Quand il se passe des histoires comme le séisme haïtien, je suis portée à regarder autour de moi. À remettre les choses en perspective. J'ai une maison, un frigo bien garni, de l'électricité, de l'eau potable à volonté, chaude même si je le souhaite... Dans ce temps-là, comme tout le monde, je me trouve chanceuse. Chanceuse au point d'en ressentir de la culpabilité. Pendant un instant, le fait de devoir payer pour tout ça n'a pas d'importance. La peur de ne pas arriver à mettre un peu d'argent de côté pour parer aux imprévus devient insignifiante.
Dans ce temps là, comme beaucoup de gens je pense, je me dis que je serais prête à me priver un peu pour que les Haïtiens souffrent moins. Pour que les ressources soient mieux distribuées. Je pourrais manger moins. Il me serait sans doute possible d'utiliser encore moins d'eau. Peut-être même chauffer un peu moins. Et ma maison est grande...
Sauf que c'est toujours quand je suis dans cet état d'esprit que je croise trois avocats et un journaliste vedette qui sortent tout juste d'un resto branché archicoûteux du Vieux Montréal, leurs Ipod et Blackberry à la main, fort occupés à comparer le prix des assurances d'une Audi par rapport à celui d'une Lexus. C'est aussi quand je me sens comme ça que je vois une diva du barreau mettre le pied dans une flaque d'eau et hurler qu'elle vient de ruiner ses Manolo. C'est habituellement aussi dans ces moment-là que je me fais dire par un de mes employeurs que je devrais vraiment voyager plus. Que les Bahamas, c'est vraiment un beau coin de la planète. Que pour vraiment apprécier l'Espagne, on n'a qu'à y louer une villa.
Alors en mangeant mon lunch fait maison (et en constatant que je suis due pour remettre du cirage sur le cuir tout éraflé de mes souliers "propres"), je me dis qu'il y a des gens qui, eux, ne se sentent pas coupables devant la situation. Je finis même par avoir la très mauvaise impression que si je me prive en espérant aider les Haïtiens et autres accidentés climatiques de ce monde, je vais juste donner plus de marge de manoeuvre aux divers exploiteurs de la planète.
C'est moins réconfortant comme remise en perspective, hein? On s'aperçoit juste qu'on est toujours le tout nu de quelqu'un... mais que plus ce quelqu'un est riche, plus il aurait la possibilité d'aider, plus il s'en fout des tous nus.
21 commentaires:
Je suppose que plus quelqu'un est fortuné et loin de la misère, plus il de la misère à saisir de quoi il s'agit. Il y a un monde de différence entre les deux. Ce qui fait que pour le pauvre comme pour le riche, l'autre n'est que fiction ou vue de l'esprit.
C'est peut-être quand on est dans le milieu qu'on peut réaliser un peu plus facilement ce que c'est de tout avoir ou de ne rien avoir.
Pour ce qui est de se sentir coupable, je crois que ça ne sert à rien. Tu n'as pas choisi de naître dans un pays riche et ils n'ont pas choisit de naître à Haïti. Ce sont les cartes qui t'ont étés distribuées à la naissance et tu fais ton jeu avec ça. Et si j'avais eu le choix, j'aurais choisi le pays riche de toute façon.
Malheureusement, je ne vois pas en quoi se priver individuellement va aider les pays du tier monde. Le genre de privations dont tu parles servent plus à se donner bonne conscience et une échapatoire à la culpabilité "d'être chanceux".
C'est un changement de politique mondiale dans plusieurs domaines que ça prendrait pour corriger ces écarts. Mais les puissants sont riches et les riches sont puissants. C'est eux qui ont le plus à perdre dans un rééquilibre des classes sociales et de la distribution des biens. C'est impossible une situation où tout le monde est riche ou où tout le monde est pauvre. La pauvreté c'est d'avoir moins que la moyenne des gens et la richesse c'est d'en avoir plus. Si tout le monde a les même choses, personne n'est riche et personne n'est pauvre. (Notez que j'estime que pauvreté et dénuement total ne sont pas la même chose.)
Maintenant, considérant que le principal moteur humain est généralement l'avarice, le fait d'avoir une humanité complètement homogène au niveau des possessions matérielles et aucun espoir de s'élever au dessus de la masse prive le genre humain d'un puissant moteur d'évolution. Je ne dis pas que l'avarice nous fait évoluer dans la bonne direction, mais ça nous pousse de l'avant.
