jeudi 4 septembre 2014

La première aventure d’Éliane - Épisode 4 - Encore l’hôpital qui rend fou

Durant les deux jours suivants sa naissance, ma puce est restée dans la pouponnière, branchée à un soluté, un moniteur cardiaque, un moniteur de température, un capteur de saturation d’oxygène sanguin, etc. Vincent a pu la prendre dans ses bras deux fois, gantés et vêtus de pied en cap. Moi, je pouvais la prendre contre ma poitrine pour l’allaiter. On m’appelait dans ma chambre, je me rendais à la pouponnière et je donnais le sein à ma puce, sous les yeux de l’équipe d’infirmières. Il y en avait toujours une pour me donner un truc ou un autre. Bientôt, je suis devenue assez experte.

Mais j’avais l’impression d’apprendre ma job de maman d’une drôle de manière. Ma puce avait 48 heures, je n’avais toujours pas changé sa couche, personne ne lui avait donné de bain, je ne savais pas reconnaître ses signaux de faim : on m’appelait pour me prévenir lorsqu’elle voulait téter. Je savais comment la mettre au sein dans trois positions différentes, comment ouvrir et refermer son incubateur, comment recoller les maudits capteurs de rythme cardiaque qui passaient leur temps à se défaire... Disons que ce n’était pas vraiment l’expérience que j’avais imaginé.

Pour mon chum, c’était pire : il n’avait rien d’autre à faire que de tourner en rond dans la chambre pendant les allaitements, puis me prendre dans ses bras et tenter de me consoler quand je revenais en pleurant. Parce que les tests de laboratoire arrivaient au compte-goutte et dressaient des hypothèses fort sombres : la puce avait peut-être un Step B, peut-être une méningite, peut-être une autre infection... Après un bout de temps, Vincent a pris l’habitude de venir m’aider à m’installer pour allaiter dans la pouponnière. Cela déchargeait les infirmières, lui permettait de toucher la puce pendant quelques secondes et de recevoir les nouvelles en même temps que moi. Parce que dans les pavillons de naissance, on a découvert assez vite que les pères sont plutôt négligés.

Un matin, Vincent a croisé mon médecin en se rendant à la pouponnière. Celui-ci lui a demandé des nouvelles du bébé et l’a accompagné à la pouponnière où le pédiatre était justement en train de faire sa visite. Alors que mon chum, ébahi, pensait que mon médecin faisait enfin preuve d’humanité et s’impliquait dans mon dossier, ce dernier s’est lancé dans une grande conversation avec le pédiatre... en espagnol. Conversation qui s’est terminée un bon dix minutes plus tard et que mon médecin a résumée ainsi à mon chum « Ça va bien aller ». Puis il est parti. Un cyborg, on vous dit. Le pédiatre, lui, a heureusement pris la peine de donner clairement les dernières nouvelles. Qui se résumaient ainsi : on ne savait pas exactement ce que la puce avait eu, à part que c'était une infection aux poumons.

Jeudi soir, on m’a informée que j’avais mon congé de l’hôpital. Mes quelques points de suture guérissaient bien, ma tension était redevenue normale, ma glycémie semblait correcte également, même mon ventre était en train de disparaître, parce que les allaitements provoquaient en moi de fortes contractions inverses qui faisaient se rétracter mon utérus à grande vitesse. J’étais catastrophée : je ne pouvais pas partir et laisser ma puce toute seule à la pouponnière! Je ne me voyais pas rentrer chez moi, contempler le parc, la chambre rose, les pyjamas soigneusement alignés... On m’a rassurée : nous pourrions garder la chambre tant que le pavillon ne serait pas trop plein.

Vendredi matin, on nous a dit que notre puce, en plus du reste, faisait une jaunisse. Une lampe UV s’est ajoutée à son incubateur. Et on lui a mis de petites lunettes pour protéger ses yeux. Le traitement de photothérapie, nous a-t-on assurés, serait de courte durée. En plus, comme elle était sous antibiotiques depuis plus de 48 heures, il était possible qu’on puisse bientôt la sortir d’isolement. Il restait juste à recevoir les résultats d’un dernier test de labo. Si l’isolement se terminait, on pourrait enfin cohabiter avec elle.

