Ma maman ne lira pas ce billet.
Parce que ma maman ne sait pas que je tiens un blog. Je crois qu'elle arrive à se souvenir que j'ai fini d'étudier. Mais elle ne pourrait pas dire où je travaille. Ce n'est pas parce que je ne lui en parle pas, mais simplement parce qu'elle n'a plus de mémoire.
Ma mère a fait une hémorragie cérébrale il y a deux ans et demi. À 51 ans. Elle est tombée dans le coma. Ils l'ont opérée. Elle en est sortie. Elle y est retombée. Ils ont ré-opéré. Elle en est sortie à nouveau. Puis retombée. On a signé une enième décharge. Ils ont ré-ouvert le crâne. Installé un drain permanent. Ils l'ont sauvée.
Depuis, sa mémoire est en morceau et son sens de l'équilibre est inexistant. Ce serait déjà désolant, mais le pire, c'est que ses capacités mentales et sa personnalité ont également été très touchées par cet accident cardio-vasculaire. Ma mère était une battante, une femme énergique, préoccupée par son apparence et son poids, pas très instruite, mais vive d'esprit et avide d'apprendre. Elle lisait beaucoup. Et elle était fière de sa grande fille qui écrivait et rêvait de publier.
Quand Alibis a imprimé mon premier texte, ma mère vivait déjà dans ses limbes.
En effet, depuis qu'elle est revenue "sauvée" de l'hôpital, ses journées se résument à se lever, lire lentement son journal, manger, boire du vin et retourner se coucher. Elle doit faire près de 300 livres et son chum doit insister pour qu'elle se lave. Selon les médecins, elle pourrait faire plus, mais quand on essaie de la secouer un peu, elle pleure.
Ma maman a perdu le goût de vivre.
Je peux comprendre. Elle sent bien qu'elle n'a plus les capacités qu'elle avait. Qu'elle n'est plus capable d'accomplir les choses qui lui apportaient du plaisir.
Au début, j'ai essayé de retrouver en elle la mère qui était entrée à l'hôpital. Il m'a fallu deux ans pour constater que cette femme-là n'existait plus. Deux ans pour faire mon deuil, le deuil d'une personne qui parle et respire encore.
Mais qui ne vit plus vraiment.
Deux ans pour accepter le fait que la dernière décharge, je n'aurais peut-être pas dû la signer. Deux ans à me demander à quoi le médecin qui me l'a tendue pouvait bien penser. Deux ans pour apprendre à quel point les dommages au cerveau ont des effets imprévisibles. Deux ans pour comprendre que ma mère aurait pu survivre à tout ça, en ressortir affaiblie ou handicapée physiquement, mais mentalement indemne. C'est le contraire qui s'est produit. Malchance, tout simplement.
Depuis deux ans, c'est son chum qui s'occupe d'elle. Qui entretien la maison, prépare les repas, lui dit de se laver, de ramasser sa tasse de café, de s'habiller. S'il ne la houspille pas en permanence, elle ne fait rien.
Il n'en peut plus. On l'a su le matin de Noël. C'est définitif : j'haïs Noël.
Je peux comprendre pourquoi il veut partir. Sauf que je suis prise : je ne peux pas prendre à sa place la responsabilité de m'occuper d'elle. J'en suis au point de ma vie où il est temps que j'aie mes enfants avant d'être trop vieille. Au point où j'aurais besoin de ma mère pour me soutenir dans mon existence de jeune maman, pour me dire de ne pas paniquer même si le bébé pleure, pour le garder une fin de semaine, histoire de m'aider à me reposer.
J'en suis au point de constater que si ma mère n'arrive pas à s'occuper d'elle, même si les docteurs prétendent qu'elle le pourrait, je vais devoir me résoudre à la placer quelque part. Préférablement pas trop loin de ma grand-maman, comme ça elles pourront se voisiner et se désennuyer l'une l'autre.
Je constate que je vais passer pour une ingrate, une égoïste et une sans-coeur. Que mes oncles, tantes, cousins et cousines vont s'empresser de bavasser, de dire à quel point j'aurais dû la prendre avec moi, à quel point je suis ingrate. C'est déjà commencé d'ailleurs. Après tout, il y a des chambres vides dans ma maison...
Je constate aussi que personne ne se précipite pour s'offrir à ma place. Je peux comprendre.
Alors j'espère qu'ils finiront par comprendre aussi.
Comprendre que j'aime ma maman qui ne lira pas ce billet. Mais que ce qui reste d'elle est un trop lourd fardeau pour moi.
23 commentaires:
Comme tu dis, ceux qui bavassent ne s'offrent pas pour la prendre à ta place. C'est en effet un très lourd fardeau et je comprends à présent ton commentaire sur les atteintes au cerveau sur mon blog.
