vendredi 19 septembre 2025

Constats suite à une expérience d'IA

Je suis contre les IA génératives. (Vous pouvez lire pourquoi ici et ici.) Non seulement, elles pillent les œuvres des artistes et génèrent une pollution monstre (dix fois plus qu'une recherche classique pour les requêtes simple, jusqu'à 60 fois plus pour les images), mais on commence à voir une dégradation des capacités cognitives de ses utilisateurs. 

Cela dit, je ne suis pas dogmatique : quand on me dit que "l'IA est bon pour ci ou ça", avant de me braquer, je vérifie. (Ce qui me permet de me tenir à jour technologiquement... même si, pour une fille qui a connu les ordinateurs pré-Windows et qui bidouille parfois ses clefs de registre, toute techno récente est assez facile à prendre en main.)

C'est ainsi que, ayant appris que plusieurs jeunes auteurs utilisaient l'IA comme bêta-lectrice, j'ai décidé d'expérimenter. 

Évidemment, comme j'ai pas envie de donner encore de mes textes à la machine (elle m'en a déjà volé plusieurs), j'ai utilisé une de mes nouvelles qui est disponible en ligne - donc déjà pillée - et dont je n'ai aucun doute sur la qualité (précisément "Certaines oublieront leurs boucles d'oreille" jadis finaliste au prix de la nouvelle de Radio-Canada). 

J'ai demandé à l'IA d'analyser le texte (thèmes, narration, style, rythme, personnages). 

Au début de ma lecture de l'analyse, j'ai été impressionnée, presqu'effrayée : wow, c'était au-dessus de ce que je pensais recevoir... Puis je me suis attardée aux détails. Hum... Côté thèmes, on reprenait beaucoup les mots du texte, sans vraiment les utiliser dans le bon contexte. Par exemple, l'IA me parlait de sororité des femmes (alors qu'il n'y a aucun lien entre les femmes de ce texte, au contraire, on parle du parallélisme des expériences), de narratrice au ton intime (alors que c'est une narration chorale), etc. Comme avec les images générées par IA, le premier coup d'oeil avait eu l'air très bien, mais dès qu'on examinait de plus près, les incohérences apparaissaient. La machine a identifié un style lyrique (je ne saurais pas faire ça même si ma vie en dépendait), disait que le texte avait un "rythme rapide" (alors que non, vraiment pas : il est juste court) et tentait de créer des personnages en fusionnant des expériences appartenant pourtant clairement à des femmes distinctes. 

Puis j'ai demandé à la machine comment "améliorer le texte pour le rendre plus littéraire". Et là... 

Là j'ai ri. Les suggestions de reformulations prenaient des phrases intéressantes, avec un rythme et une musicalité agréable et en faisait... des phrases plates, banales. L'IA me disait que c'était pour "varier le rythme" mais en fait l'application de ses suggestions aurait uniformisé la longueur des phrases (les textes par IA ont souvent ce défaut d'ailleurs). 

De la même manière, l'IA me suggérait d'utiliser davantage de métaphores, ce qui n'est pas un mauvais conseil en théorie, mais en pratique les exemples suggérés étaient ultra convenus. Les appliquer aurait rendu le texte à la fois difficile à comprendre (puisqu'il est déjà chargé) et banal. 

Finalement, la machine voulait que je creuse davantage les personnages (dans un texte fait pour être un collage d'instants), peut-être via des dialogues... Et puis, pour l'exemple, elle me mettait en scène un dialogue expositoire style série télé entre deux personnages qui, selon le texte, étaient dans deux chambres distinctes (je suppose qu'elles se parlaient à travers les murs). 

J'ai aussi soumis à l'IA un autre texte, volontairement écrit tout croche (un rescapé de mes participations aux maltraitements de texte du Boréal). Là, la machine a mieux performé comme aide à la réécriture. Le résultat est passé de "horriblement mauvais" à "correct, banal". 

On m'opposera que j'ai testé une seule IA, que vous ne savez pas comment j'ai formulé mes prompts exactement, etc, mais en fait, sachant comment l'IA fonctionne, comment elle se base sur tout ce qui a été fait et sur ce que vous semblez attendre d'elle pour vous proposer des trucs, il est assez évident qu'elle va toujours arriver à un résultat "attendu", "banal" ou "convenu". 

Bref, l'IA peut effectivement prendre un mauvais texte et en faire un texte correct. Le problème, c'est qu'elle risque aussi de prendre un bon texte et d'en faire un texte... correct. Pendant ce temps-là, les éditeurs n'ont rien à faire du correct, ils ne cherchent même pas du "bon" : ils veulent du "wow". 

Alors à la place des auteurs, je resterais loin loin loin des bêta-lectrices artificielles.