Alors qu’on ressortait de la pouponnière, le cœur attendri à l’idée de pouvoir enfin ramener la puce dans notre chambre et la câliner à mains nues, on nous a informés que l’aile des naissances était pleine. Nous ne pouvions plus garder notre chambre.

Quoi? Mais qu’est-ce que c’était que cette histoire? D’un côté on nous donnait espoir de pouvoir commencer à jouer enfin notre rôle de parent et de l’autre on nous mettait dehors? Comment est-ce que j’allais allaiter ma fille si je ne pouvais pas rester à l’hôpital? La porteuse de mauvaise nouvelle a essayé de me rassurer : on allait me donner un lit dans une chambre de débordement à trois places. Mon chum ne pourrait pas rester avec moi pour la nuit, mais moi j’aurais un endroit où dormir entre les boires.

Mais... Et si la puce pouvait enfin sortir de la pouponnière? Oh, il n’y avait pas de problème m’a répondu la dame : elle pourrait cohabiter avec moi dans cette chambre de débordement. Je ne devais pas m’en faire, la chambre était parfois occupée dans la journée (par exemple pour des suivis de tension artérielle comme j’en avais eu quelques-uns), mais elle était presque toujours vide la nuit. Je l’aurais à moi toute seule.

Moi toute seule. Comme dans « moi, nouvelle maman, toute seule avec nouveau bébé, sans papa pour aider ». La perspective ne me rassurait pas. Mais bon, la puce n’était pas encore sortie d’isolement...

Mon chéri et moi avons trié les affaires apportées à l’hôpital. On a essayé de réduire ce que je garderais avec moi au strict minimum. Comme Vincent devrait désormais retourner dormir à la maison (à trente minutes de voiture de l’hôpital), il en profiterait pour se ravitailler en bouffe, m’apporter des vêtements propres, etc. On s’est installés dans ma nouvelle « chambre ». Je disposais d’un lit étroit, une table de chevet, une table pouvant glisser au-dessus du lit et un beau rideau orange pour m’isoler du reste de la salle. Salle de bain partagée, douche dans le corridor. Entre mon lit et le rideau fermant la « chambre » suivante, un petit espace qui serait juste assez large pour y glisser éventuellement un lit de bébé standard d’hôpital.

Quelques heures après nous être installés, d’autres personnes se sont mises à arriver dans la salle. Bientôt, les trois lits de la chambre de débordement étaient occupés. On est sortis prendre un peu d’air. À notre retour, les infirmières de la pouponnière nous attendaient avec une bonne nouvelle. Tous les tests étaient revenus négatifs : la puce n’avait ni le Step B, ni une méningite. Son infection pulmonaire restait non identifiée, mais était faible et n’était probablement pas contagieuse. Elle devrait rester sous antibiotiques pour encore 4 jours, et sous lampe UV pour encore 24 heures, mais elle était désormais hors de danger et pourrait cohabiter avec moi.

L’incubateur ne pouvant pas loger entre mon lit et le rideau du lit voisin, il a été installé au pied de mon lit, ce qui m’obligeait à garder mon rideau ouvert pour voir ma puce. Quand est venue l’heure du boire suivant, mon chum et moi avons eu l’impression de faire quelque chose de presque illégal en prenant notre puce à mains nues. Mes dieux que sa peau était douce sous nos doigts! On n’a pas pu la câliner très longtemps, elle devait retourner dès que possible sous sa lampe de photothérapie, mais Vincent l’a bercée un instant, encombré par le fil du soluté.

La journée a passé. On s’est occupé des boires. On a changé quelques couches. Puis le soir est venu. Vincent est parti, le cœur gros, inquiet pour nous deux. Et j’ai entamé ma première nuit de maman.

