mercredi 31 mai 2017

Prendre le problème par le mauvais bout

Vous vous souvenez peut-être de cet éditorial d'Élisabeth Vonarburg sur la République du Centaure et des débats qui ont suivi (il y en a une partie dans les commentaires, les autres se sont échangés de vive voix ou par blogues interposés).

La position d'Élisabeth, à savoir que les œuvres de science-fiction contemporaines et originales étaient boudées par le jury du Jacques-Brossard parce que celui-ci n'était pas assez spécialisé et donc incapable de bien en comprendre les codes de la SF, me posait un problème.

Premièrement, je trouvais que c'était un brin condescendant envers les capacités de lecture et la culture littéraire desdits jurés.

Deuxièmement, je pense qu'une bonne œuvre de science-fiction, même si elle s'est construite sur un long héritage, peut (et doit) s'apprécier en elle-même. Donc la spécialisation du lecteur n'est pas nécessaire (à condition, évidemment, qu'il apprécie les œuvres de "genre", mais on sélectionne déjà le jury en ce sens).

J'ai personnellement l'impression que le problème avec les jurys n'est pas qu'ils ne comprennent pas les codes de la SF ou ne connaissent pas leurs classiques. Le problème, c'est que plusieurs membres, à l'image de la population en générale, ne sont pas insultés par la présence de clichés.

Donc, entre une œuvre très originale un peu lourde et une œuvre un peu clichée, mais très bien écrite, ils vont préférer cette dernière.

Est-ce l'influence de la télévision et des films (où on nous gave de séries, reboot, remake et autres suites) qui rend les clichés plus familiers et moins insultants? Est-ce parce que les lecteurs plus jeunes sont plus sensibles au style et recherchent moins le novum? Est-ce en lien avec l'absence d'innovation technologique importante dans les deux dernières décennies? (Si vous y réfléchissez bien, votre téléphone intelligent est un ordinateur hyper portable et rapide, d'accord, mais il a les mêmes capacités que les ordinateurs qui existent depuis la fin des années 90!) Peut-être leur a-t-on trop souvent répété "Tout a été écrit"?

Mystère!

Mais reste que j'ai l'impression qu'en mettant la SF à part, en insistant sur sa difficulté, on prend le problème par le mauvais bout. Les jurés n'écartent pas certaines œuvres de SF parce qu'ils ne les comprennent pas, mais plutôt parce qu'ils n'en perçoivent pas l'originalité et/ou n'y accordent pas beaucoup d'importance.

Et vous, dans quelle mesure accordez-vous de l'importance à l'originalité de vos lectures? Est-ce différent quand c'est une oeuvre de SF?

5 commentaires:

Daniel Sernine a dit…

«(à condition, évidemment, qu'il apprécie les œuvres de "genre", mais on sélectionne déjà le jury en ce sens)»
Tous et chacun des jurés, Geneviève? Les jurys qu'on a depuis quelques années? (Disons, au hasard, depuis que c'est René Gagnon qui les forme?)

Gen a dit…

@Daniel : Dans l'expérience que j'ai eu, oui, tout le monde appréciait sincèrement les oeuvres de genre. Cela dit, si un juré dit "Oui, oui, j'aime les oeuvres de genre", mais qu'au fond il veut dire "Tous les genres sauf la fantasy", René (ou autre) ne peut pas nécessairement le savoir avant le dernier moment.

Nomadesse a dit…

J'imagine aussi que pour accepter d'être juré pour un tel prix, il est mieux pour toi d'aimer les oeuvres de genre, sinon ça risque d'être une longue année!!!

