mercredi 17 mai 2017

Parlons d'appropriation culturelle

Au Boréal, les mots "appropriation culturelle" ont été prononcés comme ça, en passant, au détour d'une table-ronde, mais la question est rapidement devenue "Peut-on écrire au sujet d'autres cultures que la nôtre?"

Question qui a évidemment reçue un "oui" unanime. Aucun auteur (surtout pas un auteur de SFF) ne veut limiter son imaginaire à sa réalité de Blanc francophone éduqué vivant au 21e siècle!

La semaine suivante, une "bombe" portant sur le même sujet a explosé dans le milieu littéraire canadien-anglais. Dans un numéro spécial d'une revue, numéro portant sur les auteurs autochones, l'éditeur a nié l'existence du problème de "l'appropriation culturelle", disant qu'écrire au sujet des autres cultures, ça devrait se mériter un prix. Qu'on devrait inventer le "Prix de l'appropriation culturelle".

Hum... Parlez-moi d'un éditeur qui aurait dû demander à quelqu'un de l'éditer! Il a dû remettre sa démission.

Pourquoi? Parce que, comme nous l'avons un peu fait au Boréal, il a mélangé deux problèmes.

L'appropriation culturelle, ce n'est pas le fait pour un auteur X appartenant à une culture Y d'écrire au sujet d'une culture Z. Ça, c'est un "emprunt culturel" ou, tout simplement, de la liberté artistique et de l'ouverture aux autres.

L'appropriation culturelle, c'est quand l'auteur X provient d'une culture Y qui a colonisé, dominé et écrasé la culture Z et que, dans son oeuvre, l'auteur X emprunte des éléments à la culture Z en les caricaturant, les dénaturant, en niant leur provenance ou en méprisant leur culture originale.

Donc...

Un Québécois qui, après des recherches minutieuses, écrit une histoire d'un Indien qui immigre à Montréal pour enseigner le yoga et ouvrir un resto de poutine, en un genre de Mange, prie, aime inversé = pas de problème. (Le Québec n'a jamais colonisé l'Inde).

Une Québécoise qui, après des recherches minutieuses, écrit une série de roman sur la réalité des adolescents au Japon en l'an 1550 = pas de problème non plus (et même un prix remis par l'ambassade du Japon... mais d'où est-ce que je tire cet exemple, hein? ;)

Un Québécois qui, sans trop faire de recherches, écrit l'histoire d'un Amérindien ivrogne qui s'arrange pour exploiter le système gouvernemental et porte des plumes pour aller à l'épicerie = gros problème (cliché réducteur et méprisant, par un descendant des oppresseurs originaux).

Et un Québécois qui, après des recherches minutieuses, écrit l'histoire d'une jeune Amérindienne qui, surmontant les problèmes sociaux vécus sur sa réserve, s'installe à Montréal pour étudier et devenir enquêteuse de la SQ = ... euh...

Voyez-vous, c'est avec ce troisième exemple qu'on touche au côté épineux de la notion d'appropriation culturelle. Personnellement, je n'y verrais pas de problème et, même, pour peu que le roman soit bien fait dans ce sens, j'aurais tendance à saluer l'intention de l'auteur de mettre en lumière la réalité difficile des Amérindiens et de s'éloigner des clichés les concernant. Cependant, certains chantre de l'appropriation culturelle pourraient lui en vouloir en disant qu'il parle à la place d'une minorité historiquement muselée ou qu'il exploite leur misère et leur histoire et leur culture pour faire de l'argent (enfin, dans la mesure où l'écrivain fait de l'argent...).

Je comprends en partie la critique, mais en même temps, elle me semble faire fi d'une tendance en sociologie des médias (observée autour de la montée d'Obama en politique) : le fait qu'en donnant de la place à un groupe social dans des fictions, on finit par habituer le public à leur présence dans la réalité. Donc, plus on dépeint avec respect et positivisme un groupe social victimisé et dévalorisé, plus on a des chances de l'aider à améliorer son sort. On ne serait donc pas en train de prendre la place de quelqu'un et de l'empêcher de parler, mais plutôt de lui tendre la main pour qu'il monte sur l'estrade et prenne le micro... (Je ne sais pas pour vous, mais moi quand je lis des nouvelles horribles et déprimantes et peu diffusées, j'ai tendance à penser "Je devrais écrire un roman là-dessus pour attirer l'attention des gens").

Toutefois, ce n'est pas toujours perçu ainsi. Et certaines communautés se méfient des mains tendues. En fait, même mon premier exemple, celui avec l'Indien, pourrait être mal perçu par certaines personnes, car si les Québécois n'ont pas exploité l'Inde, les Blancs l'ont fait, l'Occident l'a fait...

