À la demande de Richard, je vais essayer de démystifier le contenu d'un contrat d'édition... (puisque je travaille dans le milieu juridique, autant en profiter pour vulgariser tout ça...)
Alors, à quoi s'engage-t-on quand on signe avec un éditeur? Est-ce qu'on se livre pieds et poings liés à son bon plaisir?
Évidemment que non. Le contrat d'édition vous engage à céder l'exploitation de vos droits d'auteur à l'éditeur pour une durée fixe (typiquement 10 ans pour un roman, 1 an pour une nouvelle publiée dans une revue). Ça veut dire qu'une fois que vous avez signé, vous ne pouvez pas publier le même livre ailleurs. C'est assez normal. De toute façon, soyons franc : d'ordinaire, quand on se trouve un éditeur, on saute de joie, on s'empresse pas d'essayer de le doubler... Le contrat vous demande aussi de promettre vous n'avez pas fait de plagiat. Comme ça si vous êtes un vilain copieur, c'est pas l'éditeur qu'on poursuivra.
En échange, l'éditeur s'engage bien évidemment à vous publier dans un délai raisonnable (normalement 1 an) et à vous payer (10% du prix de détail du livre, un certain pourcentage des sommes reçues pour les adaptations et traductions, la totalité des cachets perçus pour aller lire votre oeuvre en public, etc). Il se chargera aussi de la promotion et de la distribution du livre, parfois même de vous inscrire aux concours que vous lui désignerez ou qu'il vous trouvera. Tous les prix littéraires reçus vous reviendront, mais l'éditeur profitera de votre notoriété (pour vendre plus, attirer d'autres auteurs et étoffer ses demandes de subventions). Si le roman ne se vend pas bien et que l'éditeur doit le solder, il vous préviendra. De même s'il envisage de le détruire (le mettre au pilon).
Bref, le contrat est fait pour protéger les deux parties. Oui, l'éditeur se servira de votre oeuvre pour faire de l'argent. Soyez pas naïfs : c'est son rôle. Cependant, vous allez vous enrichir un peu vous aussi.
Maintenant, qu'arrive-t-il en cas de mésentente entre le moment de la signature du contrat et la parution? Mettons que le directeur littéraire qu'on vous propose ne vous plaît pas du tout? Êtes vous obligé de vous plier à ses caprices?
Non, encore une fois. Dans les cas de divergence avec la dir litt, la première étape est de discuter, d'abord avec la dir litt, puis avec l'éditeur. Si l'éditeur a cru en votre projet et que vous avez l'impression que la dir litt est en train de le saboter, normalement vous devriez être capables d'arriver à un consensus (ou de changer de dir litt).
Que se passe-t-il si ce n'est pas le cas? Hé bien vous pouvez tout simplement refuser de faire les modifications demandées. Souvenez-vous : vous avez cédé l'exploitation de vos droits d'auteur, pas vos droits. L'éditeur ne peut pas modifier votre texte sans votre accord, sauf en cas de coquille. Alors s'il propose des changements qui vous semblent inacceptables, vous avez le droit les rejeter. Cependant, ça veut également dire que l'éditeur peut décider de résilier le contrat et de ne pas vous publier. Hé oui, c'est prévu dans le papier que vous avez signé.
Maintenant, soyons réalistes : l'éditeur, une fois qu'il a décidé de vous publier, veut faire de votre livre un bon bouquin. Quelque chose qui se vendra. Globalement, ça veut dire que lui et la dir litt veulent votre bien. J'ai donc de la difficulté à croire que les différends irrésolubles soient fréquents. C'est sûr que le roman publié sera le produit de multiples petits compromis, mais c'est pas grave : rappelez-vous que votre version première, intouchée et sacrée, vous l'aurez toujours dans vos cartons. Quand votre contrat sera expiré, vous pourrez toujours la publier ailleurs dans son état intégral si ça vous dit.
... et les critiqueux (moi la première) s'empresseront sans doute de dire que les bouts coupés ou modifiés ne l'avaient pas été pour rien. :p
Bref, signer un contrat avec un éditeur, c'est pas la mer à boire.
