mercredi 5 avril 2017

C'est quoi ça, les codes de la SF?

Je lis de la SF depuis... je sais même pu. Faudrait que je demande à mon papa quand il m'a mis Asimov dans les mains pour la première fois. Ou plutôt Valérian et Laureline, parce que j'ai dû commencer avec les BD... En tout cas, j'étais au primaire. (Et je passais déjà à travers des livres pour adulte plus vite que mes parents n'arrivaient à les emprunter à la bibliothèque).

Bref, j'ai toujours lu de la SF. Beaucoup de SF. Tous les types de SF. De la hard science, du cyberpunk, du space opera, du steampunk, de l'anticipation, de la dystopie, de l'uchronie, de la science-fantasy... J'ai tâté de tout. Et pas mal tout aimé.

Puis j'ai commencé à aller dans des congrès de science-fiction. Et à entendre des phrases comme :

"La SF est un genre très codé."

"Il faut être habitué de lire de la SF pour en apprécier les codes."

"La SF se bâtit sur les œuvres antérieures, il faut les avoir lues pour la décoder."

"Cette œuvre joue vraiment sur les codes de la SF."

Et, à chaque fois, j'ai éprouvé une perplexité sans borne. Parce qu'après environ 25 ans de lecture de SF, j'ai une question à poser :

C'est quoi ça, les codes de la SF?

Parce que oui, la SF a un passé important, les œuvres se bâtissent souvent les unes par rapport aux autres et c'est important pour un écrivain de le savoir et de le comprendre pour éviter d'écrire ce qui a été écrit 100 fois.

Mais pour un lecteur, est-ce que c'est vraiment important de connaître tout le passé de la SF, tous ses codes, pour apprécier une œuvre contemporaine?

Si la réponse est oui, est-ce qu'on n'a pas un peu un problème de poule et d'œuf? Parce que le lecteur qui a 16 ans aujourd'hui, ça m'étonnerait qu'il commence à explorer la SF en partant de Mary Shelley et Asimov. Il va plutôt plonger dans une œuvre moderne.

Si cette œuvre moderne est tellement imprégnée des "codes de la SF", tellement ancrée dans une tradition qu'elle en devient incompréhensible ou sans intérêt pour le lecteur qui n'a pas tout lu de Shelley à Banks en passant par Gibson et Wells, on a un problème, non?

J'suis sans doute populiste, mais j'ai tendance à croire que n'importe quelle œuvre, fut-elle de SF, devrait pouvoir être appréciée en elle-même pour son rythme, son style, ses personnages, son intrigue, ses inventions, etc. Si elle est encore meilleure aux yeux d'un lecteur de SF aguerri, tant mieux.

Mais si un lecteur positivement prédisposé aux genres de l'imaginaire, quoique non rompu aux "codes de la SF", la trouve poche... ben ça pourrait ptêt vouloir dire qu'il lui manque quelque chose?

Ou alors j'ai vraiment rien compris aux codes de la SF?

15 commentaires:

Luc Dagenais a dit…

Au contraire, je crois que tu as tout compris à la littérature, tout simplement. ;o)

Daniel Sernine a dit…

Premièrement, Geneviève, révélation: ces «codes» ne sont inscrits nulle part.
Ils n'en existent pas moins et ils font que, dans la situation suivante, les lecteurs de SF «savent mieux», si on me passe cet anglicisme.
Exemple: un(e) auteur(e)-vedette mainstream commet un roman de science-fiction (ou que certains, en mal de légitimation, apparentent à la science-fiction). Les chroniqueurs et commentateurs mainstream trouvent donc ça audacieux, innovateur ou inventif.
Verdict des lecteurs de SF: quel tissu de clichés, quel remâchage d'idées déjà écrites, et c'est mal foutu aussi.
Ils n'ont pas eu à ressortir leur copie des «codes de la SF», mais ils savent bien.

Gen a dit…

@Luc : Tout compris? J'espère que non! Je détesterais ne plus rien avoir à explorer.

@Daniel : Dans le cas que tu présentes, c'est clair et je ne me poserais même pas la question. (Quoique selon mon expérience, il y a plusieurs écrivains mainstream qui ont commis des bouquins de SF foutument clichés, mais très bien écrits.) Mais "code", dans le cas que tu présentes, veut dire "clichés" tout simplement.

