Je
suis restée assise sur mon lit, en position de méditation, les yeux
fermés, à me concentrer sur mon souffle, avec la voix de Vincent
pour me remettre dans le bon chemin lorsque je m’égarais. Je
voyais les contractions comme une vague qui arrivait et repartait.
Appliquant les techniques de contrôle de la douleur que Vincent m’a
enseignées en même temps que les arts martiaux, je considérais la
souffrance comme une donnée parmi d’autres au lieu de me
concentrer dessus : j’étais assise sur un lit, j’avais les
yeux fermés, le drap était frais, mon front était chaud,
j’entendais battre le cœur du bébé grâce au moniteur et, oh, de
temps en temps j’avais mal. Je me souviens qu’à un moment mon
chum m’a demandé si ça me dérangeait qu’il me mange dans la
face et je lui ai répondu que pour ce que je percevais de mon
environnement, il pouvait enfiler le costume du Bonhomme Carnaval, je
m’en rendrais pas compte. L’infirmière a eu l’air de nous
trouver comiques.
Je
me souviens qu’à un autre moment, peut-être vers 17h30, soit
après cinq heures et demi de contractions aux deux minutes, juste
avant que l’infirmière ne m’examine j’ai eu un nouvel accès
de découragement. Je n’avais pas l’impression que le travail
progressait et je sentais mes réserves d’énergie et de patience
commencer à baisser. Je me suis dit que si j’étais rendue à 8
centimètres, j’arriverais à passer à travers l’accouchement.
Mais que si je n’y étais toujours pas, je devrais considérer à
nouveau l’idée de l’épidurale. Le verdict de l’infirmière
est tombée : 8 centimètres. J’étais soulagée. J’aurais
la force de finir.
Vers
18h, mon col était complètement ouvert et ce fut le moment de
commencer à pousser le bébé hors de moi. Enfin! Comme promis, les
contractions se sont transformées. Elles ne semblaient plus résonner
uniquement au niveau du col de mon utérus, mais mobiliser tout mon
corps. C’était une force immense, qui m’invitait à travailler
avec elle. L’infirmière, qui me tenait une jambe tandis que mon
chum soutenait l’autre, m’a expliqué que je devais forcer à
l’aide des muscles pelviens, en bloquant ma respiration. Ça me
semblait complètement contre-intuitif (d’habitude, quand on force,
on doit expirer pour que les muscles travaillent bien). Fidèle à
moi-même, j’ai décidé d’expérimenter (ben oui, même au
milieu d’un accouchement... je sais, je suis un peu folle). J’ai
essayé de pousser en bloquant mon souffle, comme le recommandait
l’infirmière, puis de pousser en expirant. Et là j’ai compris
d’où venait cette histoire de respiration bloquée. Mon utérus
occupait tellement de place dans mon ventre que si je remplissais mes
poumons et que je poussais ensuite, les poumons exerçaient une
pression sur l’utérus et aidaient le bébé à descendre, ce qui
était plus efficace que de pousser uniquement à l’aide des
muscles. J’ai donc rassemblé mes forces et poussé, en impliquant
mes abdominaux dans l’effort.
Quinze
minutes plus tard, le moniteur a perdu le cœur de ma puce :
elle était déjà descendue trop bas dans mon bassin. Mon chum
pouvait apercevoir les cheveux à l’occasion des poussées. Il
m’encourageait en m’expliquant la progression qu’il constatait
d’une poussée à l’autre. L’infirmière a appelé mon médecin,
qui est venu poser un capteur de rythme cardiaque sur la tête de ma
puce. Puis il est reparti en me disant à nouveau qu’on se verrait
plus tard. Euh... Je ne comprenais pas pourquoi il repartait. Je
sentais que la puce serait dehors dans quelques instants.
Mon
infirmière m’a dit qu’il fallait compter à peu près une heure
de poussée pour accoucher d’un premier bébé. Dans ma tête, je
me suis dit qu’il n’était pas question que ça prenne encore 45
minutes. Je sentais mes forces diminuer. J’ai bien respiré,
rassemblé ce qui me restait d’énergie et je me suis concentrée
pour que chaque poussée soit la plus efficace possible. Paraît
qu’il y a des femmes qui se font éclater quelques veines du visage
en poussant. Pour ma part, je me suis fait péter les veines jusque
sur les épaules et dans le haut du dos. J’ai toujours tendance à
ne pas faire les choses à moitié, mais ça a payé!
