vendredi 19 avril 2013

L'écrivain en entrevue d'embauche

Les écrivains passent rarement des entrevues d'embauche relatives à leurs écrits (quoique si vous écrivez une commande pour un éditeur ou que vous lui faites oralement un pitch de vente, vous aurez ptêt une discussion qui ressemble à une entrevue). Par contre, comme les écrivains gagnent rarement leur vie avec leur plume, ils doivent tous, un jour ou l'autre, se mettre en quête d'un boulot capable de payer les factures. Ils se retrouvent alors souvent en entrevue avec des gens qui n'ont aucune conception du milieu littéraire. Voici, selon ma propre expérience (et quelques anecdotes piquées à des amis), ce que ça risque de donner si vous avez mentionné votre art dans votre cv...

L'employeur dit : "Ah, vous avez listé l'écriture parmi vos intérêts personnels. Qu'est-ce que vous entendez par là?"
L'employeur pense : "Est-ce qu'il fait de la calligraphie?"
Vous réalisez : "J'aurais dû mettre une mini bibliographie de mes derniers titres publiés."
S'ensuivra une discussion au sujet de ce que vous écrivez et de vos publications. Préparez-vous d'avance à devoir expliquer qu'une nouvelle littéraire, c'est un très court texte de fiction. Parce que sinon, ça va donner...

Vous direz : "J'écris des nouvelles. J'en ai publié quelques unes".
L'employeur dira : "Ah oui, dans quel journal? La Presse?"
Vous réaliserez : "Je ne vais pas vraiment travailler pour cet inculte?!?"
Dans les minutes suivantes, vous devrez expliquer ce qu'est une nouvelle littéraire à un employeur gêné de sa bourde et/ou pas intéressé. Vous pourrez ensuite essayer de rattraper les pots cassés et de laisser une bonne impression ou alors vous pouvez tester discrètement la culture de votre vis-à-vis en parsemant vos réponses de citations ou de références culturelles... En passant, si vous faites ça, vous aurez probablement pas la job, à moins que le snobisme soit une qualité recherchée dans le milieu où vous postulez...

Si vous avez pris la peine de mettre vos publications dans votre cv, vous aurez droit à :
L'employeur dit : "Oh, vous êtes un écrivain publié."
L'employeur pense : "Il doit avoir un bon français." (Parce qu'il sait pas qu'on a des correcteurs)
Vous pensez : "Est-ce qu'il y a vraiment beaucoup de gens non publiés qui mettent "écrivain" dans leur cv?" (J'ai toujours pas la réponse à cette question, en passant).

Si les choses se déroulent bien et que vous pensez que vous avez des chances d'obtenir le boulot, ce sera le moment d'aborder la question délicate :
Vous : "Parfois, j'aurai besoin de prendre congé pour des salons du livre."
L'employeur répond : "Bien sûr, pas de problème."
L'employeur pense : "Le salon de Montréal, c'est en novembre me semble... C'est calme pour nous novembre." (Ici, remplacez "Montréal" et "novembre" par le nom de la ville du salon de plus proche et le mois correspondant)
Vous pensez : "Chouette, je vais pouvoir faire le Saguenay, l'Estrie, Montréal, Gatineau, Rimouski, Trois-Rivières, Québec..."

Dépendamment du milieu où vous travaillez, vous aurez peut-être droit à :
L'employeur dit : "Nous faisons signer à tout le monde des engagements de confidentialité."
L'employeur pense : "Faudrait pas qu'il base un roman sur un de nos dossiers."
Vous répondez : "Bien sûr, pas de problème."
Vous pensez : "L'engagement concerne les dossiers, pas ce qui se passe de croustillant dans le bureau... Et puis même si je m'inspirais des dossiers, si tu sais pas c'est quoi une nouvelle, c'est quoi les chances pour que tu lises celles que je publierai?"
Et vous aurez raison! ;) (mais c'est pas une raison pour en profiter, vilain écrivain! ;)

Bref, les entrevues d'embauche sont une belle occasion pour l'écrivain de tester les limites de la communication humaine! ;p