On remplace ce moteur-là de quelle façon?
Quand on aura collectivement trouvé la réponse, on aura peut-être la possibilité de régler ce genre de problèmes mondiaux. D'ici-là, tu peux pratiquement juste te déculpabiliser pour vivre en paix avec toi-même et arroser le désert de quelques gouttes d'eau.
lol! Avec un billet de cette longueur-là, tu vas tuer la discussion ;)
Mais j'aime bien l'idée que c'est quand on est au milieu qu'on s'aperçoit le plus des inégalités. Et c'est sûr qu'il faudrait tout un changement de structures mondiales (et même psychologiques) pour replacer la planète.
De là le ton désabusé de mon billet.
Haha! Mon but n'est pas de tuer la discussion tout de même! :)
Oui, je pense que quand on est au milieu: on a tout comparativement aux pauvres et on a rien comparativement aux riches. Donc, on peut se mettre dans la peau de l'un ou de l'autre si on y réfléchit un peu.
Gen, ton billet a allumé en moi une étincelle d’inconfort, puis une réflexion, ce matin. En te relisant, j’ai compris que je n’avais pas du tout envie de me culpabiliser de la chance que j’ai, dans ma vie, et de la permission que je me donne de jouir de cette chance. Je n’y suis pour rien. J’ai donc plus tendance à penser comme Vincent. Le malheur des autres (pauvreté, maladie, épreuves), qu’il soit près de nous ou ailleurs dans le monde, nous fait vivre, le moindrement que l’on soit doté d’empathie, beaucoup d’impuissance. Je crois que c’est là une des émotions que l’humain déteste le plus. On ne peut rien faire, là, concrètement et rapidement, pour régler les grands problèmes humanitaires comme la pauvreté et l’inégalité. Pas plus la madame en Manolo que toi et moi. Je crois qu’on trouve cela foutrement chiant parce qu’on se sent impuissant et que le moyen de se sortir de cette impuissance c’est de se sentir coupable. Cela a l’avantage de nous redonner au moins l’illusion d’un pouvoir : ‘Vilaine que je suis, je pourrais faire quelque chose et je ne le fais pas’. Mais c’est se fourrer soi-même dans un cul-de-sac qui nous donne des tentations saugrenues (ne te vexe pas) comme moins manger et moins chauffer nos maisons.
@Vincent : Tes réflexions rejoignent les miennes sauf peut-être sur ce que tu considères comme le principal moteur humain. Je ne crois pas que ce soit l’avarice, même si elle peut à certains égards représenter un puissant incitatif à l’évolution. D’après moi, le désir de vivre est beaucoup plus puissant pour motiver l’humain à se battre, à dépasser ses limites, à réussir. Regarde la tragédie haïtienne. Qu’elle ait ou non à boire et à manger, comment une adolescente fait-elle pour tenir 15 jours, ensevelie sous des décombres? Elle veut vivre, c’est tout. C’est là une pulsion quasi impossible à détruire. Dans une perspective plus large, la quête de la prospérité est peut-être naturelle pour le psychisme humain en tant que puissant symbole de sécurité pour sa survie. C’est peut-être pour ça que les gens ont souvent besoin d’en avoir toujours plus. En tout cas, tout cela est bien beau, mais ma vision ne m’empêche pas de trouver que si c’est honorable d’assurer sa survie, un moment donné faut aussi s’occuper de celle de notre communauté (d’abord celle de notre village, de notre pays et ultimement, celle de la race humaine). Certains grands de ce monde semblent l’oublier. Si on est deux sur une île déserte et que je garde toutes les bananes pour moi, je serai bien avancée quand l’autre sera mort de faim. Mes chances de survie viendraient alors de prendre toute une drop et, en fin de compte, probablement que la sélection naturelle s’occuperait d’éliminer aussi l’idiote que je serais.
Wan, à voir le résultat, suis-je aussi une tueuse de discussion?