À
18h30, mon infirmière a appelé mon médecin. La tête était en
train de sortir. Une autre infirmière est venue nous informer que le
médecin terminait un autre accouchement et arrivait. Sauf que je
sentais bien que ma puce ne voulait pas attendre. Et moi non plus,
honnêtement. La sensation d’une tête de bébé qui passe par les
« voies naturelles », c’est vraiment spécial, mais ça
donne pas envie de s’y éterniser.
Les
infirmières m’ont dit de pousser juste assez pour endurer les
contractions en attendant le médecin. J’ai alors informé la
nouvelle venue que je n’avais pas d’épidurale (parce que je
savais qu’avec l’épidurale, on sent moins bien les contractions
lors de la poussée). Après un instant d’incrédulité, cette
infirmière a commencé à essayer d’appeler un médecin résident.
J’ai senti venir une autre contraction. Je leur ai fait remarquer
que ça ne me dérangeait pas du tout d’être accouchée par une
infirmière.
L’une
des infirmières a pris la place du médecin et, trois poussées plus
tard, tandis que le médecin résident franchissait la porte de ma
chambre, ma puce naissait à 18h35. Aussitôt, elle a été déposée
contre mon ventre.
J’ai ressenti un instant de bonheur intense.
Aussitôt
envolé. Ma fille était bleue et flasque. Elle ne bougeait pas. Les
infirmières se sont mises à la frictionner. Elle a poussé quelques
râles, mais elle ne respirait pas.
Mon
médecin est arrivé, tandis que les infirmières prenaient ma puce
et la mettaient sous oxygène. Le médecin a extraie le placenta et
commencé à m’expliquer qu’il allait me geler localement pour me
faire quelques points de suture, mais que j’allais sentir quand
même des tiraillements, vu que je n’avais pas d’épidurale.
Pendant ses explications, j’avais la tête tournée vers le coin où
les infirmières s’activaient. Qu’est-ce que j’en avais à
foutre de quelques points de suture? Je venais de donner naissance,
ce qui faisait bien plus mal, et ma fille était en danger. Le
médecin a commencé à me recoudre. En m’assurant que « mon
bébé allait bien ». Au moment même où il l’a dit, j’ai
entendu une infirmière appeler le pédiatre de garde et lui demander
de venir en urgence. « Bien » mon œil!
Les
infirmières sont parties avec ma puce à la pouponnière et j’ai
dit à mon chum d’y aller avec elle, le temps que mon médecin
finisse de me recoudre. Vincent semblait complètement perdu. Il
savait que la puce n’allait pas bien, mais ne savait pas si moi
j’étais correcte. Je suppose que comme je lui ai dit de suivre la
puce, il a compris que tout était normal de mon côté. Quand le médecin a eu
fini sa broderie, il est parti sans dire un mot, ce qui était aussi
bien parce que j’étais pas d’humeur à être aimable. Une
infirmière demeurée avec moi m’a demandé si j’aurais la force
d’aller à la pouponnière à mon tour. J’étais assise avant
qu’elle ne finisse sa question. Elle m’a aidée à ne pas
m’emmêler dans mes solutés.
À
la pouponnière, je suis arrivée juste au moment où une infirmière
installait un sac en plastique sur la tête de mon bébé!
Heureusement, tandis que je paniquais un peu, Vincent m’a expliqué
que notre fille avait eu un masque à oxygène jusque là, mais
qu’avec la cagoule de plastique, ce serait plus simple de l’aider
à respirer. Notre puce râlait, criait et luttait à chaque
respiration. Beaucoup de sécrétions ont été aspirées de ses
poumons. Finalement, elle s’est mise à respirer un peu plus
facilement, mais elle est restée sous oxygène, afin de s’assurer
que son cerveau n’en manque pas.
