vendredi 16 septembre 2016

Tranche de vie (15)

Je lis une nouvelle écrite par un jeune auteur que je coache (contre rémunération). C'est pas mauvais, mais c'est axé sur l'action, alors la narration au passé simple introduit un décalage malvenu. Je lui écris donc un courriel, en souriant intérieurement, parce qu'en lui demandant de changer son temps de narration, j'ai l'impression de ré-entendre Élisabeth Vonarburg me demander "Ton texte, et si tu l'essayais en il?".

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De : Moi
À : Auteur qui débute
Objet : Ta nouvelle

Salut! J'ai lu ta nouvelle et je l'aime bien, mais ta narration au passé simple me semble lui nuire. Essaie de réécrire au présent les trois premières pages, tu vas comprendre ce que je veux dire (dans la scène d'action de la page deux, tu vas voir, l'effet sera immédiat, on va vraiment entrer dans l'action!).

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De : Auteur qui débute
À : Moi
Objet : Ma nouvelle

Merci du conseil, mais je l'aime au passé simple.

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Je suppose que vous pouvez imaginer la face que j'ai faite en lisant cette réponse? :p

Je ne me serais pas imaginé dire ça comme ça à Élisabeth mettons!

À chaque fois qu'un débutant me répond quelque chose du genre, je m'interroge. Suis-je devant un génie qui a compris des mécanismes littéraires que je ne pige pas et qui considère donc mes suggestions avec dédain? Ou alors devant une tête dure ou un paresseux qui risque de ne jamais s'améliorer?

Et surtout :  pourquoi me demander des conseils si c'est pour les ignorer ensuite? (Surtout que je ne demandais même pas de réécrire la nouvelle en entier... et qu'il paie pour lesdits conseils!)

8 commentaires:

Nomadesse a dit…

Je crois, mais c'est seulement une théorie bien sûr, que on est plusieurs à ignorer l'utilité des temps de verbe. Personnellement, j'écris au passé simple parce que j'ai beaucoup lu à ce temps-là et que c'est pour moi naturel de le faire. Je ne savais même pas que le présent permettait davantage d'entrer dans l'action (mais je comprends la logique), parce que les livres au passé simple que j'ai lus étaient très actifs en action, au passé simple.

Je dois avouer que j'ai dû m'habituer à lire des textes écrits au présent. Au début, ça me faisait bondir sur mes pattes à chaque phrase tellement je trouvais ça bizarre. Et, comme lire une autre langue, je me suis habituée. :) Je suis même capable d'écrire au présent, à l'occasion. Sans que je ne comprenne exactement pourquoi je le fais en théorie, même si c'est justement pour axer le texte davantage sur l'action.

Bref, dans un exercice tel que tu le décris, j'aurais réécrit ma nouvelle avec bonheur (ça sert à ça!) Mais il y a ici deux choses: une ignorance de l'utilité des temps de verbe et cette amour viscéral qu'on a pour nos enfants (nos textes) tels qu'ils sont, une mauvaise habitude de débutants à mon sens (quoique ça dépend, certains ne la perdent jamais, et d'autres ne l'auront jamais eu!)

Gen a dit…

@Nomadesse : Je crois sincèrement qu'il faut faire l'exercice de réécrire le même texte (ou la même scène) avec plusieurs temps de verbe pour comprendre l'impact d'un temps de verbe sur la narration.

Moi aussi, au début, lire au présent me déstabilisait (entre les textes plus anciens et les textes traduits, on est vraiment submergé de passés simple), mais maintenant ça ne me dérange qui si c'est mal fait ou inapproprié (comme les autres temps de verbe d'ailleurs).

Je comprends l'amour viscéral pour son texte (même si je pense que c'est de l'orgueil mal placé de débutant) et l'incompréhension de l'utilité des temps de verbe, mais... mais quand tu te paies un coach, j'ai tendance à penser que c'est pour suivre ses conseils! O.o

Je ne comprends absolument pas la démarche consistant à rémunérer quelqu'un pour ses conseils, pour ensuite les ignorer!