@Karuna : lol! Non, j'ai l'impression que le sujet va susciter ce genre de réaction. ;)
Par contre, je veux dissiper un point qui semble malentendu : non, je n'ai pas réellement la tentation de prendre des initiatives qui se révèleront saugrenues. C'est juste que, comme toi, pendant un instant, je me suis sentie coupable de ma chance.
Et ensuite, vient le même constat que toi et Vincent faites : que je sois chanceuse ou pas ne changerait au sort des Haïtiens.
Mais je crois quand même que la femme en Manolo ou le grand voyageur pourraient faire plus que moi dans la situation présente. Ne serait-ce qu'en donnant généreusement de leur argent.
Sauf que... même là, pourraient-ils vraiment faire une différence? Haïti était le paradis des inégalités, où vivaient des gens extrêmement riches (même selon nos critères).
Y'a des jours comme ça où me semble qu'il n'y a pas de bonne solution. On peut juste s'accrocher à ce qu'on a, prier pour ne pas le perdre et espérer, peut-être, avoir un jour un peu plus...
@Karuna: Tu marques un bon point avec le "désir de vivre" comme moteur qui, comme tu le mentionne également, est probablement la fondation sur laquelle s'appuie "l'avarice" dont je parlais. En effet, je suppose que la recherche de la prospérité est simplement un des aspects de ce désir de vivre. On accumule pour se protéger. Tu soulèves aussi un bon point avec ton histoire de bananes! :) Il faut réaliser qu'on doit partager ses bananes si on ne veut pas disparaître aussi.
Sauf que si ça fonctionne dans un environnement fermé (deux personnes sur une île déserte avec un bananier), je ne pense pas que ça puisse fonctionner de façon globale. Parce que, que ferais-tu s'il n'y avait pas assez de bananes pour deux? Ou alors, s'il y avait tellement de gens et de bananiers sur l'île que même si tu prends plus de bananes que ta part, tu ne rencontreras jamais les personnes que tu prives de bananes?
Le principe d'assurer sa survie en protégeant les siens, je crois que ça se limite de plus en plus à sa famille et ses amis proches. Elle est loin l'époque où les gens formaient des clans ou tribues pour se défendre des animaux sauvages et des autres clans. Enfin, elle est loin cette époque pour les pays riches...
J'ai toujours pensé que pour que l'humanité entière décide de s'allier et de se protéger mutuellement, il va falloir une menace extérieure à combattre. Des aliens monstrueux qui attaquent la Terre, rien de mieux pour faire réaliser aux humains que les ethnies humaines ne sont pas si différentes les unes des autres... Oh là là! Ça prend une tournure Sci-Fi mon affaire. :P
Le problème avec les bananes, c'est que sur Terre, il n'y a plus assez de bananes pour tout le monde, peut importe comment on les distribue.
Et Vince, je crois qu'il y a encore des gens qui se protègent dans les pays riches : les riches justement. Ils forment des petites cliques, tiennent les rênes de la politique et assurent leur avenir.
lol! Ouaip, pas mal SF ton idée ;)
@Vincent: Ton raisonnement Sci-Fi m’apparaît tout à fait pertinent. Tout est question de besoins. Si nous nous trouvions devant une menace planétaire, je pense que nous aurions le réflexe planétaire de nous allier pour nous défendre. Le contraire nous affaiblirait en réduisant nos chances de gagner. Ce serait en plus la preuve que notre souci de survie peut, lorsque nécessaire, s’étendre jusqu’au sort de toute la race humaine, pas seulement à nos proches.
Je ne crois donc pas que nous ayons perdu notre réflexe de nous associer pour se défendre.
La preuve, nous l’avons vu récemment lorsque certains pays se sont alliés (à tort ou à raison) pour mener une lutte à des ennemis qu’ils considéraient communs (les USA et la Grande-Bretagne contre les dangereux terroristes, réels ou fictifs).
Par ailleurs, que l’environnement soit fermé ou plus large, pour moi, les lois restent à peu de choses près, les mêmes. Sur l’île, s’il n’y a pas assez de bananes pour deux, le plus fort (celui qui a déjà le plus de chance de survie) aura la meilleure part de bananes. C’est donc moi qui mourrais si c’est avec toi que je me retrouverais sur l’île déserte!! Pas que je te vois comme un sale méchant, rassure-toi, mais parce l’instinct de survie étant ce qu’elle est, après avoir partagé, je ne vois pas pourquoi tu te laisserais noblement mourir à ma place! Maintenant, si je ne rencontre jamais ceux qui manquent de bananes, alors là, je plaide l’innocence. De là l’importance d’une information de qualité.