Personnellement, je ne sais pas trop où je me situe dans cette zone grise et épineuse. Je comprends que certains créateurs issus de communautés culturelles pourraient prendre ombrage d'un roman de ma plume qui parlerait de leur culture si mes écrits recevaient plus d'attention que les leurs (on est tellement dans l'hypothétique ici que c'est quasiment de la SF!). Cela dit, je ne pense pas que je doive, parce que je suis une hétérosexuelle Blanche occidentale cisgenre de classe moyenne m'empêcher d'explorer d'autres réalités que la mienne (si je ne peux pas donner une voix à ceux qui n'en ont pas, ça me donne quoi d'être éduquée et privilégiée?!?) Je pense que l'important c'est toutefois, lorsqu'on met en scène des cultures qui ne sont pas la nôtre, de se documenter le mieux possible et de faire preuve de respect.

Oh et de ne pas nier l'existence de l'appropriation culturelle et de l'insulte ressentie par certaines personnes! En cas de problème, on s'excuse, on demande ce qu'on a écrit d'inexact et on rectifie le tir la prochaine fois!

Enfin, c'est la voie que je me propose de suivre. Et vous, connaissiez-vous ce phénomène d'appropriation culturelle? Si non, il y avait un article dans La Presse hier qui résume l'affaire canadienne-anglaise et les différents concepts. Qu'est-ce que vous en pensez? Est-ce que ça remet vos écrits en question? Est-ce que, dorénavant, vous hésiterez à vous inspirer d'une mythologie étrangère ou d'une culture peu connue pour nourrir vos imaginaires?

15 commentaires:

Nomadesse a dit…

C'est effectivement une ligne grise, qui est plus ou moins large selon les gens et leur origine. Je navigue aussi sur cette ligne-là. On pourrait dire que je fais de l'appropriation culturelle en mettant des éléments japonais dans ma dernière fiction... Comme tu le dis, ce serait dommage qu'on ne puisse pas sur autre chose que ce que l'on est (et je pourrais répliquer que je suis peut-être donc à l'image de l'étrangère qui débute l'histoire, étant donné que je fus moi aussi une étrangère au Japon! La mixité de ce que je deviens est alors un plus qui me permet "d'éviter" le piège).

Mais comme ça reste délicat, surtout pour les cultures qui sont méprisées (ce qui n'est pas le cas du Japon en ce moment), qui ont été humiliées. Le respect est essentiel. Et les excuses, le cas échéant!

Gen a dit…

@Nomadesse : Avec le Japon, on a l'avantage que ce n'est pas une culture qui a été moquée ou écrasée (au contraire, ils ont été les colonisateurs).

Cela dit, je n'ai pas l'impression d'avoir "choisi" le Japon comme source d'inspiration. Il m'a inspirée, c'est tout. Si j'avais été inspirée par une culture qui a été méprisée et écrasée (la culture Haïtienne, la culture amérindienne, etc), je ne sais pas comment je me sentirais présentement. Et je ne sais pas non plus ce que je ferai si, à l'avenir, je me sens inspirée par l'une de ces cultures.

Je ne veux pas faire d'appropriation culturelle, mais je ne contrôle pas toujours ce qui m'inspire.

Annie Bacon a dit…

Terreau fertile à réflexion. Je suis justement en plein questionnement: comment faire sa part dans l'avancement d'une certaine diversité culturelle en littérature jeunesse alors que je suis moi même blanche et hétéronormative?" Comme tu le dis si bien, les pistes de réponses sont plus sinueuses et parsemées d'embuches qu'on pourrait le croire, mais le temps me manque ce matin pour les écrire au détour d'un commentaire sur un blogue... on en parle quand tu veux!!!

Gen a dit…

@Annie : Ce que je trouve dommage de ce débat sur l'appropriation culturelle, c'est qu'il survient à un moment où les auteurs (majoritairement blancs et hétéro, parce que, hé, on est encore majoritairement blancs et hétéro au Québec) commençaient à inclure ou à vouloir inclure plus de diversité dans leurs œuvres. Si ceux qui le font reçoivent des critiques, est-ce qu'on ne risque pas de tuer la tendance dans l'œuf? Ce serait dommage, car pour le moment, je ne pense pas qu'il y ait suffisamment de créateurs issus des communautés racisées pour soutenir une vraie diversité en littérature.

Oui, on en rejase de vive voix quand tu veux! (Pis en attendant, on écrit juste à propos d'extra-terrestres ou de rats! lolol!)

WikiPA a dit…

Réflexion très intéressante et effectivement très d'actualité. Elle l'est d'autant plus pour moi que le personnage principal de ma trilogie jeunesse est une métisse dont la famille maternelle est Abénaquis et où je mets en scène de nombreux mythes Autochtones. Bref, les chances de tomber dans l'appropriation culturelle étaient réelles (et élevées diront certains!) Mais de mon côté, j'ai choisi d'approcher le tout avec curiosité (depuis mon cours de littérature québécoise au Cégep où le prof nous a fait découvrir les mythes fondateurs autochtones, la question me fascine), mais aussi avec respect et ouverture. J'ai fait des recherches, mais toujours en gardant en tête de ne pas laisser mes préjugés ou ma sensibilité prendre le pas. Et évidemment, la question du respect était primordiale pour moi.

