mercredi 2 août 2017

Faits historiques et fiction littéraire

Comme je porte (fièrement) le double chapeau d'écrivaine et d'historienne, ça fait quelques fois que des jeunes (et moins jeunes) écrivains me posent la même question : "D'après toi, quand j'écris un roman, à quel point est-ce que je peux jouer avec les faits historiques?"

Et comme toujours quand je dois répondre à la même question plus de deux fois, je finis par en faire un billet de blogue! :p (Ou par l'ajouter dans "Écrire et publier au Québec", mais comme il est en route pour l'impression, je pense que mes comparses n'aimeraient pas que je veuille ajouter un chapitre... hihihihi!)

Règle générale, quand la personne me pose cette question, c'est qu'elle a commis le péché classique du romancier historique débutant (vous en faites pas : je crois que ça nous arrive tous au moins une fois) : elle a développé son intrigue avant de faire ses recherches et là elle vient de frapper un mur, parce que des faits bien connus contrecarrent la base même de son récit (soit parce que tel roi n'est pas mort assassiné, soit parce que les femmes ne pouvaient pas être avocat à l'époque ou autre raison fondamentale du genre).

Ça vous rappelle quelque chose? Vous vivez (ou avez vécu ou prévoyez que vous finirez sans doute par vivre) cette situation et vous voulez savoir à quel point vous devez respecter ces embêtants faits historiques?

Réponse : vous devez être aussi exacts que si vous parliez de physique ou de géométrie! Les faits historiques, ce sont des faits, comme les trois côtés d'un triangle, pas des suggestions! (Quand vous entendez dire que "les historiens ne s'entendent pas", on parle dans 99% des cas d'une mésentente au sujet de l'interprétation d'un événement avéré ou d'un écart de date de moins d'un an.)

Ma réponse vous emmerde? Vous aimeriez situer votre histoire dans une Rome antique floue, en faisant cohabiter un empereur aussi solide que Marc-Aurèle et des tribuns de la plèbe aussi puissants que les Gracques? (Y'a quelques siècles et plusieurs réformes socio-politiques entre les deux...) Vous voulez juste garder "la saveur" de l'époque, quelques termes, le dépaysement... et votre intrigue, sans pour autant vous lancer dans des recherches dignes d'une thèse?

D'accord. Ça peut se faire. Je vois même trois méthodes pour y parvenir :

1- La manière "Guy Gavriel Kay" (ma préférée, simple et élégante)
Vous renommez la ville ou le pays (par exemple, si vous pensiez utiliser la ville de Sparte, elle pourrait devenir "Léonidye" ou tout autre nom évocateur qui permet de deviner le lieu qui vous a inspiré, mais sans le nommer clairement) et ses habitants. Comme ça, vous gardez la saveur de votre cadre historique, mais il est clair que c'est de la fiction et toutes les inexactitudes (volontaires ou non) sont pardonnées.

2- La méthode paresseuse mais honnête
Vous insérez un avertissement au début du livre disant que ceci n'est pas un roman historique (c'est-à-dire qui reflète à peu près fidèlement l'Histoire), que l'époque X vous a inspiré, mais que les souverains, les lois, les événements, etc. sont inventés (idéalement, dans la C4, vous écrivez "situé à une époque X fictive" ou autre expression montrant clairement qu'on est davantage dans le roman que dans l'historique).

3- Le casse-tête
Vous orientez vos recherches de manière à trouver un coin méconnu de l'Histoire (par exemple, tout le monde connaît au moins un peu la France médiévale, mais la Suisse ou l'Allemagne à la même époque sont plus obscures) où vous pouvez faire entrer sans trop de mal l'intrigue que vous aviez imaginée, quitte à changer quelques personnages et à corriger quelques détails qui ne fonctionneraient pas. Honnêtement, je recommande rarement cette méthode, car elle demande beaucoup de travail, un brin de chance (pour découvrir l'époque qui colle à votre idée) et si vous devez tordre trop de faits historiques, il vous faudra peut-être quand même mettre l'avertissement de la solution 2.

