Le plus dur quand on écrit un texte avec un arrière-monde complexe (que ce soit un univers inventé de toute pièce ou une époque historique précise), c'est d'éviter l'infodump (ou dumping d'information... aussi connu comme les prologues explicatifs de 4 pages, les descriptions de la technologie qui durent pendant un chapitre, les dialogues interminables entre le scientifique et la belle blonde qui connaît rien, etc).
Comme, à date, on m'a dit que je me débrouillais bien pour éviter ce travers, j'ai décidé de livrer ma recette.
Étape 1 : Je décris dans tous les détails possibles tout ce qui peut être utile à la compréhension de l'arrière-monde : le rythme des saisons, la mythologie, la méthode de fabrication des métiers-à-tisser-laser (pas touche, c'est mon invention!), le régime alimentaire du mage moyen, l'horaire extrêmement chargé du tueur à gages, etc.
Étape 2 : Je prends ce gigantesque document d'information, je le relis, je l'enregistre, puis je le ferme.
Étape 3 : J'écris mon histoire en fonction de mon arrière-monde, en le gardant en tête, mais sans essayer de trop l'expliquer. Après tout, les personnages le connaissent, ils vivent dedans.
Étape 4 : Je trouve quelqu'un à qui faire lire le texte (ou alors je l'oublie dans le fond d'un tiroir pendant 3-4 mois). Je note les passages que le lecteur comprend pas parce que l'arrière-monde est complexe et impossible à deviner (ou alors les passages où je ne me rappelle pas moi-même la logique sous-tendant les raisonnements et qui m'obligent à rouvrir et à consulter le document explicatif).
Étape 5 (l'étape cruciale) : J'ajoute, ici et là, par petits morceaux, les informations nécessaires pour comprendre les points qui n'étaient pas clairs. Je m'imagine que j'insère les informations avec la délicatesse d'un neurochirurgien qui retire une tumeur. Ou que j'en parfume le texte, comme un cuisinier assaisonne un plat avec de l'huile de truffe. Bref, les scies électriques et le ketchup sont à bannir. Faut être subtil. On peut donner les informations à l'avance... ou alors avec un brin de retard. Ça tiend les lecteurs réveillés.
Étape 6 : Je fais relire au lecteur-test. Ses questions sont-elles résolues? S'il lui en reste encore (il y a des lecteurs qui veulent les points sur les i et les barres sur les t à propos de tous les détails), je lui demande quelle explication il imagine. Si sa réponse est proche de celle que j'ai noté dans mon document explicatif, je ne donne pas plus de détails, parce que je considère alors que tout ce qui est nécessaire est visiblement déjà dans le texte.
Et voilà, normalement, comme ça, je crois qu'on évite les pires infodump.
Pis de grâce, si vous suivez cette méthode, le document explicatif, sacrez-le pas à la fin du livre en tant qu'appendice! Les lecteurs n'ont pas vraiment besoin de savoir le nom des 63 dieux de notre monde. Surtout s'il y en a juste 3 qui interviennent dans le récit! Je sais, c'est plate, on les a inventés, mais les lecteurs n'ont pas besoin de connaître le détail de nos efforts. En plus, comme ça, si vous décidez que le dieu 47 ne sert pas vraiment et devrait être remplacé par un autre, vous pourrez le faire, ni vu, ni connu, entre deux tomes de votre série! ;) (parce que si vous avez inventé 63 dieux, vous avez probablement aussi imaginé une interminable série! hihihihi)
9 commentaires:
Wow, Gen, je trouve ton idée génial! À faire lire à tous les auteurs de fantaisie, j'en aie marre des chapitres complets à me faire expliquer la mythologie d'une terre étrangère dans les moindres détails, alors qu'il n'y a que trois-quatre détails à retenir et qu'on les oublie parce que c'est noyé dans le texte!
@Prospéryne : C'est en fait la méthode des travaux de recherche : trouve tout ce qu'il te faut pour comprendre ton sujet, mais dans le rapport de recherche, fais juste répondre aux questions posées.
Et c'est en pensant à certains romans de fantasy que je l'ai écrit, en effet! lol!
J'aime beaucoup ta technique, Gen! Là-dessus on pense pareil.
Ce que j'ai remarqué, c'est que le degré d'informations que le lecteur est prêt à «aller chercher de lui-même» varie beaucoup.
Certains, pour un même passage, me reproche de trop les tenir par la main alors que d'autres estiment que je ne donne pas assez de détails.
Dur de trouver le bon dosage dans ces cas-là!
@Pat : C'est sûr que c'est pas évident et que ça dépend des lecteurs. Faut que tu vois avec ton public cible : plus il est jeune ou "grand public", plus faut en donner. Normalement, c'est là que le directeur littéraire aide beaucoup, beaucoup!
Sans pour autant le noyer!
Kudos Gen!
Excellent billet, et c'est vrai que c'est quelque chose que tu maîtrises bien dans ton écriture.
@Luc : Merci! ;) La Grande Dame m'en ayant fait compliment (et c'est rare que la Grande Dame fait des compliments), j'me suis dit que je pourrais partager ma recette.
Très bon billet, Gen. J'ajoute quelques notes. Il n'y a pas de loi absolue sur ces questions. Différents lecteurs vont apprécier diversement les ajouts informatifs. Ça dépend aussi dans quel point de vue est enchâssé l'infodump. Deux spécialistes qui discutent ont le droit d'être pointus dans le domaine de leurs spécialité : on peut trouver ça plate, mais au moins le lecteur y croira. Les mêmes mots, dans le cadre d'un narration en "il" omnisciente, seront très vite exaspérants. Par extension, dans un texte en "je", on peut mettre autant d'infodump qu'on veut si le narrateur est présenté comme bavard et porté sur les digressions. Le narrateur du Nom de la rose, ou celui de la tétralogie du Book of the New Sun de Gene Wolfe, se permettent toutes les apartés qu'ils veulent. Ça peut être plate, mais ce n'est jamais artificiel comme lorsqu'un roman en il est interrompu par un infodump "pas rapport".
Joël Champetier
@Joël : Tout à fait, le type de narrateur joue, de même que le contexte.
Par contre, si je pense au Nom de la rose, je soupçonne fortement qu'on aurait pu nous donner encore plus de matière et d'informations. L'auteur s'est limité, si si! ;)
D'accord, j'imprime ce billet et je l'ajoute dans mon carnet de notes! :D
Vraiment très songé, comme procédé. On voit que ta réflexion au niveau de l'écriture a eu le temps de mûrir...
Merci de partager ça avec nous!
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