18 commentaires:

Prospéryne a dit…

Et aussi les connaissances du citoyen moyen sur le milieu littéraire... Surprises en vue! ;)

Gen a dit…

@Prospéryne : Ouais, mais ça on manque pas d'occasion pour les tester! :p

ClaudeL a dit…

Tu me fais penser à mes nuits d'insomnie pendant lesquelles je m'amuse à inventer des scénarios, des entrevues, ou à ces petits matins où je fais et refais des phrases comme si je passais à la télé. Ce qui n'arrive jamais. Et même si ça arrivait, ça ne se passerait pas du tout comme je l'avais imaginé... bien inutilement. Quoique ça fait un billet de blogue intéressant!

Gen a dit…

@ClaudeL : En effet, ça ferait un bon billet de blogue! ;)

Dave côté a dit…

hahahaha!! Malade ton billet...

Luc Dagenais a dit…

Gen, t'as oublié celle où l'employeur te dit : "Oh, vous êtes un écrivain publié. Pourquoi voulez-vous un travail de bureau?" (parce que bien sûr, dans sa tête, publication égale automatiquement gloire, fortune et dizaines de groupies à vos pieds).

Gen a dit…

@Dave : Merci! ;)

@Luc : Ah, je l'ai pas encore entendue celle-là! Faut croire que le message "les écrivains font pas d'argent" s'est rendu! ;)

Hélène a dit…

Les nouvelles, vraiment? Faut être inculte rare. Mais je crois moi aussi que l'employeur doit au moins se poser la question: "Mais qu'est-ce qu'elle fait là d'abord?" "Va-t-elle partir après quelques mois seulement?" Et surtout: "Elle doit être bizarre, il faut voir qu'est-ce qu'elle écrit, des fois que c'est des trucs de meurtres, genre."

Gen a dit…

@Hélène : Les nouvelles, c'est une constante : personne semble se rappeler ce que c'est!

Merci aux dieux, aucun employeur n'a pensé à lire ce que j'écrivais AVANT de m'engager!!! lolololol! (Je sens que sinon, j'aurais pas de job! Hihihi!)

Le dernier en date m'a demandé combien de temps je pensais avoir encore un boulot "alimentaire". J'ai répondu honnêtement : dix ans. Ça faisait leur affaire. J'espère moins, mais je suis réaliste.

Philippe-Aubert Côté a dit…

C'est un bon sujet de réflexion :-)

Dans mon CV j'ai toujours indiqué mes activités littéraires dans la section "autres activités" -- allant jusqu'à donner dans les références les coordonnées d'une personne du milieu SFFQ haut placée. J'ai choisi de procéder ainsi quand j'ai commencé à publier pour indiquer que 1) j'ai des facultés de rédaction *au dessus de la moyenne* et 2) que je suis capable de retravailler des textes en équipe (crucial quand on fait des rapports de groupe).

Il faut dire que je suis dans un domaine où ce sont des compétences très appréciées.

La personne que j'indique en référence (et qui est un(e) auteur(e) chevronné(e) bien connu(e) :-p) peut témoigner 1) que mes affirmations sur le fait que je publie son véridiques et 2) qu'en matière de retravail de texte je suis quelqu'un de facile, qui intègre bien les commentaires, etc. À ma connaissance, on n'a jamais contacté ladite personne, mais mes employeurs ont toujours considéré qu'avec autant d'infos, je disais vrai :-)

À mon avis, c'est bien d'indiquer ses activités littéraires, mais quand on a publié professionnellement à quelques reprises et que cela permet de mettre en évidence des compétences que recherchent l'employeur qu'on sollicite -- sinon autant le taire de la même manière qu'on passe sous silence ses hobbies dans son CV.

Isabelle Lauzon a dit…

Excellent billet! Drôle et... pas mal réaliste, je pense! (lolol pour les nouvelles, moi aussi on m'a déjà demandé dans quel journal c'était! Hihi!) :D

Tu vois, lors de ma dernière entrevue (pour ma job actuelle), je crois bien que mes activités d'auteure m'ont grandement aidée à obtenir l'emploi.