Est-ce que je vous ai bien démystifié tout ça?
23 commentaires:
N'est-il pas question de traduction, du nombre de livres donnés à l'auteur, du prix du livre accordé à l'auteur s'il veut en acheter (en général 40% comme au libraire), des droits dérivés, de l'obligation de présenter le manuscrit suivant, du pourcentage en cas de réimpression?
Quand on devient membre de l'Uneq, on a le droit à l'avis juridique d'un avocat.
@ClaudeL : Pour l'avis juridique, je travaille avec 4 avocats, alors j'en ai pas manqué. ;)
Et les clauses que tu nommes sont effectivement présentes. L'auteur a droit à certains exemplaires gratuits, à un prix de faveur pour en acheter davatange (un peu plus élevé que 40% ici, parce que c'est un illustré, alors le coût de production est plus cher), on établit le partage avec l'éditeur pour les droits dérivés et les traductions, etc...
Je n'avais cependant pas l'intention d'entrer dans les détails des chiffres (qui varient toujours un peu).
Au tarif horaire où sont payés les avocats... merci de ta générosité. Je saurai à qui m'adresser si j'ai des questions à mon prochain contrat.
Magistrale, ma chère Geneviève. J'ai tout compris et ça répond à mes interrogations T'aurais dû être professeure ;-)
(Je sais.)
En passant, j'ai vu 6 combats de Royce Gracie à V l'autre soir. Un spécial rétro UFC. Véry intéresting. Je vais en faire un petit billet néophyte.
@ClaudeL : lol! Si j'abuse de leur générosité, elles vont se mettre à charger! ;)
Je dirais que le point sur lesquels mes copines ont insisté est le suivant : être conscients de ce à quoi on s'engage.
Personnellement, je ne signerais pas de contrat m'obligeant à produire un certain nombre de bouquins. Pas pour le moment en tout cas : écrire est un plaisir, pas une obligation et je veux que ça reste ainsi.
À part ça, du moment que le partage des revenus semble équitable. Le site de l'Uneq donne une idée des proportions à exiger... et de mon côté j'ai pas eu de problème avec mon éditeur. ;)
@Richard : De rien! ;) Tes questions étaient bonnes :)
Bien hâte de lire ton billet sur Royce! hihihihi :) La dynamique des combats a bien changé depuis, mais je dois dire que ses vieux combats étaient impressionnants : il était tellement petit à côté de ses adversaires!
@Richard: Oh, j'ai hâte de lire ce billet néophyte! C'était quelque chose les premiers combats de Royce Gracie! :)
Merci Gen, tout ce que tu dis est absolument vrai ! Tu as super bien vulgarisé « la chose ». Et bonne continuation... :)
Avec ma grande expérience d'UN contrat signé dans le monde de l'édition (lol), je trouve que tu résumes très bien l'expérience. J'ajouterais ceci: les éditeurs nous proposent un contrat de base. C'est à nous ensuite de faire des propositions pour l'étoffer et le personnaliser. Il y a donc de la place pour négocier des petites choses, préciser certains tournures des libellés, etc. Faut pas avoir peur de négocier, quoi. Il faut le voir comme un contrat d'affaire entre deux parties qui, chacunes auront des engagements. Ce n'est pas winner de franchir cette étape avec une attitude d'artiste-qui-n'a-pas-la-bosse-des-affaires!!
Je retourne travailler...
Précision: tu ne m'es pas apparu comme une artiste-qui-n'a... Au contraire! :D
@Élisabeth : J'ai abordé ce contrat avec la même philosophie que toi : tant que je n'avais pas l'impression de me faire carrément avoir, j'allais considérer l'auteur de bonne foi.
Je dois dire que le contrat n'entre pas dans les détails de la pub ou des frais assumés pour les salons, mais il y a tout de même une mention que de la pub sera faite (plus modestement qu'avec la grande machine de Demortagne, c'est sûr) et que les déplacements exigés seront couverts par l'éditeur. (Dans le cas contraire, j'aurais pas signé! lol!)
