Chaque fois, j'ai un malaise. Parce que je ne pourrais pas écrire ce genre de texte. En partie parce que ma mère n'est plus là pour les lire. Mais en partie parce que je ne reconnais pas ma mère dans ces portraits.
Ma mère était une femme magnifique. Preuve à l'appui :
Photo prise en février 2007, lors de mon mariage. Elle avait 51 ans. |
C'était une vraie rousse, avec la peau de lait qui va avec. Elle était grande, avec un petit buste, le nez long et droit, ainsi que de magnifique yeux noirs qui contrastaient avec son teint pâle. Si je devais la décrire en un seul mot, ce serait "racée", élégante.
Et pourtant, elle se détestait.
Je ne me souviens pas d'elle autrement que mince, mais elle ne l'était jamais assez à son goût. Alors elle s'imposait une interminable série de régimes et d'exercice, puis se regardait dans le miroir en soupirant de découragement, les mains sur sa petite bedaine basse qui ne voulait pas disparaître. Elle s'est payée une liposuccion parce que sa culotte de cheval la dérangeait encore plus que sa bedaine. Après, elle n'était toujours pas satisfaite de sa silhouette, trouvant que la disparition de son surplus de cuisse faisait ressortir ses hanches trop larges.
En voyant la photo ci-dessus, elle s'était plainte de ses dents croches et jaunes. De ses rides.
Elle était toujours malheureuse. Ne se sentait jamais assez belle, assez instruite, assez performante, assez riche, assez indépendante, assez soutenue, assez aimée. Elle n'était pas parfaite et ne l'acceptait pas. Elle a fait deux dépressions, pris des médicaments, suivi des thérapies.
Elle nous mettait beaucoup de pression à ma sœur et à moi pour qu'on soit mieux qu'elle. Plus belles, plus instruites, plus indépendantes, plus performantes. Régimes, discours interminables sur l'importance des études et de ne pas dépendre d'un homme pour vivre (et ce, même avant qu'elle et mon père divorcent), mises en garde au sujet du fardeau de la maternité, etc.
Un ACV massif l'a frappée à 52 ans. Six mois après la photo ci-dessus. Elle a survécu, mais elle n'a jamais été la même ensuite. Si elle ne s'acceptait pas avant, vous pouvez deviner qu'après, ce fut catastrophique. Elle est décédée accidentellement 4 ans plus tard, mais elle avait perdu le goût de vivre depuis longtemps.
Il y a des jours où je me demande si elle l'avait déjà eu.
Sa maladie, puis sa mort m'ont secouée. Pas immédiatement, outre la peine normale d'un tel deuil, mais peu à peu. J'étais entrée moi aussi dans la course à la performance. Je mettais des vêtements chics, des bijoux et du maquillage pour aller travailler. Je pensais à la chirurgie plastique pour régler quelques défauts. Je voulais tout faire moi-même dans tous les domaines et je pestais lorsque ça ne fonctionnait pas. Je n'avais pas bien performé comme enseignante au secondaire, mais je refusais l'idée de finir mes jours derrière un bureau de secrétaire juridique ou de crever de faim en tant qu'artiste...
Puis je me suis rendue compte de ce qui se passait. J'étais en train de me rendre malheureuse. Toute seule, sans raison.
J'ai décidé de renverser le courant. D'accepter d'être moi. De me trouver belle, malgré ma dent croche et de mes autres défauts que vous voyez ou pas. De me trouver performante et indépendante, même si, techniquement, je ne gagne pas ma vie. De demander de l'aide au lieu d'attendre qu'on m'en propose.
C'est un long processus. Il y a parfois des rechutes. Parce que je ne suis pas parfaite. Mais je fais de mon mieux.
Pour ma fille. Pour qu'elle puisse un jour écrire à quel point sa mère est une femme magnifique et aimante.
C'est dur d'aimer les autres lorsqu'on ne s'aime pas soi-même.
Moi je t'aimais très fort, maman. Bonne fête des mères.
6 commentaires:
"C'est dur d'aimer les autres lorsqu'on ne s'aime pas soi-même." Cette phrase en dit beaucoup. Ton texte est très courageux. Il va aider tous ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans les éloges aux mères aimantes, dévouées et parfaites. La relation mère-fille est une des plus difficiles qui soient. IL y a a eu plein de livres intéressants écrits là-dessus. L'important, c'est probablement juste de faire son possible. D'avoir du plaisir, de dédramatiser. Bon, voilà que moi aussi, je cherche des recettes! ;o) Tu as aimé ta mère et il plus que probable qu'elle t'a aimée aussi, du mieux qu'elle le pouvait. Ceci dit, tu fais preuve d'une lucidité remarquable. Un de tes billets les plus personnels et touchants, certainement. Merci.
