.

Cependant je m'objecte à ton idée de eBooks des auteurs dont les droits ont expirés avec le temps. Même si H.P. Lovecraft ou Robert E. Howard ont passé dans le domaine publique, leurs oeuvres auront toujours leur place dans ma bibliothèque et j'apprécie encore plus cette fantasy, que je trouve particulière pour l'époque (peut-être suis-je vieux jeu, mais pour moi, c'est bien plus que du "pulp") et qui marque une littérature bien plus appliqué et même originale que les calques modernes... ;)

Mes 2 cents!

Gen a dit…

@Alamo : Pour le cas des ebook, tu nommes encore des "grands" par contre. Des auteurs qui sont encore édités en papier, même s'ils sont dans le domaine public. Mais je suis sûre qu'il y a des auteurs de la même époque qu'on ne lirait pas même si on nous les mettait sous le nez. Parce que le temps leur a fait perdre leur saveur.

Ce que je voulais dire en fait c'est qu'il ne faut pas craindre la compétition des morts : ceux qui sont des compétiteurs valables nous font déjà de l'ombre. Les autres vont demeurer oubliés.

Un exemple qui me vient à l'esprit : j'adore Alexandre Dumas. Un jour, je suis tombée sur du Paul Féval (le Bossu de Lagardère) un contemporain, avec un style d'écriture semblable. Ça arrivait pas à la cheville de Dumas. Dans quelques siècles, je crois qu'on va se souvenir des Trois Mousquetaires, mais le Bossu, pffff, on va l'oublier.

Et le pire c'est que Féval et Dumas avaient d'autres contemporains, qu'on pourrait trouver en fouillant un peu... mais à part pour étudier l'art des feuilletons de l'époque, pas sûre que ça vaudrait la peine.

Joe G a dit…

ouais, réduite à sa plus simple expression et pris hors du contexte dans lequel il a été publié écrit pas mal tout a été écrit.

Sauf que je considère cette pensé un peu simpliste. Ça revient à ignoré volontairement entre autre l'époque, le lieu et la démographie du publique et de l'auteur. En plus de remake depuis quelques années on assiste de plus en plus à des efforts de localisation, comme "The Office" qui sont quelques fois réussi.

Ça me fait penser à "l'échelle" la première est une copie, par la suite on parle d'homage qui donne lieu un nouveau genre/style, le fun c'est de délimiter chaque échelon.

Je pense aussi à l'oeuvre "La Pérégrination vers l'Ouest" et aux dessins animé qui en ont découlé. "Le roi singe", Chine 1965, dont le film a été bani pour son message de révolte... et "Dragonball" vingt ans plus tard au Japon.

Gen a dit…

@Joe : En effet, dire que tout a été écrit est un peu simpliste... mais c'est une question à laquelle il faut réfléchir de temps en temps quand on écrit, ne serait-ce que pour remarquer ensuite ce qui nous distingue, ce qui reflète notre époque... bref, ce qui nous rend intéressant.

Comme "Le roi singe" vs "Dragon ball"... :p

Isabelle Lauzon a dit…

Les tomes de Tolkien étaient assez pénibles, mais je les ai lus quand même, car je venais de visionner le premier film (que j'avais adoré) et je voulais savoir ce qui allait arriver. MDR pour Tom Bombaldil... En effet, il fallait être fait fort pour passer ce bout là!

Et c'est drôle, Le Seigneur des anneaux est souvent une référence en fantasy. On y revient toujours. Un peu comme Harry Potter, qui semble avoir jeté les bases de plein d'histoires qui découlent plus ou moins de cet univers. Quoique pour ma part, je ne boude pas ces autres oeuvres pour autant. La vision de chacun des auteurs diffère et il y a des trésors à dénicher pour le passionné qui sait dépasser son dédain premier pour les clichés et le remâché.

Tout a été écrit? Oui, sûrement, mais absolument pas de la façon dont je l'écrirai, ni toi Gen, ni quelque auteur que ce soit. Chacun d'entre nous a sa voix propre, ses amalgames d'idées. Et au final, ce ne sera jamais du pareil au même.

J'en veux pour preuve les ateliers de création littéraire auxquels j'ai participé : avec une même contrainte, chacun des participants partait dans des directions tout à fait différentes. Et aucun des textes n'était semblable!

Nous sommes pleins de ressources, et l'imagination humaine ne connaît aucune limite. En plus, la technologie évolue, les mentalités aussi, alors les textes d'aujourd'hui ne seront jamais pareils à ceux des siècles qui nous ont précédés!

Gen a dit…

@Isa : Le Seigneur des Anneaux a créé la fantasy. C'était pour ainsi dire le premier roman avec des elfes, des magiciens, etc, pour adultes. En fait, c'était un retour aux sources, une réactualisation des mythologies... donc, techniquement, ça n'inventait rien non plus! hihihihi ;)

En effet, on a chacun nos façons d'être, de dire, de voir la vie et c'est ce qui se reflète dans notre écriture.

... Et chacun d'entre nous allons essayer d'être assez original, vrai et intense pour non seulement publier à notre époque, mais même résister au passage du temps et être encore lus par la génération suivante!

(Ouais, je sais, j'ai des grandes ambitions! hihihihi ;)