Pour la dir litt, Trampoline va toujours chercher des pros :) Et je suis d'accord avec toi : c'est extrêmement précieux!
Bref, merci pour les précisions Élisabeth ;) Tu me rassures pour ce qui est de mon attitude vis à vis tout ça! :)
@Karuna : Je dois dire que j'ai eu le gigantesque avantage qu'Élisabeth Vonarburd est passé avant moi par la maison d'édition! lolol! :p Alors j'ai pas vraiment trouvé de truc à négocier.
T'en fais pas : je ne pense pas être très "artiste qui n'a pas". Mais je suis pas une business woman non plus. Tant qu'à moi, la meilleure façon de m'enrichir avec mon écriture, ce sera d'écrire bien pour vendre beaucoup.
... mais je retiens l'histoire d'Élisabeht pour la pub. Panneau dans le métro, ce serait cool... ;) (hihihihi, si mon éditeur lit ça, il vient sans doute de tomber en bas de sa chaise... t'en fais pas, Pierre, je blague...)
Ma notaire-aviseure légale m'a fait comprendre une chose lorsque nous avons travaillé sur les clauses du contrat. Des deux côtés, tout le monde est de bonne foi... en ce moment!! Or, un changement de garde (la compagnie est vendue, par exemple) et tu peux te retrouver avec des gens de moins bonne foi. Si ton contrat ne prévoit pas les litiges possibles, tu es potentiellement dans le caca.
@Karuna : C'est sûr qu'il faut un contrat qui établit déjà les principes en cas de litige. Le mien suivait le plan standard de ce côté là : affirmation d'un fait, établissement des mécanismes de résolution des mésententes, fait suivant...
Billet très intéressant, Gen!
Ça donne hâte de vendre son âme!
@Pat-the-cat : C'est une sensation très gratifiante ;P
Tu m'as doublé: j'aborde les points importants du contrat dans mon billet qui prévu pour mercredi prochain!
Intéressant, ton billet, by the way!
@M : Merci. C'était vraiment pour répondre aux questions de Richard ;)
J'ai hâte de lire le tien : t'as fait affaires avec pas mal plus d'éditeur que moi. (Jusqu'à Trampoline, y'avait qu'Alibis et Solaris qui avaient fonctionné par contrat pour des nouvelles)
Excellent billet! Pour ma part, je n'ai publié (les livres, du moins) que chez de très petits éditeurs, alors je n'ai pas exigé de panneaux dans le métro ni de suites royales dans les hôtels.
@Claudeb : Merci. :) Je me disais aussi que j'avais dû manquer tes panneaux dans le métro :p
Bon résumé, Geneviève. Notre contrat est très fortement inspiré du contrat-type proposé par l'UNEQ. Avec quelques ajustements pour protéger un peu plus l'éditeur et pour rendre ça plus raisonnable pour un petit éditeur jeunesse dans le marché québécois. Le contrat-type de l'UNEQ peut être commandé à l'UNEQ pour une très modique somme; enfin c'était le cas il y a 3-4 ans quand je l'ai fait.
Pour les panneaux et autres publicités dont parle Élisabeth, c'est très particulier. Elle a eu la chance de débuter dans une maison aux moyens financiers qui ne sont absolument pas comparables à ceux de la majorité des éditeurs québécois. Si un auteur s'attend à de telles conditions, il sera assûrément fort déçu et croira peut-être que son éditeur n'investit pas suffisamment. Vraiment, De Mortagne est un cas exceptionnel dans le marché québécois, et si un auteur peu connu essai de négocier pour obtenir de telles conditions, il ratera probablement sa chance d'être publié.
@Trampoline : Contente que tu apprécies mon résumé ;) Je n'ai aucune mauvaise conscience à dire que le contrat a semblé à tout le monde que j'ai consulté parfaitement honnête et professionnel.
Et oui, Demortagne, c'est une exception, j'en suis bien consciente. :) Faut ajuster nos attentes en fonction de l'éditeur... et de notre propre notoriété. :)
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