Notez que je ne cite pas la méthode "vous foutre de la vérité historique et écrire comme ça vous chante en prétextant que c'est un roman et donc que vous pouvez inventer ce qui vous plaît" dans les options, parce que si vous l'adoptez, que je lis votre roman et que j'y trouve des énormités je vais soit écrire un billet très méchant sur la question, soit (plus probablement) attendre d'être morte (j'aurai enfin des temps libres!) pour revenir vous hanter, vous ou vos descendants (si jamais vous trépassez avant moi). Oui, je tiens tant que ça au respect des faits historiques! :p

Pis maintenant vous avez trois méthodes pour vous assurer que je reposerai en paix! ;)

Précision : Évidemment, du moment où vous mettez du fantastique, de la fantasy ou de la science-fiction dans votre histoire, mon allergie aux inexactitudes historiques disparaît parce que, hé, si y'a un lecteur qui confond le tout avec la réalité, le détromper relèvera d'un boulot de psy, pas d'historien! hihihi! ;)

8 commentaires:

Nomadesse a dit…

Je suis clairement de la méthode Kay! J'ai même dessiné mon île et je me suis bien amusée à donner des noms aux capitales de mes territoires...qui ne sont pas le Japon, mais qui s'en inspire! ;)

Gen a dit…

@Nomadesse : En effet! :) Quoique ton nord avait gardé le nom d'Hokkaidô, non?

Philippe-Aubert Côté a dit…

Il y a l'uchronie, aussi.

Gen a dit…

@Phil : Je ne voulais pas entrer là-dedans, parce qu'en théorie elle exige un arrière-plan solide, puis un point de déviation précis, donc, idéalement, on y réfléchit dès la conception de l'histoire, mais, hé, mieux vaut une uchronie un peu floue que l'assassinat en règle de faits historiques! :p

Claude Lamarche a dit…

Je reçois de la visite aujourd'hui, donc pas le temps de commenter plus longuement, mais je crois bien qu'il y a une quatrième méthode, celle employée par les écrivains de "sagas historiques".
Quand j'ai écrit "Les têtes rousses", je crois bien n'avoir suivi aucun de tes méthodes ou plutôt un peu des trois.
À plus...

Gen a dit…

@Claude : Ah, mais attention : je spécifiais en commençant que ces méthodes sont à suivre quand on s'est "peinturés dans le coin" avec les faits historiques. Quand on a basé, dès le départ, notre intrigue sur quelque chose de réel (comme toi avec les Têtes Rousses ou moi avec les Hanaken), là y'a pas à tergiverser : on est dans l'historique pour vrai! (Quoiqu'avec mes Hanaken, j'avais pris la peine d'inclure un avertissement puisque mes personnages étaient inventés, mais ça, c'est ma déformation professionnelle qui parlait! lol!)

Alain a dit…

C'est bien pour toutes ces raisons que j'aime écrire des uchronies :-)

De manière plus générale, j'aime bien l'approche "l'Histoire comme un grand coffre à jouets". S'accrocher à des repères historiques (que ce soit des lieux ou des personnages) peut accorder à l'oeuvre une profondeur supplémentaire.

Et oui, on peut volontairement prendre notre distance de certains faits historiques pour les besoins du récit... mais cela doit être un choix conscient. Par exemple, en décidant de hausser l'envergure d'un personnage historique qui, dans la vraie vie, n'avait peut-être pas l'étoffe d'un héros. Ironiquement, vouloir s'écarter ainsi de l'histoire exige beaucoup de recherche - il faut avoir fait ses devoirs avant de commencer à s'amuser avec l'Histoire.

Gen a dit…

@Alain : Pour moi, l'Histoire, c'est un immense roman dont on n'a pas encore exploré tous les coins! :) C'est une source d'inspiration inépuisable! :)

Cela dit, quand on se distance des faits historiques il faut, pour moi, que ce soit non seulement un choix conscient, mais, surtout, un choix avoué. Y'a rien qui me fait rager plus qu'un écrivain qui a visiblement "enjolivé" les faits et qui dit en entrevue "Oui, oui, tout est vrai et si vous ne me croyez pas, c'est que j'ai eu accès à des sources que vous ne connaissez pas." Ah ouais? Ben nommez-les alors!