mercredi 3 septembre 2014

La première aventure d’Éliane - Épisode 3 - Le retour du cyborg

Je vais vous dire franchement, à partir de 16h, les événements deviennent un peu flous pour moi.

Je suis restée assise sur mon lit, en position de méditation, les yeux fermés, à me concentrer sur mon souffle, avec la voix de Vincent pour me remettre dans le bon chemin lorsque je m’égarais. Je voyais les contractions comme une vague qui arrivait et repartait. Appliquant les techniques de contrôle de la douleur que Vincent m’a enseignées en même temps que les arts martiaux, je considérais la souffrance comme une donnée parmi d’autres au lieu de me concentrer dessus : j’étais assise sur un lit, j’avais les yeux fermés, le drap était frais, mon front était chaud, j’entendais battre le cœur du bébé grâce au moniteur et, oh, de temps en temps j’avais mal. Je me souviens qu’à un moment mon chum m’a demandé si ça me dérangeait qu’il me mange dans la face et je lui ai répondu que pour ce que je percevais de mon environnement, il pouvait enfiler le costume du Bonhomme Carnaval, je m’en rendrais pas compte. L’infirmière a eu l’air de nous trouver comiques.

Je me souviens qu’à un autre moment, peut-être vers 17h30, soit après cinq heures et demi de contractions aux deux minutes, juste avant que l’infirmière ne m’examine j’ai eu un nouvel accès de découragement. Je n’avais pas l’impression que le travail progressait et je sentais mes réserves d’énergie et de patience commencer à baisser. Je me suis dit que si j’étais rendue à 8 centimètres, j’arriverais à passer à travers l’accouchement. Mais que si je n’y étais toujours pas, je devrais considérer à nouveau l’idée de l’épidurale. Le verdict de l’infirmière est tombée : 8 centimètres. J’étais soulagée. J’aurais la force de finir.

Vers 18h, mon col était complètement ouvert et ce fut le moment de commencer à pousser le bébé hors de moi. Enfin! Comme promis, les contractions se sont transformées. Elles ne semblaient plus résonner uniquement au niveau du col de mon utérus, mais mobiliser tout mon corps. C’était une force immense, qui m’invitait à travailler avec elle. L’infirmière, qui me tenait une jambe tandis que mon chum soutenait l’autre, m’a expliqué que je devais forcer à l’aide des muscles pelviens, en bloquant ma respiration. Ça me semblait complètement contre-intuitif (d’habitude, quand on force, on doit expirer pour que les muscles travaillent bien). Fidèle à moi-même, j’ai décidé d’expérimenter (ben oui, même au milieu d’un accouchement... je sais, je suis un peu folle). J’ai essayé de pousser en bloquant mon souffle, comme le recommandait l’infirmière, puis de pousser en expirant. Et là j’ai compris d’où venait cette histoire de respiration bloquée. Mon utérus occupait tellement de place dans mon ventre que si je remplissais mes poumons et que je poussais ensuite, les poumons exerçaient une pression sur l’utérus et aidaient le bébé à descendre, ce qui était plus efficace que de pousser uniquement à l’aide des muscles. J’ai donc rassemblé mes forces et poussé, en impliquant mes abdominaux dans l’effort.

Quinze minutes plus tard, le moniteur a perdu le cœur de ma puce : elle était déjà descendue trop bas dans mon bassin. Mon chum pouvait apercevoir les cheveux à l’occasion des poussées. Il m’encourageait en m’expliquant la progression qu’il constatait d’une poussée à l’autre. L’infirmière a appelé mon médecin, qui est venu poser un capteur de rythme cardiaque sur la tête de ma puce. Puis il est reparti en me disant à nouveau qu’on se verrait plus tard. Euh... Je ne comprenais pas pourquoi il repartait. Je sentais que la puce serait dehors dans quelques instants.

Mon infirmière m’a dit qu’il fallait compter à peu près une heure de poussée pour accoucher d’un premier bébé. Dans ma tête, je me suis dit qu’il n’était pas question que ça prenne encore 45 minutes. Je sentais mes forces diminuer. J’ai bien respiré, rassemblé ce qui me restait d’énergie et je me suis concentrée pour que chaque poussée soit la plus efficace possible. Paraît qu’il y a des femmes qui se font éclater quelques veines du visage en poussant. Pour ma part, je me suis fait péter les veines jusque sur les épaules et dans le haut du dos. J’ai toujours tendance à ne pas faire les choses à moitié, mais ça a payé!

