Sous une couverture au dessin un peu chargé pour mon goût, mais aux couleurs vibrantes, Brins d'éternité nous livre son cortège habituel de nouvelles et d'articles, avec cette fois-ci une incursion du côté de la bande-dessinée en prime.
Au royaume des aveugles de V.K. Valev ouvre le numéro avec une nouvelle fort bien écrite et qui laissait présager un univers de fantasy très riche, mais qui finit un peu abruptement. Dommage. On a un peu l'impression de lire l'embryon d'une idée née d'un fait historique plutôt que l'histoire complète.
Major de Alexandre Lavertue est une novella de science-fiction qui met en scène un sympathique personnage de vieux militaire blanchi sous le harnoi qui considère son naufrage spatial en solitaire sur une planète inconnue comme des vacances! Malheureusement, la fin n'est pas à la hauteur de la qualité du personnage, ni de la netteté du style.
Renaissance de Pascale Raud rachète les deux premiers textes. J'apprécie d'autant plus la fin de ce texte-ci que les premières versions, que j'ai pu lire via l'atelier d'écriture d'Élisabeth Vonarburg, laissaient elles aussi un goût amer. Cette fois, le récit est complet, les personnages sont aussi caractérisés que le contexte le permet et les atmosphères sont délicieuses, comme toujours sous la plume de Pascale. À lire!
Champion chuteur de Jean-Pierre April partait d'une bonne idée (la téléréalité poussée à l'extrême), mais disons qu'on devine le punch assez vite et que ça manque un peu d'action. Le personnage qui mène enquête à retardement, à partir de son ordinateur, disons que ce n'est pas frappant d'originalité. Ça se veut de son temps, je suppose, alors ça s'expose à avoir l'air banal, parce que justement trop proche de la réalité.
D'ailleurs, c'est cette même volonté d'être "de son temps" de réfléchir sur notre "devenir proche et plausible" via la fiction qui me semble sous-tendre la seconde partie de l'essai de Jean-Pierre April, Pour une littérature du devenir, SF entre métissage et postmodernisme. Personnellement, j'ai beaucoup donné côté réflexion d'anticipation durant mon parcours académique en histoire, sociologie et anthropologie. Et je me demande un peu pourquoi JP April invite avec tant de passion les écrivains à se mêler de ce genre de jeu aride et peu fructueux.
Selon mon expérience de lectrice et d'historienne, le gros désavantage des livres qui réfléchissent de façon trop visible à partir du présent, comme plusieurs titres cités en exemple dans l'essai, c'est qu'ils sont datés (ce qui les assortis d'une désuétude certaine en dehors des cercles littéraires et historiens) et qu'ils présentent un potentiel d'évasion beaucoup moindre que des livres qui nous projettent dans un futur improbable ou un univers magique.
Alors, en tant qu'écrivain, si cette "littérature du devenir" n'est pas ce qu'on a envie de raconter, pourquoi s'y risquerait-on?
(Lecture 2011 #26)
8 commentaires:
Probablement pour cette raison que les éditeurs préfèrent des récits intemporels.
Je sais pas ce qu'en pense les éditeurs, mais en tant que lectrice, j'ai du mal avec un récit qui se veut "dans le futur", mais qui sent à plein nez sa date de rédaction et qui est désuet deux ans après sa parution.
Pour l'historienne par contre, c'est intéressant en tant que produit de son époque et pour étudier l'histoire des idées.
Ce sont des réflexions qui m’interpellent… Je n’ai pas lu l’essai d’April jusqu’à a fin mais tiens, je mets mon cube de sel pour le fun :-)
Il me semble parfois que, quand un auteur veut écrire une histoire qui sert surtout à passer des thèses (ex : sa vision personnelle du monde) ou illustrer une théorie sociologique-philosophique, ça se sent. J’ai participé récemment à un atelier d’écriture expérimental à l’UdeM, « Éthique et fiction », et on a discuté entre autres que le meilleur moyen de faire une mauvaise fiction c’est de trop vouloir passer des messages ou des thèses – la fiction ainsi engendrée devient mauvaise, les méchants (qui vont bien sûr être des partisans des opinions contraires à celles de l’auteur), risquent d’être des bouffons qui vont perdre face au gentil parce que bien sûr le gentil pense comme l’auteur… Le récit sera daté et le lecteur verra les ficelles, verra qu’on truque l’histoire pour lui passer une leçon de morale. Or, les leçons de morale peuvent facilement rester en travers des gorges… :-)
Ça ne veut pas dire que la philo, l’éthique, l’histoire, etc. ne sont pas de bons outils quand vient le temps de planifier une histoire – au contraire – mais je pense que quand vient le moment de rédiger l’histoire elle-même il ne faut rester asservi aux théories philophico-machins qui nous ont servi à démarrer, il faut penser à l’histoire avant tout. Quitte à ce que celle-ci ait une fin qui soit en contradiction avec nos valeurs :-) Dans l’atelier d’éthique et de fiction, on s’était dit qu’une histoire ne devait pas nécessairement avoir une conclusion *éthiquement acceptable* -- ou sociologiquement ou philosophiquement acceptable, on écrit une histoire, bon! Il faut qu’elle ait une conclusion cohérente avec elle-même, me semble.
La meilleure chose à faire dans mon cas c’est « écris sans réfléchir à tout ça et le reste viendra ». Sur ce plan, je crois que je me range à l’opinion d’Yves Meynard dans son essai « Comment ne pas écrire des histoires », à la rubrique « Message ».
@Phil : Tout à fait : j'ai pensé à Meynard en lisant l'article moi aussi. Surtout que j'ai la gorge assez sensible côté messages qu'on y enfonce de force!
Justement, c'est cet aspect du message à passer subtilement qui me fait parfois grincer des dents en voyant la censure qui se fait au nom de l'égalité des sexes, des bonnes habitudes de vie, etc...
Un moment donné, faut laisser la fiction être de la fiction.
Dans ce cas-ci, qu'advient-il de la parodie? Je ne parle pas des trucs comme RBO ou 3600 secondes, mais inclure des faits historiques ou factuels, mais utiliser des éléments pour créer quelque chose.
Je suis d'accord qu'une histoire trop moralisatrice est insupportable.
Bon lien avec Yves Ménard, je n'y avais pas pensé!
@Benoit : Ta parodie sera alors datée. Le jeu serait essayer de trouver un juste équilibre pour qu'elle soit quand même appréciable et drôle des années plus tard, même en l'absence du contexte.
C'est un tour de force qui n'a pas été réalisé souvent, mais ça existe. Il y a des farces antiques qui sont encore drôles.
Un oncle m'a refilé il y a quelques années l'intégrale de la défunte revue *Croc* (il collectionnait tous les numéros depuis le premier) -- puisque je m'intéresse aux BD. Et j'ai constaté curieusement que bien des numéros (que je trouvais drôle à l'époque) ne me disaient plus rien. L'humour avait vraiment mal vieilli -- et il me semble que je vois le même phénomène avec les vieux Safarir.
@Phil : L'humour tend effectivement à très mal vieillir et à très mal s'exporter. Le cour de sacre des Cyniques est encore drôle malgré son âge, mais un Français ne le trouverait probablement pas drôle, peu importe l'époque.
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