Mère-fille. Un sujet qui émouvra toujours.
Pas la première fois que tu en parles, mais ça me touche chaque fois.
J'ai aussi de la difficulté à écrire sur ma mère.
Est-ce parce que nous écrivons que nous ne parvenons pas à en parler objectivement?
Chaque fois que j'ouvre la bouche ou que j'écris quelques lignes, finalement je ne décris qu'un personnage.
Une seule chose est certaine, c'est que c'est de l'amour inconditionnel, même si on s'en défend.
Et bravo pour le billet.
Bravo aussi pour ton propre parcours de mère.
J'ai même parlé de toi, hier à notre rencontre familiale. Le conjoint de ma nièce voulait savoir comment j'étais au courant du "Plug-In" (c'est son mot) de Vincent Chevalier. Il ne connait pas ton "chum", mais il connait la compagnie avec qui il fait affaire.
On ne va quand même pas mettre les défauts des mamans sur Facebook quand même, Geneviève? ;) Alors ne t'étonne pas que toutes les mères sont si parfaites en ce jour-là. Elles ont toutes des points positifs, c'est tout ce qu'on peut en conclure.
Moi, l'idée de la mère parfaite m'a longtemps fait hésiter à avoir des enfants. Parce que je savais bien que je ne pourrais jamais atteindre le standard. Jusqu'à je réalise que je pouvais être moi-même. Ce ne serait pas parfait, ce serait seulement moi, avec toutes les particularités de ce que je suis, mais au moins, ce serait quelque chose qui s'assume.
Billet fort émouvant. Et je crois que ta réflexion sur ta mère t'a permis de changer pour le mieux. Ce qui sera, au bout du compte, le plus beau cadeau que tu te seras fait (et pour ta propre fille aussi).
@Femme libre : Le billet a été écrit dans la foulée de mon roman sans aucun doute le plus personnel à date. Mais oui, j'aimais ma maman et je sais qu'elle m'aimait. Mais le recul apporté par les années et par ma propre maternité me font comprendre beaucoup de chose. Comme tu dis : je crois que c'est important de les partager pour que ceux qui vivent des sentiments semblables voient qu'ils sont normaux. Ou, entk, pas si exceptionnels.
@ClaudeL : Curieusement, d'avoir volontairement écrit 40 000 mots sur une mère-personnage semble m'avoir permis de mettre le doigt, enfin, sur ma vraie mère et notre relation.
Mais ne me félicite pas tout de suite pour mon parcours de mère : il commence tout juste (et présentement ma fille babille dans son lit au lieu de faire sa sieste, alors ma patience est mise à rude épreuve).
Comique l'anecdote avec le conjoint de ta nièce! Le monde est petit! hihihi!
@Nomadesse : Difficile de mettre leurs défauts sur Facebook si elles y sont aussi en effet! hihihihihi! Je ne sais pas si ma réflexion sur ma mère sera utile à ma fille, mais en tout cas, à moi, elle l'a été. Pour ma part, ce qui me faisait hésiter à avoir des enfants, ce n'était pas l'image de la mère parfaite, mais plutôt celle de la mère qui, selon la mienne, n'avait plus la possibilité de se réaliser en tant que personne ensuite. Ouf! J'pense que j'ai évité ce problème-là au moins!
Vraiment très touchant comme billet, j'espère que ça t'a fait du bien de l'écrire. Oui je savais des bouts, mais pas nécessairement tout ça.
On n'a qu'une mère, elle n'a pas besoin d'être parfait (personne ne l'est), mais certains comportements laissent des traces et c'est important d'en être consciente, pour ne pas refaire les mêmes erreurs.
@Isa : Comme je dis, le fait d'avoir écrit sur une mère fictive m'a amenée à regarder ma mère réelle avec un autre oeil. Cela dit, j'ai hésité à publier ce billet, parce qu'il est très personnel, mais... ben comme tu dis : je pense qu'il faut être consciente de la mère (ou du parent) qu'on a eu pour mieux s'en détacher. (Et fucker nos enfants de manière originale! :p lolololol!)
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