Tu vis un moment difficile. Nous serons là pour te supporter. Je te souhaite de trouver un bon endroit pour la placer, pas trop loin de ta grand-mère. Tu pourras les visiter en même temps. :-)
Fais une coupure avec la famille, surtout si tu sens qu'ils bavasseront. Et console-toi en te disant que l'an prochain, Noël sera moins occupé! ;)
Bises
Merci Émilie. Ça fait du bien de se sentir soutenue, ne serait-ce que par ma petite famille virtuelle.
Celle de chair et de sang a prononcé l'acte d'accusation en mon absence.
C'est trop facile de bavasser en comparaison d'embarquer dans tes bottes et de faire eux-même ce qu'ils te reprochent de ne pas vouloir accomplir... J'aimerais te dire que ça va se placer, qu'ils comprendront et s'amenderont, mais se serait te mentir :( Pour l'avoir vécu avec mon fils, je sais que les commérages dureront probablement aussi longtemps que la personne atteinte vivra... En te lisant, des centaines de commentaires horribles me sont revenus en mémoire, me faisant haïr quelques intants des dizaines de personnes, en majorité des proches. Heureusement, dans mon cas, mes «crises» de rancune sont devenues bien éphémères parce que le temps m'a permis d'apprendre à doser, mais surtout à ignorer une bonne part de la bêtise humaine qui, soit dit en passant, atteint toujours des sommets dans la bouche de certaines personnes... C'est étrange comme tous le monde sait toujours comment ils agiraient s'ils étaient à notre place, mais que personne ne la veut vraiment cette maudite place!!!! Ce n'est pas moi qui te reprochera de vouloir placer ta mère; je comprends trop bien comment tu peux te sentir. Je sais aussi que la culpabilité d'habitera longtemps, mais on apprends à vivre avec ça aussi... Y'a encore des jours où je me demande si on a bien fait d'accepter certains traitements parce que je constate à quel point mon fils peine à réaliser certaines choses parce que son cerveau n'est pas comme il l'aurait dû et qu'il en est tellement malheureux... Mais je dois vivre avec mes choix :S Tu ne pouvais pas savoir en signant et la médecine moderne a tendance à sauver à tous prix sans réellement peser les pours et les contres de ses interventions, de même que les conséquences... Tu as fait ce que tu croyais être le mieux dans les circonstances et les connaissances que tu avais, tu n'as rien à te reprocher... Je sais que c'est plus facile à dire qu'à accepter, mais je peux au moins dire que je parle en connaissance de cause ;)
En ce début d'année difficile, je te prends virtuellement dans mes bras, espérant t'apporter un peu de réconfort et te donner l'énergie nécessaire pour affronter la tempête que tu traverses. Mes pensées t'accompagnent et je me permets encore d'espérer que la raison et la compréhension «illumineront» tes proches. Tu as le droit de fonder une famille et d'avoir ta propre vie... Ce n'est pas égoïste et je pense que c'est ce que ta mère aurait souhaité pour toi.
Je ne savais pas pour ta mère. Tout cela est vraiment triste. Je ne sais pas ce que tu vis mais je peux comprendre que c'est un gros fardeau pour toi, surtout à ton âge.
C'est vraiment plate de voir que les gens sont vite sur la critique, mais pas pour s'offrir de la prendre. C'est certain que tu l'aimes ta mère et que tu va tout faire pour qu'elle soit bien, alors laisse les parler.
Eh oui, ta petite famille virtuelle est l'à pour te soutenir :)
Tu sais, c'est tellement plus facile de juger...
Ça ne demande aucune réflexion, aucune compassion, aucune compréhension.
Sujet qui me touche particulièrement, sauf que ma mère avait 84 ans et mon père décédé. Sujet qui mérite plus qu'une phrase de compassion. Je vais écrire mon commentaire dans Word, pour bien prendre le temps de m'exprimer et je reviens.
Merci les filles, vous me faites vraiment du bien (bon et brailler aussi un peu, mais positivement cette fois).
Le pire, c'est toutes les accusations du genre "t'étais pas là pendant les deux dernières années". J'étais pourtant pas moins là que quand elle allait bien. Et j'étais à l'autre bout d'un coup de fil, mais non, je savais pas quoi faire, ni par où commencer. On me l'aurait demandé, j'aurais aidé. On m'a rien demandé.
Et là, on m'accuse.
Le pire, se sont les insinuations pernicieuses venues de gens qui ne prennent jamais leurs responsabilités et qui disent "tu as fait comme moi, tu t'en es sauvée, mais là, faut qu'on se rattrape". Yeah right. "On", ça va vouloir dire moi.