Cependant, j'ai vu le cas inverse : un roman d'un auteur de SF de carrière avec des personnages en carton, une intrigue hermétique, un rythme mou, une écriture maladroite... mais les spécialistes l'acclament parce qu'il contient des idées neuves qui "défient les codes". Et quand quelqu'un ose dire "Ok, les idées sont géniales, mais quand même, c'était un livre plate, non?" on répond que c'est parce que ces lecteurs n'ont pas une appréciation assez profonde des codes de la SF.

C'est dans ce temps-là que je me demande s'il y a un truc que j'ai manqué. Les idées, c'est supposées être important dans un texte, mais l'intrigue, les personnages, le découpage, le rythme, le style (bref l'écriture) aussi, non?

Marine a dit…

Selon moi, l'excuse des codes n'est qu'une question de goûts. Les codes existent, oui, mais ils ne sont gages de qualité que pour certaines personnes.

Je crois que ça dépend plus du lecteur et de ce qu'il cherche dans un récit, ce qu'il aime. Il y a des lecteurs indifférents au style, d'autres qui détestent lorsque le style est trop apparent et d'autres qui liraient n'importe quoi si le style est unique. Il y a probablement des lecteurs qui s'intéressent avant tout aux idées, comme il y en a qui ne lisent que pour les personnages, que pour résoudre une énigme, que pour l'histoire d'amour, que pour s'immerger dans un autre monde, etc.

Je ne pense pas non plus que c'est réservé à la science-fiction parce qu'on retrouve souvent ce genre de critiques pour le cinéma, où la technique ou les idées sont louées alors que l'histoire, pour le « commun des gens », n'est pas intéressante.

Gen a dit…

@Marine : Bons points. Peut-être que le biais "pro-idée" est plus présent en science-fiction et que c'est pour ça qu'il me rend aussi perplexe.

WikiPA a dit…

De mon côté, j'ai toujours considéré ces "codes" comme des règles non-écrites qui régissent en quelque sorte les sous-genres des genres (fantastique, fantasy, sf, horreur et polar). Par exemple, une uchronie qui se déroule dans le futur, ben ça marche pas! Une dystopie où Napoléon utilise des machines à vapeur pour conquérir la Russie? T'es dans le champ! Mais il y a aussi une partie de l'héritage de ces genres qui a été intégré par les auteurs et les lecteurs, au point où déroger à cet héritage devient un exercice périlleux. En SF, écrire sur les robots en jetant les lois de la robotique d'Asimov par la fenêtre, c'est "edgy"! En fantasy, des nains qui seraient les alliés naturels des orcs : oh boy!

Ce ne sont pas des règles écrites, mais je pense qu'il y a effectivement un ensemble de postulats tacites, mais aussi des tropes, qui sous-tendent particulièrement la SF et que les lecteurs et les critiques assidus sont en mesure de détecter.

Mais bon, je n'ai pas la science (fiction! hihihi!) infuse, et ce n'est que le point de vue d'un ancien étudiant en littérature fan de genres et critique à ses heures. Tu prends ça avec autant de sel que tu veux, mais je voulais alimenter la conversation! :)

Gen a dit…

@WikiPA : Merci pour l'alimentation de la conversation! ;)

Comme je dis, je comprends très bien cette idée que les codes sont des conventions, des tropes, des idées communes, des trucs non écrits ou autres synonymes. (Et même, ça me rassure, parce que je commençais à m'inquiéter sérieusement! ;)

L'idée que les lecteurs ont intégré un certain héritage(comme les Trois Lois de la Robotique) est aussi intéressante... mais n'est-elle pas dangereuse? Cela pourrait porter l'auteur à escamoter certaines explications (et donc à se couper du lectorat) ou alors l'engager sur des sentiers battus (et rebattus).

L'idée qu'il FAUT connaître les codes pour apprécier la SF me donne l'impression qu'il est impossible de devenir un "vrai" fan de SF de nos jours parce qu'on a trop de rattrapage à faire pour lire tout ce qui s'est publié depuis les années 50!

(Et là l'idée d'une uchronie qui se déroulerait dans le futur vient de mettre le feu dans mes neurones, facque je m'en vais prendre des notes... ;p )

Mario Tessier a dit…

Bonjour Gen. Je crois que la connaissance de ces codes est surtout importante pour le critique plus que pour le lecteur. En effet, on ne peut demander à un jeune lecteur d'avoir lu un siècle de SF pour en apprécier la valeur. Mais il est inexcusable pour un critique de méconnaître la littérature dont il parle et d'ignorer les tropes sur lesquels se bâtit le genre. Bien entendu, le lecteur, lui aussi, bénéficiera, à la longue, de la connaissance de ces codes, d'abord en lisant les classiques dans lesquels ceux-ci sont apparus. Mais cela est secondaire et reste à sa discrétion de lecteur. Notons qu'avec l'apparition des "faits alternatifs" au sommet de la pyramide étatique étasunienne, les ventes de 1984 d'Orwell ont décuplé que l'éditeur a commandé 75 000 exemplaires supplémentaires. Comme quoi, il est toujours bon de connaître ses classiques !

