mercredi 15 mars 2017

Don et contre-don

Évidemment, comme toujours, après avoir annoncé que je prenais une pause de blogue pour les Fêtes, j'ai eu l'idée d'un billet génial, inspiré par tous les articles sur le thème de "Noël est devenu ridiculement matérialiste" et...

Et pour une fois, je me suis retenue de le publier pendant ma pause annoncée et je l'ai gardé pour plus tard. Désolée, donc, s'il arrive trop tardivement pour chambouler votre conception des Fêtes. ;)

Savez-vous d'où vient l'habitude de se faire des présents à Noël et à nos anniversaires?

Elle découle du fondement de toutes les sociétés pré-industrielles : le don et le contre-don. (Aussi nommé évergétisme si on se réfère aux Grecs et aux Romains).

C'est quoi ça? Eh bien, dans la majorité des sociétés anciennes (ou des sociétés actuelles dites "primitives", c'est-à-dire moins obsédées que la nôtre par l'éternel débat Mac ou PC), les gens aisés, pour bien marquer leur importance et leur richesse, faisaient régulièrement des dons à leurs concitoyens moins bien nantis.

Selon les époques et les sociétés, ces dons prirent plusieurs formes. À Babylone, le roi remettait des écheveaux de laine ou des poutres de bois. À Rome, durant l'Antiquité, les riches faisaient des dons en argent ou en pain. Et dans tout l'Europe médiévale, les seigneurs donnaient des lopins de terre.

Pour leur part, les gens moins nantis offraient un contre-don, c'est-à-dire un remerciement plus ou moins symbolique.

À Babylone, les paysans offraient des jours de travail (destinés à entretenir le système d'irrigation des terres) en échange de la laine et du bois. À Rome, les citoyens offraient à leur bienfaiteur la protection de leur présence physique (lors des manifestations) ou leur vote durant les assemblées (non, ça date pas d'hier, mais dans le temps c'était officiel au moins!). Durant l'Europe féodale, les paysans juraient fidélité à leur seigneur (on appelait ça "l'hommage") et remettaient une partie de leur récolte en échange de la terre.

À nos yeux, ces contre-dons ont l'air de loyer ou de paiement différé, mais en fait, les dons avaient souvent une valeur monétaire nettement supérieure aux contre-dons. Les riches et puissants dépensaient la majorité de leur fortune (acquise par le commerce ou la guerre) en dons.

D'accord, tous ces dons et contre-dons étaient rarement désintéressés, mais ils permettaient de cimenter la société, d'aplanir les inégalités et ils s'exerçaient tout au long de l'année. (Et puis entre un riche qui donne sa fortune aux pauvres et un riche qui travaille seulement à accroître son profit, je sais lequel je préfère. Surtout que je ne me fais pas d'illusion : dans les deux cas, s'il veut être élu quelque part, il le sera!)

Cette pratique du don et du contre-don s'étendait à toutes les couches de la société. Lorsque l'administrateur d'un village voulait être réélu malgré des catastrophes (famine, épidémie, incendie, etc.), il faisait des dons aux villageois pour alléger leurs malheurs. Lorsque le fils ainé d'un homme décédé voulait prouver qu'il en était le digne successeur, il faisait des dons à sa parenté, y compris à ses rivaux (qui se retrouvaient obligés de répondre avec un don plus généreux ou de déclarer forfait). Et lorsqu'un père de famille voulait prouver à ses enfants qu'il les aimait, il leur faisait des dons (et les enfants, des câlins!).

Vous voyez où je m'en vais avec ça?

Ben oui : avec le temps, les changements des systèmes économiques et politiques, ainsi que la perte des réflexes généreux des élites, les dons sont devenus des cadeaux, presqu'exclusivement réservés à la sphère familiale.

Et la notion de contre-don, en tant que réponse symbolique qui n'a pas besoin d'avoir la même valeur que le don, s'est perdue.

De nos jours, le seul temps où une entreprise fait des dons, c'est à Noël, devant l'œil d'une caméra et après avoir soigneusement calculé que le remboursement d'impôt additionné aux retombées médiatiques renflouera ses coffres.

Au sein des familles, les gens se sentent obligés de donner des cadeaux de la même valeur monétaire que ceux reçus. Même si la personne qui leur offre le cadeau est trois fois plus riche qu'eux. Même si cela les pousse à l'endettement. Les cadeaux sont devenus des transactions économiques au lieu d'être des expressions de générosité des plus nantis envers les plus démunis. Après tout, en cette ère du paraître, personne ne voudrait admettre un défaut de richesse!

Je trouve ça infiniment triste. Parce que souvent, devant le casse-tête économique que sont devenus les cadeaux, on abandonne simplement (volontairement ou sur insistance de nos créanciers!). Il n'y a presque plus de présents pour les adultes sous les sapins de Noël. Plus de cadeaux d'anniversaire quand on a passé 25 ans.

Depuis deux ans, profitant de mon statut d'écrivaine sans le sou, j'ai décidé de renverser la tendance et je me suis mise à offrir à ma parenté de petits cadeaux symboliques. Quelques biscuits, des tuiles au chocolat, des noix sucrées, des plats cuisinés... bref, des dons de temps (ressource dont je suis relativement riche) et d'amour.

En échange, j'ai reçu des livres, du vin, des câlins, des bisous, des visites au spa (merci chéri!), selon les moyens de la personne qui recevait le cadeau.

Et, savez-vous quoi? Je ne me suis jamais sentie spoliée ou gênée. Il y a eu don, il y a eu contre-don, les calculatrices ne sont pas intervenues et c'était parfait! :)

J'espère que, peu à peu, l'habitude des cadeaux symboliques, des petits gestes généreux qui veulent simplement dire "je pense à toi" ou "je sais que tu en as besoin", et qui sont dénués d'attente de contrepartie monétaire de valeur équivalente, reviendra dans ma famille.

Car pour une historienne, ressusciter un petit bout de passé, c'est toujours le plus beau des cadeaux! ;)

Et qui sait, ptêt qu'un jour j'arriverai aussi à convaincre des entreprises et des millionnaires de se remettre à l'évergétisme. J'aimerais aussi faire l'élevage de licornes... :p

2 commentaires:

Nomadesse a dit…

Mmm, je ne vis pas dans un monde où les "cadeaux pour les moins de 25 ans n'existent pratiquement plus". Chez nous, c'est encore une histoire d'amour (tu le sais juste à lire la préface de l'Amour au coeur de la vie, je me rends compte que j'en parle). :) Un don, un lien d'attachement. Qui peut être acheté ou fait. Et c'est bien agréable.

Est-ce que tout le monde le vit ainsi? Non. Mais je pense que Noël nous en donne l'occasion. C'est un peu à nous de décider de le faire ou pas (au risque de paraître bizarre dans une famille où le cadeau moins cher et fait main n'est pas vu au même titre). Mais au moins, on aura tenté d'envoyer le bon message. :)

Gen a dit…

@Nomadesse : Chanceuse! C'est comme ça dans ma famille paternelle, mais dans les autres branches familiales, mettons que c'est moins évident. Alors oui, j'essaie de passer le bon message.

Pis je suis vue comme la cheap, mais coudonc, tant pis! ;)

Ma puce apprendra l'importance du don et de l'amour.