Mais j’avais
l’impression d’apprendre ma job de maman d’une drôle de
manière. Ma puce avait 48 heures, je n’avais toujours pas changé
sa couche, personne ne lui avait donné de bain, je ne savais pas
reconnaître ses signaux de faim : on m’appelait pour me
prévenir lorsqu’elle voulait téter. Je savais comment la mettre
au sein dans trois positions différentes, comment ouvrir et refermer
son incubateur, comment recoller les maudits capteurs de rythme
cardiaque qui passaient leur temps à se défaire... Disons que ce
n’était pas vraiment l’expérience que j’avais imaginé.
Pour mon chum, c’était
pire : il n’avait rien d’autre à faire que de tourner en
rond dans la chambre pendant les allaitements, puis me prendre dans
ses bras et tenter de me consoler quand je revenais en pleurant.
Parce que les tests de laboratoire arrivaient au compte-goutte et
dressaient des hypothèses fort sombres : la puce avait
peut-être un Step B, peut-être une méningite, peut-être une autre
infection... Après un bout de temps, Vincent a pris l’habitude de
venir m’aider à m’installer pour allaiter dans la pouponnière.
Cela déchargeait les infirmières, lui permettait de toucher la puce
pendant quelques secondes et de recevoir les nouvelles en même temps
que moi. Parce que dans les pavillons de naissance, on a découvert
assez vite que les pères sont plutôt négligés.
Un matin, Vincent a
croisé mon médecin en se rendant à la pouponnière. Celui-ci lui a
demandé des nouvelles du bébé et l’a accompagné à la
pouponnière où le pédiatre était justement en train de faire sa
visite. Alors que mon chum, ébahi, pensait que mon médecin faisait
enfin preuve d’humanité et s’impliquait dans mon dossier,
ce dernier s’est lancé dans une grande conversation avec le
pédiatre... en espagnol. Conversation qui s’est terminée un bon
dix minutes plus tard et que mon médecin a résumée ainsi à mon
chum « Ça va bien aller ». Puis il est parti. Un cyborg,
on vous dit. Le pédiatre, lui, a heureusement pris la peine de donner clairement les dernières nouvelles. Qui se résumaient ainsi : on ne savait pas exactement ce que la puce avait eu, à part que c'était une infection aux poumons.
Jeudi soir, on m’a
informée que j’avais mon congé de l’hôpital. Mes quelques
points de suture guérissaient bien, ma tension était redevenue
normale, ma glycémie semblait correcte également, même mon ventre
était en train de disparaître, parce que les allaitements
provoquaient en moi de fortes contractions inverses qui faisaient se
rétracter mon utérus à grande vitesse. J’étais catastrophée :
je ne pouvais pas partir et laisser ma puce toute seule à la
pouponnière! Je ne me voyais pas rentrer chez moi, contempler le
parc, la chambre rose, les pyjamas soigneusement alignés... On m’a
rassurée : nous pourrions garder la chambre tant que le
pavillon ne serait pas trop plein.
Vendredi matin, on nous
a dit que notre puce, en plus du reste, faisait une jaunisse. Une
lampe UV s’est ajoutée à son incubateur. Et on lui a mis de
petites lunettes pour protéger ses yeux. Le traitement de
photothérapie, nous a-t-on assurés, serait de courte durée. En
plus, comme elle était sous antibiotiques depuis plus de 48 heures,
il était possible qu’on puisse bientôt la sortir d’isolement.
Il restait juste à recevoir les résultats d’un dernier test de
labo. Si l’isolement se terminait, on pourrait enfin cohabiter avec
elle.
Alors qu’on
ressortait de la pouponnière, le cœur attendri à l’idée de
pouvoir enfin ramener la puce dans notre chambre et la câliner à
mains nues, on nous a informés que l’aile des naissances était
pleine. Nous ne pouvions plus garder notre chambre.
Quoi? Mais qu’est-ce
que c’était que cette histoire? D’un côté on nous donnait
espoir de pouvoir commencer à jouer enfin notre rôle de parent et
de l’autre on nous mettait dehors? Comment est-ce que j’allais
allaiter ma fille si je ne pouvais pas rester à l’hôpital? La
porteuse de mauvaise nouvelle a essayé de me rassurer : on
allait me donner un lit dans une chambre de débordement à trois
places. Mon chum ne pourrait pas rester avec moi pour la nuit, mais
moi j’aurais un endroit où dormir entre les boires.
Mais... Et si la puce
pouvait enfin sortir de la pouponnière? Oh, il n’y avait pas de
problème m’a répondu la dame : elle pourrait cohabiter avec
moi dans cette chambre de débordement. Je ne devais pas m’en
faire, la chambre était parfois occupée dans la journée (par
exemple pour des suivis de tension artérielle comme j’en avais eu
quelques-uns), mais elle était presque toujours vide la nuit. Je
l’aurais à moi toute seule.
Moi toute seule. Comme
dans « moi, nouvelle maman, toute seule avec nouveau bébé,
sans papa pour aider ». La perspective ne me rassurait pas.