Mon patron est diplômé en littérature (même s'il occupe un emploi dans un tout autre domaine aujourd'hui), il a travaillé longtemps dans le milieu des libraires et sa mère est prof de littérature... Quand je lui ai dit que je voulais changer d'emploi pour avoir 1 journée à moi par semaine pour écrire... j'ai vu ses yeux s'allumer! (et lui, il savait c'était quoi, une nouvelle, yes!). Et il voyait plein de potentiel pour le boulot, dont l'écriture de lettres, qu'il n'aurait pas à composer lui-même... ;)

Mais tu vois, avec un autre, ce serait probablement passé dans le beurre ou ça aurait pu être vu de façon moins positive!

En tout cas, ce n'est pas quelque chose que j'écris dans mon CV, pour ma part. Disons que je considère ça comme un volet "personnel" de ma vie. Mon CV est déjà assez bien garni pour être attirant sans ça. :)

Isabelle Lauzon a dit…

Mais par contre, mon patron commence à s'inquiéter un peu, là... Chaque fois que je lui dis que j'ai un texte d'accepté, on dirait qu'il a peur que tout à coup, il me vienne l'idée de quitter le boulot pour vivre de mon écriture...

Pwahahahahahahahaahahahahahahahahahahaha!!!

(s'cusez, c'est sorti tout seul!)

Gen a dit…

@Phil : J'ai toujours mentionné l'écriture dans mes cv justement pour marquer mes "capacités de rédaction" (on s'entend qu'en secrétariat, c'est apprécié). Par contre, il m'a fallu du temps avant de prendre l'habitude de mettre la liste de mes dernières publications. (D'où le "ah oui, vous êtes un écrivain publié?")

Quant à donner quelqu'un du milieu comme référence, je n'y avais pas pensé. Par contre, aucune de mes références ne sont indiquées dans mon cv. Je procède avec le principe "si vous voulez des références, appelez-moi, je vous donnerai leurs coordonnées". À date, ça m'a toujours servie (tant qu'à vous avoir au bout du fil, d'habitude l'employeur-potentiel en profite pour fixer une date d'entrevue).

@Isa : Je dirais que pour mes trois derniers boulot, le fait d'être écrivain a été un facteur déterminant lors de l'entrevue. Malheureusement, sauf pour le dernier, les employeurs voyaient juste les bons côtés pour eux (capacités de rédaction) et oubliaient ce que ça impliquait (les salons du livre!). La dernière fois, j'ai été tellement claire sur les implications de mon boulot d'écrivain à l'entrevue que j'étais sûre qu'ils me prendraient pas, mais ils ont dit oui pareil! lolol!

Et comme j'ai été assez claire sur mes revenus actuels d'écrivaine, ils ont pas de sueurs froides non plus! ;)

Isabelle Lauzon a dit…

Oui, j'ai été claire moi aussi... mais les préjugés (favorables) de certains envers les chances de faire plein d'argent en écrivant ont la vie dure!!! Ou alors, mon patron a teeellement confiance en mes talents que...

S'cuse, ça me reprend, là... Pwahahahahaha!!!

Hé! Peut-être qu'un jour, je rirai moins si ça devient une réalité! ;)

Isabelle Lauzon a dit…

Y a pas à dire, on aura beau essayer d'expliquer ce que ça représente, être auteure... Les employeurs qui ne sont pas dans le milieu auront toujours du mal à s'y retrouver! ;)

Gen a dit…

@Isa : T'as des drôles d'atteintes de rire on dirait! ;) Pwahahahahaha! ;) (et c'est contagieux!!!)

Bah, toute personne qui n'est pas dans le milieu littéraire a du mal à comprendre comment ça marche...

Isabelle Lauzon a dit…

Que veux-tu, chaque fois que je pense à l'expression inquiète de mon patron dans ces situations-là, ça me fait bien rire... ;)

Gen a dit…

@Isa : ;) J'te comprends! ;)