Heureusement, ma belle-famille est elle-même autochtone (Mohawk par ma belle-mère et Abénaquis par mon beau-père). Je suis donc déjà sensibilisé à certains enjeux et je leur ai demandé de valider TOUT ce qui touchait à la culture autochtone dans mon roman. Et mon éditeur m'a aussi appuyé, en s'assurant quand même que je ne dise pas de bêtises! J'ai d'ailleurs modifié une scène pour prendre en compte les commentaires de la directrice éditoriale, elle-même mariée à un autochtone.

J'ai donc fait tout mon possible pour ne pas faire de l'appropriation culturelle. Mais je VOULAIS que mon personnage soit métis, pour pouvoir aborder la question de l'identité et celle de l'héritage familial. Et plus loin dans ma trilogie, j'ai aussi l'intention d'attirer l'attention sur une problématique réelle pour la population autochtone pour montrer à quel point ils n'ont pas voix au chapitre trop souvent.

Malgré toutes ces précautions et cette bonne volonté, c'est clair que j'appréhende un peu les réactions. Bon, c'est du fantastique jeunesse, donc je vais être chanceux d'avoir une critique de mon roman (lol!), mais il n'en demeure pas moins que j'ai l'impression de marcher sur une corde raide.

On verra cet automne si je suis un bon équilibriste! ;)

Mais je prends note de ta suggestion au sujet des extra-terrestres et des rats! :p

Gen a dit…

@WikiPA : Ah tiens, c'est vrai, j'oubliais que justement tu as joué dans ces eaux-là avec ta trilogie. (Et je ne doute pas que tu l'as fait avec le plus grand respect, alors je te souhaite de ne pas te faire attaquer et sacrifier sur l'autel de la rectitude culturelle.)

Et tu vois, ce qui me dérange le plus dans ton commentaire, c'est que tu dis "ma belle-famille est autochtone". J'ai un peu le réflexe de me dire "Maudit chanceux!". Si j'étais tombée sous le charme des mythes autochtones (que j'adore, en passant, mais ils ne m'ont simplement pas inspirée d'histoire à date), comment je pourrais me justifier, moi? Je n'aurais pas de parenté à invoquer, seulement un coup de cœur intellectuel et un attachement émotif.

Est-ce que ça veut dire que je n'aurais pas eu le droit d'écrire la même histoire? Ce serait un peu moche, étant donné qu'on ne choisit pas vraiment nos sources d'inspiration.

Enfin, bref, je suis encore en réflexion sur le sujet. Alors je crois que je vais écrire de la SF en attendant de me décider! lol!

WikiPA a dit…

@Gen : Je me rends compte que je me suis mal exprimé en voyant ton commentaire, et je m'en excuse!

Ce que je veux dire avec "ma belle-famille est autochtone", c'est que j'ai été sensibilisé beaucoup plus fortement aux questions autochtones que si j'avais eu une belle famille non-autochtone. Mais je ne m'en sers absolument pas comme d'un passe-droit ou d'une justification! Si c'était le cas, je me ferais ramasser solide par la belle-famille! ;) Si tu veux y voir un avantage, disons que j'ai un moyen facile et rapide de vérifier si je ne dis pas de niaiseries! :p

Mais personnellement, si tu as un coup de coeur intellectuel et un attachement émotif pour une culture, autochtone ou autre, je ne vois pas pourquoi tu t'empêcherais d'en parler. Je pense qu'en ce moment, on a une espèce de police de l'appropriation qui sévit, mais je demeure convaincu qu'on peut et qu'on doit aborder des questions qui ne nous concernent pas directement dans nos oeuvres de fiction.

Et si on veut élargir le débat, ai-je le droit de présenter un personnage principal féminin comme je suis un homme? Et si je décide d'introduire un personnage secondaire handicapé (ce qui se produit dans le tome 2) ou non-hétérosexuel (ce à quoi je réfléchis sérieusement)? Ce n'est pas de l'appropriation culturelle, mais est-ce que je suis en position de le faire? Perso, je pense que oui, si c'est fait, encore une fois, avec respect et ouverture d'esprit.