Mais bon, la puce n’était pas encore sortie d’isolement...
Mon chéri et moi avons
trié les affaires apportées à l’hôpital. On a essayé de
réduire ce que je garderais avec moi au strict minimum. Comme
Vincent devrait désormais retourner dormir à la maison (à trente
minutes de voiture de l’hôpital), il en profiterait pour se
ravitailler en bouffe, m’apporter des vêtements propres, etc. On
s’est installés dans ma nouvelle « chambre ». Je
disposais d’un lit étroit, une table de chevet, une table pouvant
glisser au-dessus du lit et un beau rideau orange pour m’isoler du
reste de la salle. Salle de bain partagée, douche dans le corridor.
Entre mon lit et le rideau fermant la « chambre »
suivante, un petit espace qui serait juste assez large pour y glisser
éventuellement un lit de bébé standard d’hôpital.
Quelques heures après
nous être installés, d’autres personnes se sont mises à arriver
dans la salle. Bientôt, les trois lits de la chambre de débordement
étaient occupés. On est sortis prendre un peu d’air. À notre
retour, les infirmières de la pouponnière nous attendaient avec une
bonne nouvelle. Tous les tests étaient revenus négatifs : la
puce n’avait ni le Step B, ni une méningite. Son infection
pulmonaire restait non identifiée, mais était faible et n’était
probablement pas contagieuse. Elle devrait rester sous antibiotiques
pour encore 4 jours, et sous lampe UV pour encore 24 heures, mais
elle était désormais hors de danger et pourrait cohabiter avec moi.
L’incubateur ne
pouvant pas loger entre mon lit et le rideau du lit voisin, il a été
installé au pied de mon lit, ce qui m’obligeait à garder mon
rideau ouvert pour voir ma puce. Quand est venue l’heure du boire
suivant, mon chum et moi avons eu l’impression de faire quelque
chose de presque illégal en prenant notre puce à mains nues. Mes
dieux que sa peau était douce sous nos doigts! On n’a pas pu la
câliner très longtemps, elle devait retourner dès que possible
sous sa lampe de photothérapie, mais Vincent l’a bercée un
instant, encombré par le fil du soluté.
La journée a passé.
On s’est occupé des boires. On a changé quelques couches. Puis le
soir est venu. Vincent est parti, le cœur gros, inquiet pour nous
deux. Et j’ai entamé ma première nuit de maman.
Mettons que ça n’a pas été de tout repos. Entre les boires, les changements de couche, la puce qui a pleuré pendant des heures dans son incubateur (dont je ne devais pas la sortir) et la pompe du soluté qui sonnait à toutes les heures (parce que les infirmières devaient venir s’assurer que le soluté n’était pas infiltré hors de la veine avant de la repartir), et le bébé du lit voisin qui a pleuré beaucoup lui aussi, j’ai dormi à peu près deux heures.
Vincent est arrivé de
bonne heure le lendemain matin. Il n’avait pas beaucoup dormi lui
non plus, inquiet de savoir comment je m'étais débrouillée pour sortir seule la puce de l'incubateur et l'amener jusqu'à mon lit tout en traînant son soluté. Il m’a relayée pour les soins à notre fille, entre les
boires, et il s’est occupé d’appeler les infirmières lorsque la
pompe du soluté sonnait. J’ai donc dormi un peu. En fin de
journée, la puce a été transférée de son incubateur à un lit
normal.
Cette nuit-là, j’ai
dormi un peu plus. J’étais seule dans la chambre et je prenais le
rythme de la puce. La journée du lendemain a été une répétition
de la veille : arrivée de Vincent, siestes pour moi, un peu de
visite d’amis et de parents. Va et vient causé par les occupants
des autres lits.
La troisième nuit a
bien commencé. J’étais seule encore dans la chambre. La puce a
dormi presque quatre heures de suite. Malheureusement, après ce long
sommeil, l’infirmière qui passait a constaté que le soluté était
infiltré. J’ai donc dû accompagner ma fille à la pouponnière
pour qu’on lui installe un nouveau cathéter. Les infirmières
étant débordées, c’est moi qui devait tenir mon bébé, qui
hurlait, tandis qu’on essayait de lui entrer une aiguille dans les
veines. J’avais l’impression d’être un bourreau. J’ai pu
constater que ma fille avait malheureusement hérité de mes canaux
sanguins : il a fallu cinq veines pétées avant d’en trouver
une qui acceptait le cathéter.
L’expérience m’a
vidée. Ma puce aussi d’ailleurs : elle a refusé de dormir
par la suite. Elle pleurait et mes bras, qui jusque là avaient un
effet apaisant presque magiques, ne suffisaient plus à la consoler.
J’ai eu vraiment hâte que mon chum arrive.
Durant la journée, qui
devait être notre avant-dernière si tout se passait bien, j’ai
commencé à avoir ma montée de lait. Enfin! Je commençais à
m’inquiéter, car on m’avait dit que ça prenait trois jours
après la naissance... Ce jour-là, l’aile des naissances a
continué à être bondée, si bien qu’en fin de journée, nous
étions trois mamans avec bébé dans la chambre de débordement. Ça
promettait pour la nuit...