Gen a dit…

@Mario : Ah oui, là je suis tout à fait d'accord! Le critique se doit de connaître les codes (quoique même le critique n'aura ptêt pas lu un siècle de SF au moment de commencer à critiquer...)! Et je pense que le lecteur, s'il a la piqûre pour un genre, finira par lire les classiques... surtout les moins rébarbatifs, comme 1984! :)

(Oui, moi aussi j'ai vu la nouvelle à propos des rééimpressions de 1984 après les premières utilisations des mots "faits alternatifs" dans les nouvelles américaines. Et ça m'a fait sourire, parce que je me dis que les lecteurs et écrivains de SF ont bien fait leur boulot dans cette histoire : on a semé une information qui, espérons-le, se révélera utile!)

WikiPA a dit…

@Mario : La voix de la sagesse à parler, et effectivement, je suis tout à fait d'accord avec ce point de vue. Merci pour cet éclairage pertinent!

@Gen : Fais plaisir, ça arrive tellement pas souvent que là, j'en profite un peu! ;)

T'as pas à t'en faire, je pense que c'est une réflexion normale du moment où tu fais de la critique et que tu participes à des jurys pour différents prix. C'est pas pour rien que je comprends ce que tu veux dire! :)

Pour ce qui est du danger d'avoir intégré des tropes, je dirais que ça dépend beaucoup du talent de l'auteur. C'est plate, mais un auteur "ordinaire" va probablement reproduire avec plus ou moins de succès le trope, sans rien lui ajouter, et l'auteur "médiocre" va tenter de le réinventer en se plantant royalement. Par contre, les bons auteurs peuvent encore proposer, d'après moi, des relectures pertinentes et intéressantes. Le meilleur exemple récent que j'ai en tête vient de la BD, avec "Résurrection", le premier tome de la série "Androîdes" chez Soleil. Ils se basent sur les trois lois de la robotique pour construire la série. Sauf que, dans le premier tome, il y a eu un meurtre et c'est un androïde qui l'a commis. Oups! (Bref, la lecture vaut la peine!)

Par contre, je ne pense pas que cette connaissance soit une nécessité pour le lecteur/le fan de SF, de fantastique, de fantasy, etc. Je vois plus ça comme une plus-value à la lecture. Comme pour l'oeuvre de Stephen King où, plus tu en as lu, plus tu prends plaisir à établir des liens de plus en plus obscurs et ténus entre ses oeuvres. Mais si tu commences à le lire, tu vas avoir du fun quand même.

Et une uchronie futuriste.. Hum, serait-ce là le futur (ouch, mauvais jeu de mots!) de la SF?

Je réfléchis à une dystopie qui se déroule dans le passé et je te reviens avec mes réflexions! :p

Gen a dit…

@WikiPA : En effet, ma réflexion vient en partie de mon nouveau rôle de critique et de jury.

Et l'exemple que tu donnes (merci pour la suggestion, je vais essayer de mettre la main dessus! :) est exactement ce que j'avais en tête : un auteur pourrait revisiter un trope ancien (et usé) d'une manière intéressante je crois. On a un peu trop tendance à balayer du revers de la main les romans de SF écrit par des auteurs non-spécialistes, sous prétexte qu'ils ne connaissent pas "les codes". Or, certains de ces non-spécialistes ont des plumes magnifiques (ce qui manque en SF canonique, avouons-le!) et peuvent rendre, je crois, des idées anciennes intéressantes à lire. (Parce que, non, ils n'ignorent pas tous "les codes") Surtout, ils peuvent rendre ces idées accessibles à un public de "littéraires" prompts à lever le nez sur le style plus "transparent" des auteurs "de genre". (mes dieux, ça en fait des guillemets! ;)

Arrgggg! Arrête de déplacer la SF dans le temps, ma pile d'idées à exploiter est déjà trop longue! :P

WikiPA a dit…

@Gen : Je pense que c'est une réflexion pertinente qui amène une discussion passionnante!