Personnellement, je ne pense pas que le problème est nouveau par rapport à la répétition et les clichés dans les oeuvres... Les lecteurs aiment se faire raconter une histoire. Avoir un livre qui va au-delà des clichés doit se faire avec parcimonie sinon on tombe vite dans "l'étrangeté". Ce qui veut peut-être dire que les clichés servent à nouer un lien avec le lecteur quant à la "familiarité", à la confirmation de ce qu'il croit, des bases de sa pensée. Changer les clichés, jouer avec eux, c'est le défier, l'obliger à penser autrement que le schème habituel. Est-ce que la majorité des lecteurs veulent ça, même si je sais que c'est l'un des buts de la littérature? Pas nécessairement. Plusieurs se sentent mal à l'aise devant l'étrangeté, devant la sortie de la familiarité. Et ce malaise (que certains lecteurs recherchent!) les poussent à repousser une oeuvre qui ira trop loin par rapport à ce qu'ils ont l'habitude de lire...

Heureusement, "l'habitude" est modifiable: ceux qui lisent beaucoup finissent par tomber sur un peu "d'étrangeté" et elle devient de moins en moins étrange... Ce qui élargit le champ de l'habituel et les mène alors à chercher les lectures les plus originales, les moins clichés. Mais c'est un processus qui prend du temps de lecture.

Et vit-on dans une société où lire est valorisé? Pas tant que ça. Malheureusement.

Daniel Blouin a dit…

Ah oui, il y en a beaucoup des "Déjà vus" dans ce qu'on peut lire.
Lorsqu'une Fantasy commence par fournir un paquets de noms de lieux bizarres dans une langue inventée ou bien une série de personnages prévisibles comme l'aventurier malgré lui ou l'aventurière qui a besoin de se prouver, ou encore La Prophétie qui serait sur le point de se réaliser.
Sans parler des fois où il y a un robot central qui veut tout contrôler, ou la créature qui cherche à s'émanciper de son créateur.
Ah, n'oublions pas non plus l'arrivée d'un anneau qui donne du pouvoir.
Oui, j'avoue que personnellement ces clichés peuvent complètement m'éteindre sur une oeuvre, qu'elle soit très bien écrite ou non.
Mais des auteurs réussissent tout de même à insuffler un nouveau souffle dans du "remâché". De Bram Stoker à Anne rice sans oublier Stephenie Meyer et Charlaine Harris, les Vampires ont su nous faire vibrer (et se vendre), avec des styles d'écriture modernes ou empesés.
Les contextes ne sont pas les mêmes et ils ont chacun trouvés moyen de nous emmener dans une histoire différente, originale qui se passe ailleurs, dans d'autres pays, avec des personnages d'âges différents, de convictions différentes ou de convictions ou statuts sociaux qui diffèrent.
Il n'y a pas de recette, mais je pense que la personne qui a créée l'oeuvre doit d'abord nous emmener "ailleurs" avant d'oser nous ramener des "clichés" sinon, c'est à mon avis raté.
Personnellement, je trouve que le "cliché" peut rapidement avoir l'air d'un plagiat s'il n'est pas bien utilisé.
Mais en ce qui concerne la problématique des concours et des jurés, je vous laisse tenter de démêler le tout. En bout de ligne, est-ce qu'une oeuvre vaut la peine d'être promue, probablement mais quelle oeuvre est la meilleure entre mille ?
Tiens, ça me fait penser à ces événements où le prix du public s'avère souvent bien loin des prix donnés par le juré officiel.
:O)

Gen a dit…

@Nomadesse : Bon point. Plusieurs œuvres primées dans les dernières années innovaient au niveau du style et de la forme, mais vraiment pas du fond. C'était peut-être une manière, pour l'auteur, de diluer un peu l'étrangeté, d'en donner juste assez au lecteur.

@Daniel Blouin : Disons qu'il y a eu quelques gagnants pour le moins controversés. Et que le "prix du public" décerné durant le congrès ne va pas souvent dans le même sens que le prix décerné par les jurys. Pour moi, ce n'est pas nécessairement un problème (les participants du congrès sont des lecteurs hyper avides qui recherchent "l'étrangeté" et le "novum"), mais certains n'ont pas la même vision.

Intéressant cela dit cette idée que le cliché passe mieux si on nous dépayse d'abord pour assener le cliché ensuite. (À l'opposé du roman de fantasy qui commence avec une carte, une généalogie, 28 noms bizarres et un Élu de la Prophétie!)