Mettons que ça n’a pas été de tout repos. Entre les boires, les changements de couche, la puce qui a pleuré pendant des heures dans son incubateur (dont je ne devais pas la sortir) et la pompe du soluté qui sonnait à toutes les heures (parce que les infirmières devaient venir s’assurer que le soluté n’était pas infiltré hors de la veine avant de la repartir), et le bébé du lit voisin qui a pleuré beaucoup lui aussi, j’ai dormi à peu près deux heures.

Vincent est arrivé de bonne heure le lendemain matin. Il n’avait pas beaucoup dormi lui non plus, inquiet de savoir comment je m'étais débrouillée pour sortir seule la puce de l'incubateur et l'amener jusqu'à mon lit tout en traînant son soluté. Il m’a relayée pour les soins à notre fille, entre les boires, et il s’est occupé d’appeler les infirmières lorsque la pompe du soluté sonnait. J’ai donc dormi un peu. En fin de journée, la puce a été transférée de son incubateur à un lit normal.

Cette nuit-là, j’ai dormi un peu plus. J’étais seule dans la chambre et je prenais le rythme de la puce. La journée du lendemain a été une répétition de la veille : arrivée de Vincent, siestes pour moi, un peu de visite d’amis et de parents. Va et vient causé par les occupants des autres lits.

La troisième nuit a bien commencé. J’étais seule encore dans la chambre. La puce a dormi presque quatre heures de suite. Malheureusement, après ce long sommeil, l’infirmière qui passait a constaté que le soluté était infiltré. J’ai donc dû accompagner ma fille à la pouponnière pour qu’on lui installe un nouveau cathéter. Les infirmières étant débordées, c’est moi qui devait tenir mon bébé, qui hurlait, tandis qu’on essayait de lui entrer une aiguille dans les veines. J’avais l’impression d’être un bourreau. J’ai pu constater que ma fille avait malheureusement hérité de mes canaux sanguins : il a fallu cinq veines pétées avant d’en trouver une qui acceptait le cathéter.

L’expérience m’a vidée. Ma puce aussi d’ailleurs : elle a refusé de dormir par la suite. Elle pleurait et mes bras, qui jusque là avaient un effet apaisant presque magiques, ne suffisaient plus à la consoler. J’ai eu vraiment hâte que mon chum arrive.

Durant la journée, qui devait être notre avant-dernière si tout se passait bien, j’ai commencé à avoir ma montée de lait. Enfin! Je commençais à m’inquiéter, car on m’avait dit que ça prenait trois jours après la naissance... Ce jour-là, l’aile des naissances a continué à être bondée, si bien qu’en fin de journée, nous étions trois mamans avec bébé dans la chambre de débordement. Ça promettait pour la nuit...

Et ça a tenu ses promesses : entre la pompe du soluté, les pleurs de ma puce, les hurlements des deux autres bébés (confinés à des incubateurs avec lampe UV), ainsi que les cris d’une maman qui accouchait dans une chambre voisine (et qui s’époumonait en disant « ça fait mal », ce qui n’était pas exactement une nouvelle révolutionnaire méritant d’être ainsi ébruitée), j’ai dormi 45 minutes au total dans la nuit. J’peux-tu vous dire qu’entre le manque de sommeil et les hormones, quand mon chum est arrivé au matin, je braillais comme une madeleine? Baby blues vous dites? Dans le tapis, oui!

Ce jour-là, après avoir finalement retiré le soluté de la puce et juste avant d’obtenir notre congé, notre fille a été pesée. Oups, alors qu’elle prenait quelques vingt grammes par jour depuis 3 jours, elle avait perdu un peu de poids cette fois. Bah, pas grave nous a-t-on dit, ça pouvait être une variance journalière normale. Ou alors c’était la conséquence du retrait du soluté, qui la nourrissait quand même un peu par intraveineuse. On a nous a dit de revenir dans deux jours pour un suivi.

