Je ne sais pas si c'est ma (lointaine) formation en écriture dramatique qui me pousse à le remarquer, mais il me semble que je rencontre souvent, dans mes lectures, des dialogues qui n'ont pas été ancrés dans le récit.
Lorsqu'on écrit pour le théâtre (ou la télé ou les films), on doit, au début de chaque scène, donner en didascalie (nom du texte qui n'est pas destiné à être lu par les comédiens) des indications de temps, de lieux et, idéalement, la mise en situation des personnages. Exemple :
Chambre à coucher du couple, le matin, l'épouse se coiffe tandis que l'époux noue sa cravate.
ÉPOUSE - Chéri, est-ce que tu me trouves grosse?
ÉPOUX - Est-ce qu'il y a une bonne réponse à cette question?
Voilà, la scène (et son dialogue) est ancrée, on sait où et quand elle a lieu, on devine même certaines indications non dites (si l'homme noue sa cravate, il doit s'en aller travailler, car on porte rarement une cravate pour paresser chez soi...).
Je crois que lorsqu'on écrit un roman, il est important de donner les mêmes indications au lecteur. Évidemment, on ne peut pas (et je dirais même que, à moins d'un concept narratif particulier, on ne doit pas) les balancer de manière aussi schématique qu'avec les didascalies, mais il faut, d'une manière ou d'une autre, inclure ces éléments dans la scène. Et, idéalement, au tout début. Apprendre après une page de texte que les personnages se parlent à travers les barreaux d'une prison peut déboussoler le lecteur qui les imaginait plutôt tranquillement assis dans leur salon!
Je crois qu'il faut aussi entrecouper le dialogue de gestes, d'événements, de descriptions des émotions ou des sensations des personnages. Sinon, on finit vite par avoir l'impression que lesdits personnages ne sont que des bouches qui parlent, des esprits désincarnés suspendus dans un vide intersidéral.
Ou alors je suis la seule à penser de même?
6 commentaires:
Oui, je fais vraiment attention au contexte, aux malaises de ce qui vient d'être dit et à ce que ça suscite dans le visage du personnage qui l'entend, ou du plaisir, ou de la haine... Je supprime généralement le plus possible les verbes de paroles (dit-il, répliqua-t-elle), sauf quand ça me permet de préciser qui parle (un moment donné il faut le replacer!) ou justement d'utiliser un verbe de parole pour passer une émotion ou un ton (hurla-t-elle, murmura-t-il...) J'adore les dialogues. C'est le moment où "j'entends" littéralement les personnages. La manière qu'ils se parlent correspond à leur personnalité. Leurs réactions aussi. Alors oui, je place beaucoup le décor pour qu'on les "voit" se parler en plus de les entendre.
Comme tu dis "à moins d'un concept narratif particulier".
Et on dirait bien que ces concepts sont en train de devenir la norme.
En tout cas pour les jeunes maisons d'édition (Héliotrope, Alto, Quartanier, Marchand de feuilles et quelques autres) qui cherchent à se démarquer justement des romans traditionnels, qui, eux, utilisent des dialogues bien marqués par des demi-cadratins.
Dans ces romans, si quelqu'un d'autre parle, on l'indique parfois entre guillemets. Et parfois même pas.
Ce n'est pas nouveau, je suis en train de lire Fugueuses de Suzanne Jacob et il ne faut pas y chercher des dialogues "classiques".
Mais ce que tu dis est comme une évidence (pour moi). C'est le travail de la directrice (ou directeur) littéraire de ramener l'auteur-e à cet effort si, par hasard, il ou elle a oublié de bien situer la scène.
@Nomadesse : En effet, les dialogues sont toujours plaisants à écrire je pense. :) (Je ne connais pas d'auteur qui les haisse entk) Et les verbes de parole, je suis de l'école "faut doser" (donc ni pour, ni contre). Mais je parlais aussi de placer le décor autour des personnages, pas juste le décor "nécessaire", mais aussi le superlfu. La serveuse du café qui passe et qui force la conversation intime à prendre une pause, la porte qui claque et fait sursauter l'un des interlocuteurs. J'aime quand "la vie" semble interrompre ou entrecouper les dialogues. Je trouve que ça fait plus naturel. (Mais c'est dur à maîtriser! lol!)
@Claude : Je pense que même les dialogues bizarrement ponctués sont (ou devraient) ancrés dans le récit, non? Mais oui, en littérature blanche (et même parfois en littérature de genre), il pleut des concepts narratifs ces temps-ci. Ils ne sont pas tous heureux. Je suis en train d'en lire un qui est tellement déconstruit qu'on comprend à peine ce qui s'y passe. On n'en est plus à parler d'ancrer les dialogues, mais d'ancrer le récit lui-même! O.o
La réponse du mari est très mauvaise. Source d'angoisse pour sa femme qui avait besoin d'être rassurée sinon elle n'aurait pas posé la question. Alors, sans même que l'auteur n'ait à le préciser, je pense que le mari est froid, cérébral et que le couple se porte mal. Je m'attends cependant à ce que l'auteur valide mes impressions et je trouverais décevant qu'il ou elle ne le fasse pas.
E y repensant, c'est plus la question de la femme qui est mauvaise! Elle met son conjoint dans une situation impossible: mentir ou blesser?
Bon, je sais bien que ce n'était pas le but de ta question! Tu t'adresses à des auteurs et moi je ne suis qu'une lectrice! ;o) Je réagis au contenu pas à la forme!
@Femme libre : Lolol! En écrivant ce bout de dialogue, j'ai imaginé plusieurs réponses. Et je me suis dit que si le mari répondait "Bien sûr que non, chérie", plusieurs personnes me diraient "est-ce qu'il ment?". :P Dans ma tête, la réponse que j'ai écrite dans le billet ouvrait plutôt sur une discussion rigolote où on comprenait que le couple s'entend très bien et s'amuse à se lancer de genre de question-piège.
Mais ta réaction est très intéressante. Je crois que je vais garder ces trois lignes comme exemple du fait qu'on n'a pas besoin d'écrire beaucoup pour intriguer le lecteur! :)
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