Gen, te lire m’a ramenée en arrière. Je me suis reconnue à plusieurs endroits, moins à d’autres. Les larmes proches et le cœur à l’envers. Il paraît qu’on a les épreuves qu’on est capable de surmonter. Peut-être mais pas quand on est en plein dedans. Et tout ce qui touche nos parents, ça n’est jamais facile. On ne sort pas indemne de notre enfance, qu’elle ait été belle ou moins belle.
À ce que j’ai retenu de ma propre expérience quand mon père et décédé et que ma mère a choisi de vivre seule dans sa maison, — hein! vous laissez votre mère toute seule? À son âge (elle avait alors 82 ans)! — et deux ans plus tard quand elle est tombée et qu’après 90 jours d’hospitalisation, il était clair qu’elle ne pourrait retourner vivre seule dans sa maison et donc placement au CHSLD, ce que j’ai retenu donc, c’est ce que toi, tu penses de toi. Être bien avec TA décision.
C’est le genre d’événement qui remet en question toute notre relation mère-fille, qui nous met en face de notre propre image. Et quant à moi, ce fut beaucoup plus difficile de m’entendre avec mon cœur de fille qu’avec les phrases de l’entourage. Et ensuite, c’est le train train quotidien qui change : fréquence des visites, jasettes, entendre ce qu’on ne veut pas entendre, voir ce qu’on préférerait ne pas voir. Bref, une étape à laquelle personne n’est jamais prête : celle où le parent devient l’enfant. Il faut résister, ne pas se laisser influencer, remettre les pendules à l’heure et ne pas jouer au sacrifice sous le prétexte d’être une bonne fille.
Le plus important, c’est de rester qui on est, ce qu’on a eu tant de mal à devenir. Ne laisse personne te dire qui tu dois être. Bonne chance et viens nous en parler autant de fois que tu en auras besoin, par courriel privé si nécessaire.
Ah, oui, question d'ordre plus pratique: avoir une évaluation d'une travailleuse sociale du CLSC, et tout le dossier médical, ça accélère les décisions de placement. Et dire non, fermement, à devenir "aidant naturel". Dès le début.
@ClaudeL : Merci, merci beaucoup. Je sais une chose avec certitude en tout cas : je ne voudrais pas infliger ce fardeau-là à personne, surtout pas à mes propres enfants. Je suppose que ça va m'aider dans mes décisions...
... mais pas dans mes relations familiales.
Dur dur, la vie Gen... Je n'ai pas énormément de sagesse, surtout à ce sujet, mais voici un précepte qui me colle à la peau et qui s'applique dans bon nombre de situations: ne fait rien que tu pourrais regretter.
Par là je veux dire également que si tu passais les prochaines nombreuses années de ta vie à t'occuper de ta mère à 100%, ne le regrèterais-tu pas? De même, si tu abandonnais ta mère complètement, ne le regrèterais-tu pas? Comme toujours, il faut trouver une sorte de juste milieu, jamais satisfaisant, mais à ce niveau là, il n'y a pas de solution idéale...
Bon courage à toi.
Merci, c'est noté pour "l'aidant naturel".
Le dossier médical, les évaluations et tout, c'est le conjoint (ou l'ex?) de ma mère qui les a en main pour l'instant. C'est correct : les relations sont bonnes avec lui et je pense qu'on va réussir à régler la situation.
Le problème, c'est toujours ceux qui mettent leur nez dans la situation depuis l'extérieur et qui jugent et qui foutent le trouble. Ceux qui voudraient que je maintienne ma mère à domicile, qui promettent de s'en occuper et qui disparaîtront aussitôt les apparences sauvées.
C'est eux qui attaquent présentement. Eux qui font mal. Eux qui n'ont pas l'air de comprendre que je dois téléphoner à ma mère pour la cajoler et essayer de la convaincre de se lever. Que c'est peut-être juste un coup de téléphone, mais que ça vide.
@Alex : En effet, ce sont les regrets que je veux éviter. Et oui, trouver un juste milieu. Si on m'en donne la chance.
C'est pour ça qu'on dit qu'on choisit ses amis et pas sa famille...
Gen, je te comprnds. je vis la même chose.
Ma mère est une dépressive chronique et Schizophrène depuis plus de vingt ans. Mon père est décédé en 2002 et là ce fut l'enfer. Inacpable de s'occuper d'elle, elle se perdait dans la consommation de pilules. Elle ne se nourissait pas, elle ne se lavait pas. Elle ne faisait rien de sa vie. Elle a été comme une morte-vivante pendant des années. Quand tu dis de vivre le deuil de sa mère pendant qu'elle est encore vivante , c'est en plein ça ! Tu ne peux mieux dire.
Donc à 59 ans, j'ai dû faire le choix de la placer ou de la garder. Aujourd'hui , je sais que pour nous le meilleur choix fut de la placer en résidence semi-autonome dabord. à 59 ans, on s'est fait jugé pas À peu près par la famille. Ce fut très dur. Aujourd'hui elle a perdu l'usage de ses jambes et elle est connecté sur une bonbonne d'oxygène en quasi permanence et elle a un anévrisme de 8 pouces en plus. Nous allon la perdre bientôt je crois.