Et on est partis avec notre petite fille. J’ai ressenti une impression de délivrance immense. Et, enfin, j'aurais de l'aide pour m'occuper d'elle la nuit!

12 commentaires:

Nomadesse a dit…

À l'approche de mon accouchement, j'avoue que c'est ce bout-là qui me fait le plus peur. L'après. Parce que parfois il y a foule dans les maternités et le père ne peut pas rester. Je crois qu'on sous-estime à quel point il est important pour la conjointe à ce moment-là. Juste d'y penser me met sur le bord de la crise de nerfs. Et comme je connais bien le baby blues (oui, moi aussi j'ai eu ça!) des hormones, je me dis que le passage à la crise de nerfs sera trop facile. En tout cas. Déjà hâte d'être de retour à la maison avec bébé...

Gen a dit…

@Nomadesse : À l'hôpital où j'étais, le père peut toujours rester tant que la mère n'a pas eu son congé et normalement maman et bébé sortent en même temps.

Mais en effet, je ne comprends pas comment on peut sous-estimer à ce point-là l'apport du conjoint!!! La mère est épuisée, ses hormones jouent au yoyo, elle doit apprendre à comprendre ce nouveau bébé (ou, dans mon cas, à comprendre un bébé tout court) et on la laisserait seule? Hé ho, minute, c'est inhumain!

(Après ça, on nous donne une formation sur les bébés secoués et les manières d'éviter d'en venir à cette extrémité... Dites, laissez déjà la mère se reposer, ça va aider!)

Au moins, si tu es dans une chambre régulière et que tu sens que tu n'en peux plus, tu auras l'option de sonner une infirmière. (Moi je n'avais officiellement plus droit à leur aide, parce que je n'étais plus une patiente, juste un frigo à lait ambulant...) Je te souhaite que ce ne soit pas trop bondé en tout cas!

Une femme libre a dit…

Épreuves. Au moins, c'est fini. Du moins, j'espère. On a le récit par petits morceaux et ça ne s'améliore pas vraiment d'un épisode à l'autre. Je m'attends à tout. C'est cependant passsionnant parce que si bien raconté.

Daniel Sernine a dit…

La scène la plus divertissante, à ce jour, reste celle où tu chevauchais ton ballon Pilates au milieu de ta chambre d'hôpital... :O)

Gen a dit…

@Femme libre : Il ne reste qu'un épisode. Er disons que ça plonge une dernière fois avant de s'améliorer enfin.

@Daniel : C'est pourtant une vision assez courante dans les pavillons de naissance de nos jours.

Daniel Sernine a dit…

Eh bien, Geneviève, je saurai désormais où aller pour voir des femmes chevaucher des ballons :o) :0) :O)

Prospéryne a dit…

Le médecin a jasé en espagnol avec le pédiatre devant Vincent!!! Non, mais c'est votre bébé, c'est pas un dossier top secret du gouvernement! C'est même important que vous le sachiez! Quel manque flagrant de classe! Pour le reste, ouf, on comprend pourquoi vous êtes restés silencieux!

Gen a dit…

@Prospéryne : Mon chum n'en revenait pas non plus (les deux médecins étaient latinos). Heureusement le pédiatre, lui, a répondu par la suite à ses questions.

Isabelle Lauzon a dit…

Ah oui, on comprend très bien pourquoi les nouvelles ont tardé à venir. Ça n'a vraiment pas dû être évident pour vous trois, toutes mes sympathies...

J'ai hâte de lire la suite du feuilleton! :)

Gen a dit…

@Isa : En effet, là vous comprenez le retard de nouvelle. Non seulement j'avais pas de connexion internet, mais je ne vois pas quand j'aurais trouvé le temps de faire un billet anyway!

Anonyme a dit…

Gen, j'espère que maintenant vous êtes bien, tous les trois!
Gabrielle

Gen a dit…

@Gabrielle : Maintenant, oui, mais il reste un autre épisode...