À 18h30, mon infirmière a appelé mon médecin. La tête était en train de sortir. Une autre infirmière est venue nous informer que le médecin terminait un autre accouchement et arrivait. Sauf que je sentais bien que ma puce ne voulait pas attendre. Et moi non plus, honnêtement. La sensation d’une tête de bébé qui passe par les « voies naturelles », c’est vraiment spécial, mais ça donne pas envie de s’y éterniser.

Les infirmières m’ont dit de pousser juste assez pour endurer les contractions en attendant le médecin. J’ai alors informé la nouvelle venue que je n’avais pas d’épidurale (parce que je savais qu’avec l’épidurale, on sent moins bien les contractions lors de la poussée). Après un instant d’incrédulité, cette infirmière a commencé à essayer d’appeler un médecin résident. J’ai senti venir une autre contraction. Je leur ai fait remarquer que ça ne me dérangeait pas du tout d’être accouchée par une infirmière.

L’une des infirmières a pris la place du médecin et, trois poussées plus tard, tandis que le médecin résident franchissait la porte de ma chambre, ma puce naissait à 18h35. Aussitôt, elle a été déposée contre mon ventre.

J’ai ressenti un instant de bonheur intense.

Aussitôt envolé. Ma fille était bleue et flasque. Elle ne bougeait pas. Les infirmières se sont mises à la frictionner. Elle a poussé quelques râles, mais elle ne respirait pas.
Mon médecin est arrivé, tandis que les infirmières prenaient ma puce et la mettaient sous oxygène. Le médecin a extraie le placenta et commencé à m’expliquer qu’il allait me geler localement pour me faire quelques points de suture, mais que j’allais sentir quand même des tiraillements, vu que je n’avais pas d’épidurale. Pendant ses explications, j’avais la tête tournée vers le coin où les infirmières s’activaient. Qu’est-ce que j’en avais à foutre de quelques points de suture? Je venais de donner naissance, ce qui faisait bien plus mal, et ma fille était en danger. Le médecin a commencé à me recoudre. En m’assurant que « mon bébé allait bien ». Au moment même où il l’a dit, j’ai entendu une infirmière appeler le pédiatre de garde et lui demander de venir en urgence. « Bien » mon œil!

Les infirmières sont parties avec ma puce à la pouponnière et j’ai dit à mon chum d’y aller avec elle, le temps que mon médecin finisse de me recoudre. Vincent semblait complètement perdu. Il savait que la puce n’allait pas bien, mais ne savait pas si moi j’étais correcte. Je suppose que comme je lui ai dit de suivre la puce, il a compris que tout était normal de mon côté. Quand le médecin a eu fini sa broderie, il est parti sans dire un mot, ce qui était aussi bien parce que j’étais pas d’humeur à être aimable. Une infirmière demeurée avec moi m’a demandé si j’aurais la force d’aller à la pouponnière à mon tour. J’étais assise avant qu’elle ne finisse sa question. Elle m’a aidée à ne pas m’emmêler dans mes solutés.

À la pouponnière, je suis arrivée juste au moment où une infirmière installait un sac en plastique sur la tête de mon bébé! Heureusement, tandis que je paniquais un peu, Vincent m’a expliqué que notre fille avait eu un masque à oxygène jusque là, mais qu’avec la cagoule de plastique, ce serait plus simple de l’aider à respirer. Notre puce râlait, criait et luttait à chaque respiration. Beaucoup de sécrétions ont été aspirées de ses poumons. Finalement, elle s’est mise à respirer un peu plus facilement, mais elle est restée sous oxygène, afin de s’assurer que son cerveau n’en manque pas.

Le pédiatre nous a alors annoncé qu’il soupçonnait une infection pulmonaire au Strep B, malgré les antibiotiques qu’on m’avait administrés. Notre fille allait devoir rester en isolement à la pouponnière, sous antibiotiques intraveineux et branchées à des moniteurs. Peu à peu, on diminuerait son apport en oxygène, en espérant qu’elle arriverait éventuellement à s’en passer. Entretemps, on lui donnerait des antibiotiques, on lui ferait une ponction lombaire et divers autres prélèvements pour contrôler son état.