@Gen: Je suis d'accord avec toi que certains utilisent leur primitif réflexe de survie pour exagérer. On peut appeler ça de l'égoïsme, de l'inconscience, de la bêtise. Je résume ça par: une méga-crampe-de-cerveau-de-batracien (désolée pour les grenouilles).
Bon, là, ça suffit, il faut que j'aille travailler! À+
@Karuna : Dans le cas d'une menace planétaire, j'aurais toujours peur qu'il y en ait une gang qui essaie de négocier ou de s'organiser pour s'en tirer au mieux, quitte à sacrifier le reste de la population.
Et oui, pognée avec Vincent sur une île déserte et juste assez de bananes pour une personne, tu mourrais sans doute. ;p Mais parce qu'il est gentil, il t'achèverait probablement avant que tu ne meures de faim :p
Pour ce qui est du fait d'être mieux informée au sujet des inégalités (ceux qui manquent de bananes), je suis pas sûre. Des fois j'ai l'impression que les médias ne servent qu'à renforcer notre sentiment d'impuissance. On finit par se dire "Bah, à quoi bon? C'est perdu d'avance"
@Gen: LOL. J'espère qu'il m'achèverait vite et bien!
Ha ha ha! C'est tout à fait moi ça: massacrer des gens à cause de mon grand coeur. :-P Mais quelle réputation on me fait! :P
@Vincent : Réaliste la réputation ;p
(Pour rassurer les autres : je l'ai marié pareil. Il est pragmatique à la limite du psychopathe, mais gentil quand même ;)
"Tout doux le psychopathe, tout doux." - Geneviève à Vincent lors de leur première sortie (c'est une blague en passant)
Au moins achever quelqu'un qui est affaibli par la faim ne devrait pas prendre plus de quelques secondes (disons 20 à 30) et ce serait avec relativement peu de douleur.
@Vincent : Tsé qu'avant d'avoir l'air d'y avoir sérieusement songé, t'avais sans doute l'air moins inquiétant ;p
Rear naked choke, chéri. Au bout de 30 secondes, la personne fait dodo.
C'est au rear naked choke que je pensais aussi. Mais d'après moi, la personne fait dodo en à peu près 15 secondes. Les 15 secondes de plus c'est pour être sûr qu'elle ne se réveille pas. Mais je ne serais pas cruel et je maintiendrais la prise pendant au moins une minute. Puis prendre le poûls pour s'assurer que c'est bien fini. Répéter au besoin. :P
@Vincent: Heu, pardon, je m'objecte votre honneur. 15 secondes,dans le cas présent, c'est foutrement long. Tu n'as pas une méthode plus rapide? Un coup de branche de palmier en plein front? Quelque chose? Je ne veux pas te mettre de pression, mais faudrait faire mieux jeune homme!(rires)
@Karuna : La prise dont on parle, c'est sans doute l'étranglement le plus efficace qui existe. Je suis sûre que ce serait moins douloureux et plus efficace que n'importe quel coup. (Le désavantage avec les coups, c'est que ça en prend plusieurs...)
Hum... comment s'est-on retrouvés à tenir cette conversation? O_o
Bon, 19 commentaires, c'est pas ce que j'appelle tuer la discussion, mais faut dire qu'elle s'est faite à trois!!!
À part le fait que je suis plutôt du genre Vincent, juste une remarque en ce qui concerne la bonne conscience: qui dit que la dame aux Manolo (connais pas) ou les messieurs de l'Audi (connaît de loin) n'ont pas donné, n'ont pas posé de gestes charitables?
Et je l'ai déjà dit dans un commentaire chez Venise: seraient-ils moins malheureux si nous étions misérables, seraient-ils moins misérables si nous étions malheureux?
Je vous laisse à votre discussion-conversation!
@ClaudeL : Disons que je sais de source sûre que les statistiques de dons de charité chez les avocats ne sont pas bonnes. Pas du tout même.
Mais non, en effet, nous rendre malheureux ou misérables n'aiderait personne.
Et je crois que la discussion à trois est finie ;)
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