Dominic Bellavance a dit…

Je suis comme... ambivalent face à cette situation? Personnellement, je ne crois pas que le passé simple soit "plus actif" que le présent (ni que ce temps de verbe soit à proscrire dans les romans contemporains, chose que j'ai souvent entendue). Mon dernier roman publié chez Porte-bonheur est centré sur l'action : dans sa première version, l'histoire était à la 3e personne et au présent (je suivais la logique que tu disais). Après maintes réécritures, toutefois, j'ai changé du tout au tout : la version soumise à l'éditeur était à la 1ère personne et au passé simple. Ça marchait vraiment mieux comme ça. J'ignore pourquoi.

Je crois que, dans toute démarche littéraire, il est essentiel d'expérimenter. Et c'est là que ton mentoré se tire peut-être dans le pied. Il a le droit d'aimer le passé simple (et de choisir ce temps de verbe pour aucune raison rationnelle), mais il a tort de refuser l'expérimentation suggérée.

Nomadesse a dit…

Tout à fait. Je suis d'accord avec Dominic et Geneviève: le but d'avoir un coach est justement d'essayer la réécriture sous différentes suggestions. Bizarre réaction.

Une femme libre a dit…

Le jeune écrivain te paie, tu es donc son employée. À ce titre, il a tous les droits, y compris ceux d'ignorer les conseils pour lesquels il te paie, si et quand lesdits conseils ne lui conviennent pas. Le fait de payer l'inscrit dans une relation de pouvoir et qu'il ait tort ou raison n'a aucune importance dans ce cas-ci. On peut faire ce qu'on veut de notre argent, y compris le gaspiller.

Une femme libre a dit…

Ceci dit, c'est certainement frustrant comme réaction, je le comprends tout à fait!!!

Gen a dit…

@Dominic : Ne t'en fais pas, je ne parle jamais en termes d'absolu en écriture! (J'ai utilisé tous les temps de verbe dans mes différents textes) Des fois, la logique est l'ennemi du bien pour un projet précis. Mais dans le cas de la nouvelle que je commentais, ça ne me semblait pas le cas.

Peut-être que l'expérimentation m'aurait prouvée le contraire, mais comme elle n'a pas eu lieu, je ne le saurai jamais.

@Nomadesse : En effet, bizarre.

@Femme libre : C'est sûr qu'il peut faire ce qu'il veut de son argent. Mais je trouve ça étrange de le gaspiller ainsi. Frustrant aussi, un peu, oui, parce que je m'investis dans un texte pour le commenter en détails.

WikiPA a dit…

Pour moi, ce n'est même pas une question de savoir quel temps convient le mieux à son texte à ce moment-ci.

Et je ne suis pas du tout d'accord avec la logique employeur-employé. Au contraire, on est ici dans une relation (payée, je suis d'accord) de mentorat. Cette relation sous-entend que le mentoré (est-ce que ça existe ce mot-là? o.O) accepte que le/la mentor fasse des critiques visant l'amélioration de la pratique du mentoré. Au-delà du gaspillage d'argent, c'est, à mon avis, une forme de paresse et d'ego surdimensionné que de refuser d'emblée, sans même l'essayer, la correction proposée.

Comment peut-on espérer s'améliorer si on refuse de changer sa pratique, alors qu'une personne plus expérimentée, à qui on a expressément demandé un avis, nous dit qu'on a peut-être un problème?

Étant moi-même un auteur débutant qui a sollicité (et reçu) de nombreux conseils de la part d'autrices plus expérimentées, je peux te dire que tant que ça ne touchait pas à l'intrigue (et encore!), j'ai accepté et essayé toutes les suggestions et propositions qui m'ont été faites, avant de me faire une tête. Un moment donné, il faut savoir rester humble devant ses œuvres, et assumer que ce n'est pas digne d'un Nobel ni d'un Goncourt alors qu'on en est qu'au premier jet.

L'orgueuil est le pire ennemi de l'écrivain, particulièrement s'il débute dans sa pratique.

Bref, je ne comprends pas plus que toi, et ça me fâche à peu près autant! ;)