Bref, je m'excuse si j'ai pu laisser croire que je mettais de l'avant un avantage indu avec ma belle-famille et je pense que, comme auteur(e)s, nous avons le droit de nous intéresser à autre chose qu'à notre nombril! ;)

Merci pour cette réflexion stimulante! :)

Daniel Sernine a dit…

Paradoxe intéressant, mais qui se manifeste fréquemment: les mêmes gens qui lanceraient le reproche d'appropriation culturelle, seraient les premiers à dénoncer une œuvre ne mettant en scène que des Blancs (ou des Québécois de souche, pour prendre un exemple local). Il n'y aurait, à leur goût, pas assez de minorités ethniques dans l'œuvre décriée...
S'il y en a parmi vous assez vieux pour se rappeler la crise d'Oka et du pont Mercier, nombre de Grano pacifistes (et accessoirement anti-tabac) clamaient leur appui aux Mohawks masqués... trafiquants d'armes et de cigarettes.

Gen a dit…

@WikiPA : Non, je sais que tu ne te servais pas de ta belle-famille pour te donner une légitimité... mais veux, veux pas, ça t'en donne une! lol!

Moi aussi je demeure convaincue qu'on peut et qu'on doit parler de trucs qui ne nous concernent pas directement (ou, entk, qu'on n'a pas nécessairement vécue) dans nos œuvres de fiction, parce que ça nous concerne en tant qu'humain.

Mais je ne sais pas si la "police de l'appropriation culturelle" (j'adore l'expression) sera d'accord!

@Daniel : Paradoxe en effet! (Que j'ai observé moi aussi!) Cela dit, je me suis déjà fait répondre (à mots plus ou moins couverts) que la solution est simple : les Blancs (ou les "de souche") devraient fermer leurs gueules et se tasser de la scène culturelle pour laisser de la place aux autres. Euh... Oui, mais non? (J'veux dire, j'gagne pas ma vie avec ma plume, mais c'est quand même mon seul revenu!!!)

Oui, je me souviens de la Crise d'Oka (j'habite pas loin dudit pont). L'humain aime les paradoxes faut croire! :p

Daniel Sernine a dit…

Déjà, gagner ta vie avec ta «plume», c'est de l'appropriation culturelle... :O/

Gen a dit…

@Daniel : LOLOLOL! :'D

Annie Bacon a dit…

@Gen: Il faut l'avouer, les rats, ça me sauve de tout ces tracas! La question qu'il faut se poser, maintenant, c'est justement "qu'est-ce qu'on peut faire, en tant qu'auteurs, pour permettre l'inclusion de plus d'auteurs de minorités culturelles d'être publiés". J'ai peut-être une réponse qui mijote... une offre de direction littéraire gratuite, peut-être... mais je ne sais pas encore le qui du comment. Je t'en reparle peut-être quand ce sera plus mûr.

Gen a dit…

@Annie : Moi aussi c'est souvent la question "qu'est-ce qu'on peut faire" qui me reste en tête. Via le projet "Horizons imaginaires", on va toucher plusieurs jeunes du niveau collégial, alors je vais essayer de les pousser à soumettre des nouvelles à des revues. Ça reste souvent la porte d'entrée du milieu littéraire.

Mais ton projet de direction littéraire m'intrigue. Oui, reparle-m'en quand ce sera mûri! :)

Alain a dit…

Le débat sur l'appropriation culturelle a débuté aux États-Unis, et je crois qu'on retrouve là un élément très important à la discussion: la grande majorité des produits culturels consommés par les américains proviennent de très grandes entreprises. En partant, cela implique un rapport de force qui est nécessairement à l'avantage de ces entreprises - qui, a-t-on besoin de le mentionner, contribuent à maintenir une dominance culturelle américaine à l'échelle planétaire.

Que l'on s'attende de leur part à un respect sans faille pour les autres cultures, surtout celles marginalisées, me semble le début d'un juste retour du balancier. Car, entre leurs mains, l'utilisation de particularités culturelles peut facilement ressembler à de l'exploitation.

La question devient cependant: doit-on appliquer exactement les mêmes exigences à un créateur indépendant? J'aurais tendance à penser que ce dernier devrait avoir plus de liberté pour "suivre sa muse", peu importe d'où lui vient ses inspirations. Le même rapport de force n'est pas en place.

Entre l'auteur machin-chose qui s'inspire d'une légende amérindienne, et Disney qui fait pareil, la responsabilité sociale me semble très différente. (Pas que ça soit une excuse pour que l'auteur soit raciste ou offensant, évidemment.)

Gen a dit…

@Alain : En effet, il y a une question d'échelle. Cela dit... si Dysney, en s'inspirant ouvertement d'une légende amérindienne attirait l'attention sur le sort des Amérindiens contemporains (au lieu d'éculcolorer leur histoire à la Pocahontas), est-ce que là ce serait correct? Ou est-ce qu'il faudrait en plus qu'ils engagent une équipe d'Amérindiens pour bosser sur le projet?... Bref, c'est pour ça que je parlais d'une "zone grise".

Mais oui, j'espère que le créateur indépendant aura le droit de suivre sa muse! C'est pas comme si on pouvait vraiment la diriger en plus!