Elle a maintenant 66 ans et elle est dans un CHSLD. Elle est encore jeune.
Mais je sais que si je l'aurais gardé, ca n'aurait rien changé à sa condition et moi et ma famille aurions vécu des malheurs et des peines plus grandes.
Mon conseil. Laissons les gens qui ont besoin de soins à ceux qui ont les compétences et surtout le temps. Il faut penser à la personne malade et non à la vertu.
Bonen chance Gen et le seul bon choix..ce sera le tien !
Bon courage encore
@Pierre : Merci. Les témoignages de tout le monde me font me sentir moins seule. Ça fait du bien.
Ton billet m'a touchée, Gen. Il y a des moments dans la vie où il faut faire fi des autres, particulièrement si ce sont des esprits obtus.
Suis ton coeur, il ne te trompera pas.
Je t'envoie une dose de sympathie virtuelle.
@Karuna : Merci et bienvenue sur mon blog.
Je t'envoie une bonne dose de sympathie et d'empathie virtuelle moi aussi, faute de mieux; ces situations difficles me laissent toujours sans voix et sans mots... 8-S
Ouf! Qu'ajouter à tous ces témoignages? Pour commencer, je te fais un gros gros câlin virtuel...
Et j'y vais de mon propre conseil, issu d'une sagesse dûrement acquise au fil de mes propres déboires avec ma famille : Prends tes distances avec ceux qui te font du mal avec leur jugement à deux sous. Coupe les ponts s'il le faut. Ton bonheur, ton avenir et ton équilibre sont plus importants que les ragots et la médisance de ces personnes que tu n'as pas choisies et qui, au fond, t'ont été imposées par la vie.
J'ai moi-même coupé les ponts avec toute la branche paternelle de ma famille. Parce qu'ils jugeaient sans savoir, parce qu'ils critiquaient sans chercher à comprendre. Et sais-tu quoi? J'ai ensuite pu m'épanouir librement, loin de leur négativisme.
Pour ta mère, tu feras du mieux que tu pourras dans les circonstances. Tu lui offriras le soutien que tu es en mesure de lui offrir. Déjà, tes appels téléphoniques et tes encouragements lui ont sûrement fait du bien. Et tu as dépensé beaucoup de ton énergie pour elle. Maintenant, il est temps pour elle que des professionnels s'occupent d'elle au quotidien. C'est son chemin à elle, son épreuve. Par la bande, c'est devenu ton épreuve à toi aussi, mais tu as le droit, non, la responsabilité de songer à ton bonheur.
Toujours plus facile à dire quand on ne vit pas soi-même le drame... Mais tu sais, la vie m'a apporté son lot de drames à moi aussi. Différents, mais pas nécessairement plus faciles. J'en suis ressortie plus forte et c'est ce que je te souhaite.
Prends soin de toi, mon amie. Et n'hésite pas à te défouler si tu en as besoin, je suis là, nous sommes là pour t'offrir notre écoute. Ça fait toujours du bien.
Isa
XXX
@Luc : Merci pour la dose d'empathie et de sympathie.
@Isa : Oui, il y a des ponts que je vais couper... en fait, c'est des ponts que je croyais avoir coupés, mais les maudits réseaux sociaux font perdurer des liens qu'on pensait morts. Je songe à disparaître de Facebook. Le blogue serait plus dur à trouver...
Ma mère a eu un cancer et a lutté pendant 3 ans. Je l'ai accompagné du mieux que j'ai pu avec mes bonnes intentions et mes imperfections. Tout ce que je peux dire c'est que c'est une tâche à la fois insupportable et gratifiante. Je n'ai jamais regretté d'avoir fait ce que j'ai pu pour l'accompagner dans sa fin de vie. Une chose que j'en ai retirée c'est qu'on ne peut jamais être utile si on s'oublie totalement. Donne ce que tu as à donner et ce sera sûrement ce qu'elle recevra de plus précieux dans ces moments difficiles. Pour les autres, il est bien facile de donner une opinion lorsqu'on ne donne rien de soi.
@Travailleuse sociale : Ma question serait : quel âge avais-tu? Parce que j'ai beau être adulte, je réalise que ce n'est pas la même chose de s'occuper d'un parent malade lorsqu'on a 40 ans, des enfants, une vie bien établie, etc et lorsqu'on en a, comme moi, 27, un désir d'enfants, à peine deux ans sur le marché du travail. Je réalise aussi que beaucoup de gens autour de moi oublient ce détail. Des tantes de 60 ans me disent : je m'occupe de ma mère depuis 5 ans.
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