Je suis tout à fait d'accord avec ton analyse de la situation et je pense aussi que parfois, le renouvellement vient d'auteurs hors-genres. Quoique parfois, une oeuvre "hommage" bien faite est tout aussi intéressante.

Et oui, parfois il faut accepter le fait que des auteurs vont faire de la SF plus "grand public" alors qu'on aimerait qu'elle soit plus consistante, moins accessible.

Et pour tes idées, ok j'arrête de la déplacer dans le temps... On va l'hybrider à la place! Fantasy-uchronique, fantasy-dystopique, fantasy-steampunk, space-fantasy (ooooooh, que de potentiel pour celle-là!). Sinon, on peut déplacer le point de vue : de la earth-opera racontée par une race extraterrestre!

Ok, j'arrête! ;)

Gen a dit…

@WikiPA : Je pense que les hommages et les hors-genre ont tous les deux leur place.

Et, tu vois, là tu mentionnes une œuvre "plus consistante" (là je vois de quoi tu parles sans problème : plus d'arrière-monde, plus de complexité d'intrigue, plus de novum, peut-être des expérimentations au niveau de la construction) et "moins acessible"... et là j'achoppe. Est-ce que "plus consistante" veut automatiquement dire "moins accessible"? Je comprends que les maisons d'édition généralistes pourraient avoir peur d'un roman consistant, mais est-ce que "consistant" veut automatiquement dire "moins accessible"? Il se publie, en littérature blanche, des trucs assez consistants merci qui, pourtant, trouvent leur public.

(Et c'est sûr qu'il faut être dans les genres jusqu'au cou pour commencer à imaginer le genre d'hybridation que tu proposes! :P Mais là, si tu arrêtes pas, je vais vous recracher cette liste-là verbatim dans le prochain atelier d'écriture et vous commander une nouvelle dans un de ces styles-là! héhéhéhé! ... cela dit space-fantasy, ça existe depuis longtemps et ça s'appellait science-fantasy)

WikiPA a dit…

@Gen : Je me suis peut-être mal exprimé... Le problème, c'est que j'ai des exemples précis en tête, mais que je n'ose pas les mentionner ici!

Prenons donc un léger détour pour tenter de clarifier mon propos!

Pour moi, il y a des romans de SF qui vous déstabilisent complètement et qui vous brassent sans ménagement. On doit suivre ou abandonner. Un exemple récent : Le jeu du Démiurge, de Philippe-Aubert (coucou Phil!). On s'entend, le lecteur occasionnel ou novice en SF va un peu pleurer sa vie en embarquant dans ce roman-là!

D'un autre côté, en roman ado, on a eu la série "Ciel" en quatre tomes, de Johan Heliot. De la SF très accessible, facile à comprendre, que plein de gens de mon équipe ont adoré (même celles qui n'aiment pas la SF!)

Entre les deux, il y a des romans "grand public" qui donnent l'impression qu'on va avoir droit à quelque chose de très étoffé, mais accessible. Pourtant, à la lecture, ben, je reste sur ma faim, pour plein de raisons.

Est-ce que je suis plus clair? Au pire, tu peux toujours relire mes critiques récentes dans Brins et Solaris pour comprendre de quelles oeuvres je parle sans les nommer!


Et pour des défis d'écriture en atelier : Go ahead, make my day! :p (Ouin, c'est vrai pour la science-fantasy, t'as raison.)

Gen a dit…

@WipiPA : En même temps, la SF de Philippe-Aubert était tellement éloignée de tout référent actuel que c'était quasiment de la fantasy. Et une brique de 800 pages en fantasy, j'ai vu bien des kids dévorer ça en moins de deux, alors oui, le lecteur novice va brailler, mais c'est plus une question d'ampleur du texte (ne serait-ce qu'en nombre de pages) que de SF, non?

Et je comprends tout à fait ce que tu veux dire pour les romans grands publics qui semblent s'enligner pour de quoi d'intéressant et finissent un peu en queue de poisson. Mais souvent dans ce temps-là, c'est parce que la SF sert de "décors", que les personnages sont au centre (avec plus ou moins de bonheur).

Mais oui, c'est plus clair. Reste que j'ai souvent l'impression qu'on se dit "cette œuvre est difficilement accessible parce que c'est de la SF et c'est dur la SF" alors qu'au fond on devrait juste admettre "cette œuvre est difficilement accessible parce qu'elle est dense et c'est dur des romans denses". Maintenant, est-ce qu'on écrit plus souvent des romans denses en SF? Peut-être oui, car le matériel, qui marie la science aux autres éléments constitutifs des romans, s'y prête bien.