Le
pédiatre nous a alors annoncé qu’il soupçonnait une infection
pulmonaire au Strep B, malgré les antibiotiques qu’on m’avait
administrés. Notre fille allait devoir rester en isolement à la
pouponnière, sous antibiotiques intraveineux et branchées à des
moniteurs. Peu à peu, on diminuerait son apport en oxygène, en
espérant qu’elle arriverait éventuellement à s’en passer.
Entretemps, on lui donnerait des antibiotiques, on lui ferait une
ponction lombaire et divers autres prélèvements pour contrôler son
état.
Vincent
et moi sommes retournés dans notre chambre, effondrés.
Vers 22 heures, on est venu nous dire que la puce se passait enfin
d’oxygène. On m’a invitée à l’allaiter... en respectant les
mesures d’isolement anti-contagion. Moi qui rêvait depuis neuf
mois de notre premier contact peau à peau, je me suis retrouvée
assise dans un coin de la pouponnière, avec des gants de latex et
une jaquette stérile sur le dos, un seul sein sorti de mes vêtements
et, dans les bras, un bébé relié à un million de fils et de
tuyaux. Je voulais pleurer, mais dès que la puce a senti la chaleur
de mon sein contre sa joue, elle a ouvert grand la bouche et s’est
mise à téter. Les infirmières ont poussé une exclamation de
victoire. Les bébés traumatisés à la naissance, comme ma puce
l’avait été, refusent souvent l’allaitement, alors que ce sont
eux qui en ont le plus besoin. Voilà qui augurait bien pour les
chances de survie de ma petite fille.
Par
la suite, les infirmières m’ont dit que c’était une grande
chance que je n’aie pas pris l’épidurale. Les bébés qui
naissent alors que la mère est sous épidurale sont un peu plus
somnolents, alors ma puce aurait pu manquer de combativité pour
respirer. Et il est sûr que je n’aurais pas pu me déplacer à la
pouponnière pour allaiter durant les premières 24 heures, alors ça
aurait grandement compromis les chances d’établir un allaitement.
Ouf! Comme quoi mon orgueil de grano aura servi à quelque chose! ;)
13 commentaires:
Bravo Gen! Ouf, félicitation d'être passée au travers de tout ça!
Quelle aventure! J'en ai les larmes aux yeux! Félicitations pour la puce, et bon courage pour la suite!
@Prospéryne : C'est surtout ma puce la championne qui a passé à travers bien des épreuves (parce que c'est pas fini...)
@Annie : Merci.
Nous aussi on crie de joie quand elle boit, bonyenne! Quel début de vie! Bravo Éliane!
Même si je savais qu'après Éliane allait bon, j'ai quand même lu intensément le bout de sa naissance et j'avoue que j'avais quelques larmes quand j'ai lu son arrêt respiratoire.
Bravo Élianne, tu es une championne. Tu aurais pu être une digne membre de la famille Hanaken :)
@Nomadesse : C'est pas pour rien que la série de billet je l'ai baptisée "la première aventure d'Éliane" et non pas "accouchement version longue" ;)
@Gaby : Ouaip, c'est ma petite championne. :)
Moi je veux qu'en quittant l'hôpital, le médecin cyborg regarde Éliane droit dans les yeux et lance "Hasta la vista, baby." (On peut toujours rêver)
@Guillaume : Il m'a dit "on se revoit dans six semaines", est-ce que ça peut compter comme un équivalent de "I'll be back"? ;)
Wow... J'ai eu envie de verser deux larmes en lisant ça... Une pour les émotions que vous avez dû vivre et l'autre, de rage pour le fichu médecin *(%$"&$(*"!!!!!
Mais bon, puisque ça va mieux... ;)
Gen : Close enough ;)
@Isa : Sur le coup, ça avait l'air tellement irréaliste ce qui se passait avec Éliane. J'arrivais juste pas à y croire. C'est aussi bien : si j'avais réalisé à quel point ont a été proche de la perdre, je crois que je me serais complètement effondrée.
Et pour le médecin... Ouais, bon, passons...
@Guillaume : Lol! ;)
Moi qui pensais que tu prendrais une longue pause d'écriture! Et tu ne te contentes pas d'écrire, c'rst de l'émotion vive, ça. Ouf!
@ClaudeL : C'est du matériel brut, le genre que je garde pour moi d'habitude (mais dont je réutilise des parties dans mes fictions).
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