Vincent et moi sommes retournés dans notre chambre, effondrés.

Vers 22 heures, on est venu nous dire que la puce se passait enfin d’oxygène. On m’a invitée à l’allaiter... en respectant les mesures d’isolement anti-contagion. Moi qui rêvait depuis neuf mois de notre premier contact peau à peau, je me suis retrouvée assise dans un coin de la pouponnière, avec des gants de latex et une jaquette stérile sur le dos, un seul sein sorti de mes vêtements et, dans les bras, un bébé relié à un million de fils et de tuyaux. Je voulais pleurer, mais dès que la puce a senti la chaleur de mon sein contre sa joue, elle a ouvert grand la bouche et s’est mise à téter. Les infirmières ont poussé une exclamation de victoire. Les bébés traumatisés à la naissance, comme ma puce l’avait été, refusent souvent l’allaitement, alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin. Voilà qui augurait bien pour les chances de survie de ma petite fille.

Par la suite, les infirmières m’ont dit que c’était une grande chance que je n’aie pas pris l’épidurale. Les bébés qui naissent alors que la mère est sous épidurale sont un peu plus somnolents, alors ma puce aurait pu manquer de combativité pour respirer. Et il est sûr que je n’aurais pas pu me déplacer à la pouponnière pour allaiter durant les premières 24 heures, alors ça aurait grandement compromis les chances d’établir un allaitement. Ouf! Comme quoi mon orgueil de grano aura servi à quelque chose! ;)

13 commentaires:

Prospéryne a dit…

Bravo Gen! Ouf, félicitation d'être passée au travers de tout ça!

Annie Bacon a dit…

Quelle aventure! J'en ai les larmes aux yeux! Félicitations pour la puce, et bon courage pour la suite!

Gen a dit…

@Prospéryne : C'est surtout ma puce la championne qui a passé à travers bien des épreuves (parce que c'est pas fini...)

@Annie : Merci.

Nomadesse a dit…

Nous aussi on crie de joie quand elle boit, bonyenne! Quel début de vie! Bravo Éliane!

Gaby a dit…

Même si je savais qu'après Éliane allait bon, j'ai quand même lu intensément le bout de sa naissance et j'avoue que j'avais quelques larmes quand j'ai lu son arrêt respiratoire.

Bravo Élianne, tu es une championne. Tu aurais pu être une digne membre de la famille Hanaken :)

Gen a dit…

@Nomadesse : C'est pas pour rien que la série de billet je l'ai baptisée "la première aventure d'Éliane" et non pas "accouchement version longue" ;)

@Gaby : Ouaip, c'est ma petite championne. :)

Guillaume Voisine a dit…

Moi je veux qu'en quittant l'hôpital, le médecin cyborg regarde Éliane droit dans les yeux et lance "Hasta la vista, baby." (On peut toujours rêver)

Gen a dit…

@Guillaume : Il m'a dit "on se revoit dans six semaines", est-ce que ça peut compter comme un équivalent de "I'll be back"? ;)

Isabelle Lauzon a dit…

Wow... J'ai eu envie de verser deux larmes en lisant ça... Une pour les émotions que vous avez dû vivre et l'autre, de rage pour le fichu médecin *(%$"&$(*"!!!!!

Mais bon, puisque ça va mieux... ;)

Guillaume Voisine a dit…

Gen : Close enough ;)

Gen a dit…

@Isa : Sur le coup, ça avait l'air tellement irréaliste ce qui se passait avec Éliane. J'arrivais juste pas à y croire. C'est aussi bien : si j'avais réalisé à quel point ont a été proche de la perdre, je crois que je me serais complètement effondrée.

Et pour le médecin... Ouais, bon, passons...

@Guillaume : Lol! ;)

Claude Lamarche a dit…

Moi qui pensais que tu prendrais une longue pause d'écriture! Et tu ne te contentes pas d'écrire, c'rst de l'émotion vive, ça. Ouf!

Gen a dit…

@ClaudeL : C'est du matériel brut, le genre que je garde pour moi d'habitude (mais dont je réutilise des parties dans mes fictions).