Et ça a tenu ses
promesses : entre la pompe du soluté, les pleurs de ma puce,
les hurlements des deux autres bébés (confinés à des incubateurs
avec lampe UV), ainsi que les cris d’une maman qui accouchait dans
une chambre voisine (et qui s’époumonait en disant « ça
fait mal », ce qui n’était pas exactement une nouvelle
révolutionnaire méritant d’être ainsi ébruitée), j’ai dormi
45 minutes au total dans la nuit. J’peux-tu vous dire qu’entre le
manque de sommeil et les hormones, quand mon chum est arrivé au
matin, je braillais comme une madeleine? Baby blues vous dites? Dans
le tapis, oui!
Ce jour-là, après
avoir finalement retiré le soluté de la puce et juste avant
d’obtenir notre congé, notre fille a été pesée. Oups, alors
qu’elle prenait quelques vingt grammes par jour depuis 3 jours,
elle avait perdu un peu de poids cette fois. Bah, pas grave nous
a-t-on dit, ça pouvait être une variance journalière normale. Ou
alors c’était la conséquence du retrait du soluté, qui la
nourrissait quand même un peu par intraveineuse. On a nous a dit de
revenir dans deux jours pour un suivi.
Et on est partis avec
notre petite fille. J’ai ressenti une impression de délivrance
immense. Et, enfin, j'aurais de l'aide pour m'occuper d'elle la nuit!
12 commentaires:
À l'approche de mon accouchement, j'avoue que c'est ce bout-là qui me fait le plus peur. L'après. Parce que parfois il y a foule dans les maternités et le père ne peut pas rester. Je crois qu'on sous-estime à quel point il est important pour la conjointe à ce moment-là. Juste d'y penser me met sur le bord de la crise de nerfs. Et comme je connais bien le baby blues (oui, moi aussi j'ai eu ça!) des hormones, je me dis que le passage à la crise de nerfs sera trop facile. En tout cas. Déjà hâte d'être de retour à la maison avec bébé...
@Nomadesse : À l'hôpital où j'étais, le père peut toujours rester tant que la mère n'a pas eu son congé et normalement maman et bébé sortent en même temps.
Mais en effet, je ne comprends pas comment on peut sous-estimer à ce point-là l'apport du conjoint!!! La mère est épuisée, ses hormones jouent au yoyo, elle doit apprendre à comprendre ce nouveau bébé (ou, dans mon cas, à comprendre un bébé tout court) et on la laisserait seule? Hé ho, minute, c'est inhumain!
(Après ça, on nous donne une formation sur les bébés secoués et les manières d'éviter d'en venir à cette extrémité... Dites, laissez déjà la mère se reposer, ça va aider!)
Au moins, si tu es dans une chambre régulière et que tu sens que tu n'en peux plus, tu auras l'option de sonner une infirmière. (Moi je n'avais officiellement plus droit à leur aide, parce que je n'étais plus une patiente, juste un frigo à lait ambulant...) Je te souhaite que ce ne soit pas trop bondé en tout cas!
Épreuves. Au moins, c'est fini. Du moins, j'espère. On a le récit par petits morceaux et ça ne s'améliore pas vraiment d'un épisode à l'autre. Je m'attends à tout. C'est cependant passsionnant parce que si bien raconté.
La scène la plus divertissante, à ce jour, reste celle où tu chevauchais ton ballon Pilates au milieu de ta chambre d'hôpital... :O)
@Femme libre : Il ne reste qu'un épisode. Er disons que ça plonge une dernière fois avant de s'améliorer enfin.
@Daniel : C'est pourtant une vision assez courante dans les pavillons de naissance de nos jours.
Eh bien, Geneviève, je saurai désormais où aller pour voir des femmes chevaucher des ballons :o) :0) :O)
Le médecin a jasé en espagnol avec le pédiatre devant Vincent!!! Non, mais c'est votre bébé, c'est pas un dossier top secret du gouvernement! C'est même important que vous le sachiez! Quel manque flagrant de classe! Pour le reste, ouf, on comprend pourquoi vous êtes restés silencieux!
@Prospéryne : Mon chum n'en revenait pas non plus (les deux médecins étaient latinos). Heureusement le pédiatre, lui, a répondu par la suite à ses questions.
Ah oui, on comprend très bien pourquoi les nouvelles ont tardé à venir. Ça n'a vraiment pas dû être évident pour vous trois, toutes mes sympathies...
J'ai hâte de lire la suite du feuilleton! :)
@Isa : En effet, là vous comprenez le retard de nouvelle. Non seulement j'avais pas de connexion internet, mais je ne vois pas quand j'aurais trouvé le temps de faire un billet anyway!
Gen, j'espère que maintenant vous êtes bien, tous les trois!
Gabrielle
@Gabrielle : Maintenant, oui, mais il reste un autre épisode...
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